Immersion à Calais avec le CCFD-Terre Solidaire

Le CCFD-Terre Solidaire a proposé aux membres de la collégialité – dont fait partie le SNMM – une immersion dans une zone frontalière en France. Coordinatrice de la Pastorale des migrants, Marcela Villalobos Cid a fait partie de la délégation qui s’est rendue à Calais.

Quels étaient les objectifs de ce déplacement et sa pédagogie ?

J’ai choisi d’aller à Calais pour me rendre compte de la réalité migratoire et rencontrer les partenaires soutenus par le CCFD-Terre Solidaire, avec lesquels nous travaillons aussi en tant que Pastorale des migrants.

Nous avons commencé par une formation avec la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s (PSM) sur la réalité migratoire depuis les années 80 car celle-ci explique la situation actuelle. Il s’agissait donc de faire mémoire – des lois, des personnes, des événements – que la ville de Calais a connus depuis quarante ans. Il s’est déroulé à la « Maison d’entraide » ouverte récemment par le Secours catholique.

L’après-midi était consacrée à la rencontre avec un acteur de terrain. Chaque soir, nous prenions un temps pour préparer le lendemain, mais aussi pour relire la journée. Qu’est-ce que cela nous a fait vivre ? Comment notre foi chrétienne est-elle mobilisée ? Nous n’étions pas là simplement pour « faire des choses ». Nous avons regardé et appris.

Je retiens ces mots-clés : « voir », « juger » et « s’insérer » dans ce qui existe déjà . C’était aussi un appel à « savoir être » avec les personnes, attitude qu’on oublie parfois.

Qu’as-tu découvert à l’entrepôt de l’Auberge des Migrants ?

L’entrepôt stocke des produits de première nécessité, des vêtements, des aliments secs. Un naufrage avait eu lieu dans la Manche ce jour-là. Nous avons donc préparé 27 kits pour les survivants. Nous n’avons pas vu ces personnes mais elles sont devenues réelles pour moi. Ce n’est pas parce qu’on ne voit jamais les personnes migrantes qu’elles n’existent pas.

Une grande cuisine permet aux bénévoles de préparer des repas qui seront distribués aux personnes migrantes. Il existe aussi des camions-citernes pour acheminer de l’eau dans les campements parce qu’il n’y a pas de points d’eau accessibles… On apporte même du bois de chauffage. Nous sommes en France et pourtant, j’ai vu des conditions de vie assez indignes.

Vous avez rencontré le prêtre gréviste de la faim chez lui ?

Le lendemain, nous avons déjeuné chez le Père Philippe Demeestère, SJ. Sa maison est ouverte à tous : aux volontaires qui s’engagent pour une durée déterminée, comme aux personnes migrantes. Le repas s’est passé autour d’une grande table : je ne savais pas qui était qui ! Comme cela se passe dans une maison, autour de la nourriture, des liens beaucoup plus informels se sont noués. Je retiens le symbole fort de la table ouverte, avec une place pour chaque personne. On a pu parler de politique, des actions de terrain, de ce qui nous anime… Pour moi, Philippe est un prophète des temps modernes ! Il s’inscrit dans une ligne prophétique : il dénonce les injustices, annonce la Bonne Nouvelle et embarque avec lui d’autres personnes. Avec lui, la foi prend une dimension collective.

Que dire de l’activité à l’accueil de jour du Secours catholique ?

Elle était réservée aux femmes ! Pendant ce temps, les hommes se sont rendus à la Maison Maria Skobtsova. Il y avait notamment une femme kurde syrienne, une algérienne, une soudanaise… et l’animatrice de ce temps de parole autour d’un thé. C’est ce qu’on appelle « l’aller vers ». Les femmes sont là. On ne pose pas de questions. La discussion porte sur les choses du quotidien. Calais est pour beaucoup un lieu de transit, où l’attente peut devenir pesante.

Peux-tu parler de la Maison Sésame, projet soutenu par Emmaüs ?

Située à proximité de Dunkerque, la maison propose un accueil pour 15 personnes qui vivent dans un campement et qui souhaitent venir se reposer pendant quelques jours. Le critère de choix est la vulnérabilité. On y rencontre donc des femmes enceintes, seules ou avec enfants, et des familles. Très bien aménagée, la Maison est animée par les résidents. L’idée est de pouvoir bien dormir et bien manger – avant de pouvoir gagner la frontière… Nous avons échangé avec une famille kurde iranienne de cinq enfants, dont l’aîné avait vingt-quatre ans et le plus jeune, sept. La maison emploie deux salariés mais des compagnons d’Emmaüs sont également impliqués – certains d’entre eux sont des migrants qui ont entamé une démarche administrative en France. C’est intéressant car les migrants sont accompagnés par d’autres, qui sont passés par les mêmes situations.

J’ai choisi de rendre service à la cuisine. Pour moi, la nourriture fait partie des symboles d’hospitalité et la cuisine est un « tiers-lieu » qui permet de parler d’autre chose. La rencontre avec la famille a été très touchante. La maman a quarante-six ans, j’en ai quarante-trois. Cet « effet miroir » a créé de la proximité. A la loterie de la vie, on ne choisit ni sa famille ni sa nationalité. On n’est à l’abri ni de la guerre ni des conflits. C’était aussi un exercice de discrétion. Toute histoire humaine est sacrée. Derrière les chiffres, ce sont bien des hommes, des femmes et des enfants, qui ont un nom, un prénom et une histoire.

Que représente Calais pour toi aujourd’hui ?

Calais est un carrefour où le meilleur de l’humanité rencontre les difficultés d’un pays dont la politique migratoire est de plus en plus dure. J’ai été frappée par l’âge des bénévoles qui ont entre vingt et trente-cinq ans. La jeunesse se mobilise ! L’autre aspect est le désespoir. Migrants, bénévoles et militants sont fatigués à Calais. Mais on le voit avec le Père Philippe : la foi soutient. On ne désespère pas car un projet plus grand nous porte. Si on croit à l’Evangile, la mort ne pourra jamais avoir le dernier mot.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

Une seule famille humaine

La famille à qui Marcela a adressé quelques mots en farsi et en arabe a d’abord pensé qu’elle était iranienne ou kurde puis marocaine… alors qu’elle est née au Mexique ! Même teint de peau, même forme des yeux et des sourcils. « Tu nous ressembles tellement physiquement ! »

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