Madagascar : le talon de la soif

En l’absence de nourriture, la population du sud de Madagascar mange des criquets.

Un article du journal Ouest France, daté du 26 juin et intitulé : « Réchauffement climatique : Madagascar, premier pays à subir la famine », a interpellé le Père Michel Fournier, ancien directeur de la Cellule Accueil et fin connaisseur de Madagascar, ce pays à l’allure d’un pied gauche dans l’océan Indien.

A plusieurs reprises depuis 1967, je me suis rendu dans le « talon », à cheval sur le tropique du Capricorne. Déjà à cette date, des scènes de précarité dues à la sécheresse m’avaient frappé. Mais en novembre 2016, j’ai vu l’insoutenable : des enfants et des adultes tendant au bord des routes une bouteille vide pour quémander de l’eau. Désolation !

« La famine à Madagascar fait des ravages, contraignant des habitants à manger des criquets, des feuilles de cactus et même de la boue, a alerté vendredi un responsable de l’ONU, en soulignant qu’il s’agit du premier pays au monde à expérimenter la faim due à la crise du réchauffement de la planète. (…) L’emprise de la famine est particulièrement importante dans le sud du pays. Il y a plus d’un mois, l’ONU avait déjà alerté sur une famine en progression mettant à risque plus d’un million de personnes. »         

La sécheresse n’est pas une nouveauté dans le sud de l’île. Un village de bord de mer se nomme « Sarodrano » (Là où l’eau est difficile), par exemple. Mais le réchauffement climatique rend la vie quasi impossible et transforme cette région semi désertique en véritable désert.

Une des plantes les plus répandues de la région est le cactus, sous de multiples espèces. Une ville porte même le nom de « Beraketa » (Beaucoup de cactus). Le fruit est bien connu sous le nom de figue de barbarie. Mais on en est réduit à consommer les feuilles ! Quant aux criquets, c’est un autre fléau qui se sert des feuilles et des plantes avant les habitants. Je n’avais jamais entendu parler de manger de la poussière ! On en est rendu là !

Parlons des habitants les « Antandroy ». Leur nom est évocateur : « habitants au pays des épines ». Il y a aussi les Mahafaly (les gens heureux). Depuis longtemps (toujours ?) abandonnés à leur sort, les hommes émigrent, laissant au pays femme et enfants. Ils trouvent des emplois de forçats (tireurs de pousse-pousse, éboueurs, coupeurs de canne à sucre …). Ils reviennent – ou pas – avec une maigre escarcelle. Ça ne fait que repousser le problème.

Appel à la communauté internationale

A la suite d’une visite, Lola Castro, directrice régionale du Programme alimentaire mondial (PAM) pour le sud de l’Afrique, et David Beasley, patron du PAM, s’expriment de concert : « Nous avons des gens au bord de la famine et il n’y a pas de conflit. Il y a juste le changement climatique avec ses pires effets qui les affecte gravement », jugeant une « action rapide plus que nécessaire » de la part de la communauté internationale. « Ces gens n’ont contribué en rien au changement climatique et ils en prennent l’entier fardeau à l’heure actuelle » a-t-elle regretté.

Situation gravissime dans le sud, donc. Mais malheureusement, elle s’étend sur toute l’île à des degrés divers. Depuis des décennies, les saisons des pluies se montrent de plus en plus chiches. L’ouest est particulièrement touché. Le dérèglement climatique vient ensuite aggraver une situation déjà initiée par des pratiques agricoles, domestiques et industrielles. Madagascar a perdu, dit-on, plus des trois quarts de ses forêts, suite à la pratique de l’écobuage. Plus récemment, l’exploitation illégale du bois de rose pour l’exportation vers l’Asie massacre des hectares de forêt primaire dans le nord-est. Et l’île ne possédant pas de ressources pétrolières ou gazières, on utilise le bois pour les usages domestiques et les petites entreprises comme les distilleries, les forges, etc. Résultat : stérilisation des terres, glissements de terrains, raréfaction des pluies. Cerise sur le gâteau, le réchauffement climatique perturbe les récoltes et provoque une précarité alimentaire de plus en plus sensible.

Comment ne pas conclure avec les émissaires de l’ONU et du PAM : « L’île de l’océan Indien reste difficilement accessible à l’aide comme aux médias, en raison de la pandémie de Covid-19 et des restrictions qui l’accompagnent. Les agences humanitaires peinent aussi à sensibiliser sur la tragédie, alors que les fonds manquent pour apporter suffisamment d’aide. »

Madagascar, victime collatérale oubliée de la Covid et des luttes d’influence des Nations dites unies ?

Père Michel Fournier, ancien directeur de la Cellule Accueil

L’histoire se répèterait-elle ?

En 1971, une révolte paysanne éclate dans le sud. Elle est causée par la misère et l’abandon par le pouvoir central. Le président d’alors, « père de l’indépendance », Philibert Tsiranana, réprime durement les manifestants et semble maîtriser les troubles. Mais quelques mois plus tard, la révolte s’étend. Il est contraint à la démission. Et rien n’est résolu.

Ces dernières semaines, le président Andry Rajoelina a fait l’objet d’une tentative d’assassinat visant sa personne et la déstabilisation du pouvoir en place. Raisons multiples de mécontentement, entre autres, la mauvaise gestion de la famine dans le sud.

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