Jérôme Vignon, observateur au chemin synodal allemand

Observateur au chemin synodal allemand, le Français suit depuis 2019 ce processus – antérieur au Synode sur la synodalité lancé par le pape François – en tandem avec Mgr Didier Berthet, évêque de Saint-Dié. Le laïc y participe au nom des organisations catholiques réunies dans « Promesses d’Eglise ». La dernière rencontre aura lieu en mars 2023 à Francfort.

Qui sont les observateurs et en quoi ce rôle consiste-t-il ?

On dénombre une trentaine d’observateurs (« Beobachter »), deux par pays en Europe – Belgique, Hollande, République tchèque, Pologne… – un laïc en binôme avec un évêque. Je suis assis aux côtés de Mgr Didier Berthet missionné par la CEF qu’il représente lors des réunions de la Conférence épiscopale allemande à Fulda. J’ai été invité initialement au nom des Semaines Sociales de France, qui font partie de « Promesses d’Eglise », collectif créé entre-temps.  Ce processus intéresse beaucoup le laïcat français représenté par ces mouvements très différents (La DCC, CCFD-Terre Solidaire, Secours catholique, Apprentis d’Auteuil, le Chemin neuf, Fondacio, la communauté de l’Emmanuel et bien d’autres encore). Avec Mgr Berthet, nous nous concertons pour nous compléter. Nous avons notamment co-signé un texte publié dans une revue catholique allemande. Les observateurs sont invités à chaque session pour être des témoins, pour authentifier que les choses se passent comme annoncé, selon la constitution qui stipule que le CS synodal ne prend pas de décisions qui seraient en opposition avec l’Eglise universelle (« Weltkirche ») et selon le  règlement intérieur qui établit toutes les règles de procédure. Une des caractéristiques du chemin synodal est qu’il est complètement ouvert au public et aux journalistes. Tous les débats en assemblée, tous les textes sont diffusés  en ligne et accessibles sur une chaîne YouTube pour permettre une participation effective du public allemand, pas seulement des catholiques.

Quelle est la spécificité de ce chemin synodal ?

L’initiative est portée par la Deutsche Bischofskonferenz (DBK) et par le Zentralkomitees der deutschen Katholiken (ZDK) (comité central des catholiques allemands qui rassemble 125 associations d’Eglise, ndlr). Elle fait suite au tollé provoqué par le rapport « MHG » (étude menée entre juillet 2014 et septembre 2018 par trois universités mandatées par la DBK, ndlr) sur les abus sexuels. Ce n’est donc pas un synode stricto sensu. Cela pose la question de l’articulation avec le Synode sur la synodalité. En août, la Conférence épiscopale allemande a rendu sa synthèse incluant une partie sur ce que l’expérience allemande peut apporter au synode universel. Au terme du chemin synodal, une contribution sera aussi préparée pour l’Instrumentum Laboris du synode des évêques d’octobre 2023, sans doute un document spécifique sur ce que signifie être une Eglise davantage synodale.

Pourquoi inquiète-t-il le Saint-Siège ?

