Forum Social Mondial 2022 : les migrations, signe des temps

Membre de la collégialité du CCFD-Terre Solidaire, la Conférence des évêques de France, représentée par le SNMM, a fait partie de la délégation qui a participé au Forum Social Mondial (Mexico, 1-6/05/2022). Marcela Villalobos Cid, coordinatrice de la Pastorale des migrants, en dresse le bilan.

Qu’est-ce que le Forum Social Mondial ?

Il a été lancé par les théologiens de la libération au Brésil dans les années 2000, pour faire un contrepoids au Forum Économique de Davos et proposer des alternatives venant de la société civile, avec pour devise « un autre monde est possible ». Jusque dans les années 2010, c’était un événement fort qui suscitait une mobilisation importante. Aujourd’hui certaines choses sont à repenser mais cela reste le grand rendez-vous des mouvements sociaux. Après deux années de pandémie et des sous-forums régionaux en visio, le FSM 2022 a eu lieu en présentiel, au Mexique et pendant une semaine.

Qui composait la délégation ?

La délégation comprenait Justine Festjens (Responsable de l’équipe Migrations du CCFD-Terre Solidaire), Paolo, Thais et Patricia (« Réseau sans Frontières », partenaire du CCFD-Terre Solidaire), Cheik et Mamadou du Sénégal (« Réseau Maghreb-Sahel et l’Association Nationale des Partenaires Migrants », partenaire du CCFD-Terre Solidaire). Plutôt qu’à l’hôtel, nous étions logés chez des sœurs en ville. Pour réduire les coûts mais aussi pour vivre le FSM autrement, en prenant notamment des temps de relecture, matin et soir. 70 partenaires francophones du CCFD-Terre Solidaire et du CRID (Collectif d’organisations de solidarité internationale et de mobilisation citoyenne) avaient fait le déplacement.

Comment la semaine s’est-elle déroulée ?

Nous avons démarré par une rencontre institutionnelle avec le Service Jésuite des Réfugiés et le Service Jésuite des Migrants. Nous avons présenté nos missions et nos actions. Le contexte migratoire au Mexique nous a été expliqué, avec un focus sur les frontières nord (Etats-Unis) et sud (Guatemala). Au sein de JRS, une personne analyse les données chiffrées de la migration en provenance d’Amérique centrale. Combien rentrent au Mexique ? Combien sont violentés ? Combien restent en transit ici ? Combien arrivent aux Etats-Unis ?

Nous étions basés dans le centre-ville de Mexico. Les animations d’ateliers, comme les rencontres des partenaires locaux et nationaux, se faisaient en espagnol, portugais et français. Nous avons eu entre 20 et 30 participants à chaque atelier.

Intitulée « Regards d’ici et d’ailleurs : les migrations aujourd’hui », notre table-ronde était animée en espagnol et en français. Nous avons abordé qui étaient les migrants aujourd’hui en Europe, en Afrique et en Amérique latine, mais aussi évoqué le phénomène d’externalisation des frontières, les politiques migratoires toujours plus restrictives, les violences d’Etat, les mobilisations citoyennes et chrétiennes, ainsi que les nouvelles formes d’hospitalité.

Il y a encore 15 ans, chaque continent avait sa propre dynamique migratoire. Nous constatons que l’externalisation des frontières, les politiques migratoires toujours plus restrictives et les violences d’Etat sont désormais des réalités communes. Cela nous appelle à trouver des réponses globales. La seule chose qui n’existe pas encore en Europe est le phénomène des « personnes disparues » ou de la traite des personnes par l’Etat et l’armée. C’est bien réel au Mexique où les institutions sont de mèche avec les trafiquants. Nous devons être attentifs à ce que cela ne se développe pas en Europe, notamment à Calais ou Briançon (France), à Ceuta et Melilla (Espagne) ou encore à Rabat (Maroc).

Comment la présence de l’Eglise impacte-t-elle le Forum Social Mondial ?

Le FSM est plutôt un rassemblement citoyen. Le fait que Conrado Zepeda soit jésuite et que Lidia Souza soit religieuse scalabrinienne donne un autre poids, celui de l’engagement chrétien. Le FSM a permis des rencontres avec le gouvernement mexicain. Un représentant qui parlait de son service comme étant exemplaire a été interpellé. Conrado a obtenu un rendez-vous dans ce service du jour au lendemain !

Qu’est-ce que la Casa Mambré ?

Elle est implantée à la périphérie de Mexico, dans un quartier « chaud ». Cette maison animée par des sœurs scalabriniennes accueille une cinquantaine de personnes, sur trois étages : des familles, des hommes et des femmes, et de plus en plus de personnes LGBT. Les migrants sont originaires du Venezuela, de Colombie, d’Haïti, d’Afrique (via le Brésil), du Pakistan… Ils sont juifs, chrétiens ou musulmans. L’accompagnement est global : avec une assistante sociale, un juriste, une coordinatrice de projet, etc. Des encadrants habitent sur place. Les résidents s’organisent pour entretenir la maison, faire la cuisine…

Soit les migrants sont en transit, avant d’aller aux Etats-Unis – un peu dans l’esprit de la Maison Sésame à Calais – et ils peuvent rester entre trois et cinq mois. Soit ils sont accompagnés dans leur demande de régularisation. L’OFPRA n’existe pas au Mexique. Il s’agit d’un phénomène nouveau qui demande des solutions nouvelles. Pourtant ce n’est pas dans les priorités du gouvernement actuel…

Quels enseignements retiens-tu de ce voyage ?

Le FSM est un lieu de convergences, de réseautage, de participation pour les chrétiens et les citoyens. Il propose des temps forts de formation sur la question migratoire et la théologie de la mobilité humaine.

Je pense qu’il est toujours intéressant d’élargir son regard pour comprendre une situation et d’aller sur place. Cela nous rappelle pourquoi on fait ce travail, qui sont nos partenaires et l’importance de travailler ensemble. Le CCFD-Terre solidaire a beaucoup à nous apporter sur la question des migrations internationales.

En France, nous sommes très avancés sur la question de l’hébergement citoyen, sujet sur lequel le Mexique et l’Amérique latine s’interrogent. Là-bas, accueillir quelqu’un chez soi ne se fait pas, c’est pour cela que « las Casas del Migrante » ont vu le jour. A propos du changement de regard sur les migrants, notre travail avec le Secours catholique et « Destin Commun » pour l’analyse de la société française, a suscité de l’intérêt.

En revanche, nous sommes moins avancés sur la question du plaidoyer et des liens avec les pouvoirs publics. De plus, nous sommes peu présents dans les médias. P. Conrado et Sr Lidia, eux, ont l’habitude de signer des tribunes dans des journaux nationaux.

Nous pourrions aussi nous inspirer de tout ce qui est fait pour le ressourcement spirituel des équipes du réseau de la Pastorale des migrants. Il faut savoir que les personnes qui travaillent avec les migrants au Mexique sont en danger aussi (disparition, racket). S’engager au nom de sa foi et de l’Evangile est une démarche à prendre au sérieux !

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

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