P. Philippe Demeestère, SJ : « Dieu nous accompagne dans notre actualité »

Connu sous le nom de « Christ souriant », on peut le voir dans la chapelle du château de Javier (Espagne), où naquit Saint François-Xavier, compagnon d’Ignace de Loyola.

Pour la première grève de la faim de sa vie, le Père Philippe Demeestère, SJ, 72 ans, aumônier du Secours catholique dans le Pas-de-Calais, a accepté d’être sous le feu des projecteurs. Mais le jésuite préfère agir dans la discrétion avec les migrants à Calais. Il relit pour nous cette expérience, partage projets et vœux pour 2022.

Comment avez-vous vécu spirituellement la grève de la faim ?

Faire une grève de la faim ne m’était jamais venu à l’esprit, sauf peut-être il y a trois ou quatre ans, lors d’une réunion inter-associative. Tout le monde m’avait regardé avec pitié. Personne ne voulait se démolir la santé ! Là, le contexte était différent et il n’était pas question de demander l’avis de qui que ce soit. C’est un hasard si nous nous sommes retrouvés à trois, Anaïs, Ludovic et moi.

Habiter dans une église a été une chance fantastique. Un vieux chant dit : « Qui habitera dans ta maison, Seigneur ? » De façon assez humoristique, je me suis dit : « Moi ! » C’est rare de pouvoir dormir dans une église. On pense au jeune Samuel et au vieil Eli dans le temple (cf. 1 Samuel, 1-10). Chaque matin commençait par une heure d’adoration ouverte aux paroissiens, suivie de l’office des Laudes. Pour moi, face à la cohorte des personnes, connues ou inconnues, qui souhaitait me rendre visite ou m’interviewer, l’église était un lieu de repos. J’ai pu vérifier jour après jour, en fonction des rencontres, que notre Dieu n’est pas n’importe quel dieu. On peut en être fiers ! Dieu nous accompagne dans notre histoire, dans notre actualité (cf. Deutéronome 4, 7).

Et puis, ça a été l’occasion pour moi de renouer avec une prière trinitaire. Chaque fois, cela mène à un déplacement.

Quelle forme votre engagement avec les migrants prend-il aujourd’hui ?

Quand j’ai arrêté la grève de la faim, je suis allé dormir dans un des lieux de vie des Erythréens, pendant le temps de l’Avent. Je pensais qu’on m’accompagnerait. Les personnes qui vivent sous mon toit sont là plus ou moins régulièrement mais de la part des personnes de l’extérieur, l’accueil a été plutôt frileux… Là encore, j’y suis allé sans rien attendre. Il faut faire les choses comme on les sent.

Tout le monde s’entendra pour dire que la démarche ne sert à rien. Je voudrais revenir sur le sens qu’elle revêt pour moi, à l’approche de Noël. Quand veille-t-on quelqu’un ? Quand la personne est malade et qu’il n’y a plus rien à faire. Devant la fin de vie, l’homme est totalement impuissant. On peut seulement être présent. Il y a un peu cette dimension-là. Je pense au Psaume 138 : « La nuit comme le jour m’illumine » (verset 12). Cela ne signifie pas que la nuit ait la même lumière que le jour mais au cœur de la nuit – de nos désarrois, nos souffrances, nos perditions – une lumière se donne à nous. Je pense au sourire du Christ de Javier (photo). Ce petit rien, dans un lieu qui semble sans issue, crée une ouverture, très modeste et accessible à tous, qui ne nécessite pas de grands moyens mais qui renverse totalement la situation et fait de ce qui devrait être un joug pesant un matériau de construction pour l’avenir. C’est de l’ordre de l’expérimentation. Je l’ai vérifié par moi-même et ça change tout. Je suis quelqu’un de pragmatique en matière de spiritualité !

Vendredi 24 décembre au soir, nous célèbrerons la fête de Noël avec Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Arras, à proximité de ce lieu de vie.

Quelles paroles de Noël souhaitez-vous partager ?

Depuis que je suis dans la Compagnie de Jésus, je suis marqué par un théologien orthodoxe qui rappelle que dans sa tradition, Jésus naît aux enfers, quand nous disons qu’il descend aux enfers après sa mort sur la Croix. Pour certains, tout est déjà plié. L’enfer signifie que la vie est derrière. Il n’y a pas de retour. Tout est joué. C’est définitif. Le vivant se remet entre les mains d’autres personnes. « J’ai besoin de vous pour être nourri, vêtu, etc. » Aujourd’hui on dit qu’il y a « empowerment » :  il est remis en capacité. Je trouve ça extraordinaire. Dans toutes les situations infernales, il existe cette possibilité. Cela nous rend à nouveau opérants et porteurs d’initiatives. Pour moi, cela suffit et je vais de l’avant.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

Son message d’espérance pour 2022 : « Que le Dieu de tendresse soit avec vous »

"Comme dit un psaume, explique-t-il. On constate que les relations sont de plus en plus agressives. L’agressivité est à fleur de peau". 

"Je demande aussi à Dieu d’unifier notre cœur, poursuit le jésuite. Je souhaite que nous soyons de moins en moins éparpillés, que nous puissions rassembler un peu tout ce dont nous sommes faits, dans l’optique du service du Royaume. S’il s’agit de vivre l’eucharistie dans nos existences quotidiennes, que tout ce qui nous passe entre les mains soit matière à faire grandir et à grandir ensemble".

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