Dès juin 2019, le Pape a écrit aux catholiques allemands, pour rappeler que la démarche devait se dérouler dans des « enceintes protégées » (« Geschützter Ort »). Les délibérations doivent-elles être non publiques ? Pour les Allemands, non. Pour eux, cette notion d’espace protégé ne veut pas dire « clos ». La transparence fait partie de l’authenticité d’une démarche qui s’adresse aussi indirectement à l’ensemble de la société allemande. La toute dernière assemblée générale tenue en septembre dernier à Frankfort a connu un développement significatif à  cet égard.  Les  évêques y ont décidé que les votes cruciaux se feraient, non pas de manière secrète, mais « namentlich », « nommément ». Ce geste considérable a apaisé un climat devenu très lourd car certains évêques, en ne s’étant pas exprimés sur les sujets en débat, avaient contribué à créer un effet de surprise totale quand on a constaté que la majorité des  deux tiers d’entre eux requise pour l’adoption définitive des textes n’était pas réunie pour soutenir un texte très important sur la morale sexuelle de l’Eglise catholique. Que ceux qui étaient d’une opinion différente du texte soumis à l’approbation n’aient pas déposé d’amendements ni exprimé leur opposition a beaucoup choqué. Cet événement a reposé la question du vote en conscience, du for intérieur, du droit à préserver son anonymat. Or dans un contexte de synodalité, on table sur la confiance mutuelle. L’Eglise allemande a pris clairement le parti de la transparence. Elle en fait un élément de la vie synodale. Or cette conception ne prévaut pas forcément au niveau de l’Eglise universelle. Ce n’est peut-être pas cela que le pape François a en tête ! Cette crise, salutaire à certains égards, s’est résolue grâce à la clairvoyance, à la force morale et spirituelle de Mgr Georg Bätzing, évêque de Limburg et président de la Conférence épiscopale allemande. La dimension émotionnelle était très forte. Il faut imaginer une salle dans laquelle ils sont placés par ordre alphabétique : des conservateurs sont assis à côté de théologiens très engagés. On se parle. On ne peut pas s’ignorer !

Que va–t-il se passer après mars 2023 ?

Les participants ont décidé qu’au-delà du Chemin synodal lui-même, un processus permanent similaire de dialogue devrait être instauré. Ils ont sélectionné les textes qui devaient absolument être approuvés, avant la fin de cette quatrième rencontre, pour pouvoir assurer la bonne fin  du processus. Parmi ces textes une décision  encore à approuver en mars 2023 établira  un « Comité synodal ». Prenant le le relais du Chemin synodal, il  préparera l’avènement  d’une Assemblée synodale permanente, paritaire, à partir de 2026. Cela consacrera le fait que, dans sa vie courante, l’Eglise allemande se place sous le signe de la synodalité. Ce Comité sera composé de 27 évêques, 27 laïcs issus du ZdK et 27 membres élus par diverses communautés exerçant des responsabilité spécifiques soit 81 personnes – quand le Chemin synodal en rassemble 230 .

Ils ont aussi adopté trois textes, fondamentaux et opérationnels. L’un porte sur la question de qui peut et dans quelles circonstances prononcer une homélie, célébrer un baptême et un mariage. S’agit-il seulement les prêtres ? Pour une part, cela se peut se régler au sein de l’Eglise allemande mais l’autre sera renvoyée à l’Eglise universelle. L’eucharistie, elle, n’est pas remise en cause ! Ce texte prépare notamment à une réflexion sur le diaconat des femmes.

Dans la mesure où l’on distingue bien, dans un texte opérationnel, ce qui peut être mis en œuvre dans le cadre des dispositions canoniques existantes , au niveau des diocèses et de l’Eglise allemande, et ce qui relève davantage d’un consensus et d’une décision du Pape ou d’un concile, normalement, les apparences sont sauves. Cette distinction n’était pas suffisamment clairement faite.

Un autre porte sur le fait de lever le tabou sur la situation des prêtres qui ne sont pas hétérosexuels. Il découle du Forum sur l’existence des prêtres aujourd’hui. Comment normalise-t-on la situation des prêtres qui se déclarent homosexuels ? Il peut paraître étrange, à nous Français, qu’il y ait une telle urgence sur un tel thème. La question est très sensible en Allemagne où la problématique des identités de genre a été largement débattue, notamment à l’initiative des mouvements de jeunes catholiques que les discriminations en la matière révoltent. Le troisième document traite de la diversité des orientations sexuelles, notamment pour les salariés des services ecclésiaux. Une personne homosexuelle peut-elle être « Pastoralreferent » ou « Pastoralreferentin », autrement dit « assistant pastoral », auquel on confie en paroisse nombre de tâches d’animation et d’accompagnement pastoral ?

Que dire de la pédagogie mise en œuvre dans ce chemin synodal ?

Les participants ont expérimenté à quel point ils pouvaient être différents. Ils ont géré cette confrontation de façon chrétienne. De ce point de vue-là, cela me paraît encourageant, si l’on admet qu’un des principaux problèmes de l’Eglise en France est la diversité de convictions. Il y a des nuances très différentes dans le catholicisme français. Jusqu’à présent, il a été très difficile de les aborder. Même lors du Synode sur la synodalité, toutes les « figures du catholicisme » de notre pays ne se sont pas senties concernées. Beaucoup ne sont pas venus parce qu’ils n’y croient pas et ou sont à priori en désaccord avec les thèmes ou les questions abordées lorsqu’elles leur paraissent affaiblir l’Eglise. Les jeunes, de même, ne semblent pas avoir été très nombreux. L’expérience du Synode sur la synodalité à l’échelle des diocèses n’étaient donc qu’un début à approfondir.  L’étape suivante en France pourrait aller plus loin dans la capacité de s’écouter mutuellement. Ici, les Allemands nous donnent des clés : « On n’est pas d’accord mais on discute ensemble » disent-ils. Et non pas les uns contre les autres (« gegeneinader ») : les uns avec les autres (« miteinander »). On espère que cette discussion pourra engendrer une étape nouvelle, qu’elle ne nous réduira pas au plus petit dénominateur commun mais qu’elle nous permettra de savoir ce qui tisse la foi des autres et d’avancer dans la « contraposition » et non la juxtaposition , comme l’a écrit le pape François. L’Eglise catholique allemande a fait un grand pas dans cette direction, poussée par une nécessité impérieuse d’éviter une très grave crise de confiance, plus aigüe encore que celle que nous traversons. Leur culture juridique les a certainement aidés, associée à une motivation forte, enracinée dans la Sainte Trinité pour vivre la diversité, s’écouter et prier ensemble. Cela doit nous donner courage pour trouver notre propre chemin en tant qu’Eglise en France, clercs et laïcs. Les évêques doivent être garants de l’unité du troupeau mais on ne peut pas le faire en taisant les choses sur lesquelles nous nous affrontons. Il faut pouvoir en parler.

Prenons l’exemple de la nomination des évêques. Le chemin synodal a adopté un texte qui encourage les diocèses qui le souhaitent à créer les conditions d’une consultation des laïcs. Jusqu’à présent, l’instance qui prépare les trois noms soumis au Pape, le « Conseil de la cathédrale », n’était composé que de clercs. Ce conseil peut, s’il le veut, susciter une instance composée de laïcs qui donneront leur avis sur cette sélection (« Ternat »). L’évêque ainsi choisi bénéficiera sans doute d’une forme de soutien qu’il n’aurait pas eu autrement. Rien de tout cela n’est contraire au droit canonique. Mais cela n’a sans doute pas été du goût de certains au Vatican, au point de publier une déclaration le 21 juillet 2022, très réprobatrice mais non signée. Où est la clarté ?

Comment expliquer les avertissements répétés de Rome ?

On peut comprendre que le Pape soit embarrassé par cette démarche allemande qui prend de vitesse le processus mondial de réflexion synodale sur la manière d’être aujourd’hui en Eglise et qu’il a lui-même engagé dès 2018 en somme, avec la Lettre adressée à tout le peuple de Dieu. D’une certaine manière , l’allongement de la durée du Synode sur la synodalité, permettra de mieux prendre la mesure de la diversité des attentes et surtout des questions posées, y compris celles que l’Eglise allemande le prie de mettre en débat. Il semble aussi que le pape François reproche à l’Eglise allemande une certaine forme d’élitisme, loin de la piété populaire. Or le Pape plaide pour une Eglise pauvre pour les pauvres… Pour moi, cette critique envers l’Eglise allemande est injuste. La démarche du chemin synodal alllemand n’exprime pas un mouvement des élites se détachant du peuple, mais plutôt une réaction pour que le peuple ne fuie plus l’ Eglise massivement. Il est vrai que certains évêques allemands ont défrayé la chronique par un train de vie excessif, mais ce serait un contresens que d’y voir un manque d’attention généralisé pour les pauvres. La diaconie est une institution beaucoup plus développée en Allemagne que chez nous, pour des raisons historiques, comme l’a montré d’ailleurs l’accueil fait aux réfugiés syriens en 2015/2016. Je suis donc en désaccord avec le qualificatif «  élitiste ». En revanche, l’Eglise allemande compte beaucoup de laïcs formés théologiquement, notamment les nombreux auxiliaires de la vie paroissiale. Ce n’est donc pas une communauté de « laïcs soumis ». Ce sont des professionnels, rémunérés, bien souvent des femmes, qui accomplissent une très grande variété de tâches pastorales et de discernement spirituel, auprès de diverses instances sociales.

La collégialité épiscopale est-elle compatible avec la synodalité ? Comment les articuler ?

Lors de ma participation au chemin synodal, cette articulation s’est produite sous la houlette du Président de la Conférence, Mgr Bätzing et de ses vice-présidents. A au moins trois reprises, il a sollicité l’interruption de l’assemblée générale du chemin synodal pour pouvoir se réunir avec ses frères évêques et évaluer avec eux la situation où ils se trouvaient dans ce dialogue difficile avec les laïcs. La collégialité a eu le pas sur la synodalité. Les évêques qui ne s’étaient pas exprimés auparavant ont pris la parole devant leurs frères pour exprimer les motifs de leurs désaccords éventuels, en l’occurrence sur un texte mettant en question certains aspects de la Doctrine de l’Eglise en matière de sexualité. Il y a eu débat ouvert au sein de la collégialité, ce qui est peut être plus facile dans une assemblée qui ne comporte que 67 évêques. Lorsque l’assemblée générale a repris ses travaux, Mgr Bätzing a posément rendu compte des résultats de la délibération collégiale. Il se fit alors une grande émotion car c’était une parole juste. Sur le même ton de vérité, Mgr Bätzing s’est adressé aux plus véhéments des laïcs catholiques qui, dans leur amertume face à l’échec du texte en question, en étaient venus à mettre en cause la possibilité de prendre part à l’eucharistie qui devait suivre. « Ce serait incompréhensible de prendre en otage le sacrement d’eucharistie à cause d’un différend entre nous, alors que c’est l’eucharistie qui seule exprime où se trouve notre unité ». A partir de cet instant, l’atmosphère de la synodalité elle-même avait changé. Etait devenue tangible pour cette assemblée la spécificité du ministère ordonné, au regard de sa singularité sacramentelle : nous sommes tous égaux (« prêtres, prophètes et rois ») mais ceux qui ont été ordonnés ont la charge du sacrement eucharistique. Ceux-là n’accomplissent pas la même tâche. L’eucharistie est le moment central où le peuple se met en présence de Dieu et le reçoit, mais grâce aux prêtres et aux évêques qui assument ce ministère au nom de la communauté.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

Cette interview est la version intégrale des « 3 questions à » Jérôme Vignon, du Courrier Mission et Migrations (n°3 – Octobre 2022).
Que retenir du chemin synodal allemand pour la France ? On pourrait craindre que la démarche du  synode français sur la synodalité ne se perde dans les sables, alors que de nombreuses synthèses diocésaines exprimaient une urgence de changement bien reflétée dans la copieuse « collecte «  transmise par les évêques lors de leur  réunion à Lyon en juin dernier.  Rien de révolutionnaire mais une relation d’un type nouveau entre clercs et laïcs, et une meilleure inclusion des laïcs, notamment dans la vie pastorale et la mission. Le calendrier très large du processus romain pourrait faire retomber cet enthousiasme. Cela donnerait raison aux sceptiques estimant que « c’est là-haut que ça se décide ». C’est pourquoi il me semble que l’on devrait commencer à mettre en application les urgences signalées par cette collecte, en s’attelant à tout ce qui dépend de nous, à notre modeste échelle diocésaine où nationale. La  balle est autant dans le camp des laïcs que dans celui des évêques pour ne pas laisser retomber la joie ressentie de pouvoir enfin s’exprimer de manière libre et ouverte sur l’Eglise et sa mission, comme nous voulons les vivre ensemble.

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