Un colloque sur la résilience de l’Afrique

En juin 2021, Pierre Diarra, théologien et enseignant l’Université Catholique de Paris, a participé au colloque international organisé par l’Université Catholique d’Afrique de l’Ouest à Abidjan (Côte d’Ivoire), sur le thème : « Le développement de l’Afrique à l’épreuve des crises : les chemins de la résilience ».

Les crises qui frappent les populations sont multiples. Elles sont différemment appréciées selon les continents et les divers points de vue que les uns et les autres retiennent. La pandémie de la covid-19 a ouvert nos yeux sur nos liens au niveau mondial, sur nos communes responsabilités. Nous pouvons contaminer les autres et ils peuvent mourir de la maladie que nous leur avons transmise. Quand il fait très chaud ou très froid, cela peut provoquer des crises. Quand il pleut souvent et abondamment, des inondations peuvent provoquer diverses crises. Quand il ne pleut pas suffisamment ou régulièrement, les populations des pays du Sahel, au sud du Sahara notamment, subissent des difficultés plus ou moins liées à la vie sociale et religieuse. La famine qui frappe plusieurs régions de Madagascar peut s’expliquer de diverses manières. Les crises peuvent être économiques, sociales, religieuses, psychologiques etc. Elles nous incitent à réfléchir sur toutes nos responsabilités, les relations que nous entretenons avec les autres, pas seulement dans notre région ou notre pays, mais aussi au niveau du monde, au niveau de notre planète.

En participant au colloque international d’Abidjan, en juin 2021, sur « Le développement de l’Afrique à l’épreuve des crises : les chemins de la résilience », l’occasion m’a été donnée de réfléchir sur nos liens sociaux et la mission universelle de l’Église. Les médias utilisent souvent le terme résilience, sans forcément en préciser le sens ni son importance au niveau de la vie sociale et religieuse. « Faire preuve de résilience », c’est être capable de se reconstruire après un moment difficile. Il s’agit pour l’être humain de se dépasser, mais surtout de s’accrocher (à quoi ?) et de ne jamais baisser les bras. Mais l’être humain ne vit pas seul et, par conséquent, la résilience qui le concerne a forcément une dimension sociale. Des crises et des calamités de tous ordres ont marqué notre monde ces dernières décennies. Citons la pandémie du VIH Sida, l’épidémie de la maladie du virus Ebola, la crise des subprimes, mais aussi le terrorisme, les attentats et les traumatismes qui y sont liés. Ces crises ont des conséquences d’ordre politique, économique, démographique, psychologique, religieux… Elles mettent à mal le développement et l’épanouissement personnel mais aussi le développement de certaines régions du monde. Certains pays ont des moyens pour lutter collectivement, d’autres n’en ont pas. L’exemple de la pandémie de la Covid-19 est palpable et, malgré les vaccins disponibles pour les pays riches et quelques privilégiés dans les pays en développement, reste une source d’angoisse partout dans le monde.

Effets des crises en Afrique

À Abidjan, l’Afrique a été au centre des réflexions et des propositions. Les effets des crises sur l’Afrique s’avèrent incalculables à plus d’un titre. Obligés souvent de se mettre en autarcie, les États accentuent les pénuries de biens de consommation du fait de la réquisition des unités de production nationale à des fins sanitaires. Les crises sanitaires accroissent les crises économiques, financières, politiques et même sociales. Les soignants sont épuisés, les gouvernements et divers responsables sont inquiets ; les jeunes comme les adultes voient leur avenir bouché. Tous découvrent les limites des moyens pour affronter collectivement la pandémie et les crises qui y sont liées. Pouvoir accompagner ses proches durant leur maladie et les derniers moments de leur vie devient un luxe face à la pandémie qui exige des premiers responsables des mesures draconiennes, presque inhumaines. Les conséquences sont drastiques pour les pays africains déjà très fragiles et dépendants des cours des matières premières.

À partir des résultats d’une analyse rapide, nous pourrions affirmer que les pays africains ne disposent pas de moyens de veille pour faire face à ces multiples crises. Il n’est même pas facile de savoir de quoi l’on meurt, tant les moyens sanitaires sont limités. Il n’y a pas de sécurité sociale dans la plupart des pays africains. En temps ordinaire, seuls peuvent être soignés les malades qui ont des moyens financiers ou un proche qui peut payer. Les centres de santé, les dispensaires et les hôpitaux disposent de peu de moyens. Que dire en temps de pandémie ? Et pourtant, les sociétés africaines et l’économie africaine semblent développer des systèmes d’alerte rapide permettant aux populations de résister à divers chocs et de faire fonctionner des systèmes de solidarité familiale et amicale. Les crises provoquent aussi des replis sur soi, des endettements et des dépendances, mais il est possible de chercher les raisons permettant d’affirmer que l’Afrique ne manque pas de résilience ! Que propose-t-elle sur le chemin de la résilience, hier comme aujourd’hui ? En quoi cela consiste-t-il ?

Grâce au colloque international organisé sur le thème « Le développement de l’Afrique à l’épreuve des crises … », l’UCAO/UUA a voulu créer un cadre de réflexion sur les conditions pouvant permettre de tracer « … les chemins de la résilience ». Les débats pluridisciplinaires, à la fois théoriques et empiriques, théologiques et anthropologiques, ont abouti à des recommandations qui serviront de socles à la construction de cette résilience dans tous les domaines de la vie des populations africaines : économie, santé et sécurité, religion et anthropologie, communication, droit et philosophie, politique, sociologie, etc.

Identité et croyances en Afrique 

Les réflexions et contributions ont été construites autour de quatre thématiques constituant les axes du colloque. Le premier axe s’énonce ainsi : « Identité et croyances en Afrique : facteurs de résilience ». Le terme « Identité » renvoie aux questions suivantes : « Qui suis-je ? » ou « Qui dois-je être ? » ou encore « Qui sommes-nous ? » ou, en essayant d’engager une analyse voire une critique, « Qui sommes-nous devenus ? » Confrontés à diverses crises, que deviennent les Africains ? Nos relations sont-elles modifiées et dans quels sens ? Changeons-nous d’identité ou ajustons-nous nos besoins, désirs et manières de vivre aux crises et à la réalité qui semblent s’imposer à nous ? Comment résistons-nous ? Quels choix les Africains doivent-ils opérer aujourd’hui, notamment en matière de croyances ? Il est trop facile de dire que cela n’a rien à voir avec les croyances et les religions. Pour préciser ce premier axe, les sous-thèmes suivants ont été proposés aux chercheurs : rationalisation comme chemin de résilience ; connaissance de soi et perspectives de résolution des crises ; théologie et développement intégral en Afrique ; lien entre tradition, religion et pouvoir en Afrique, etc.

Les dynamiques historiques de la résilience 

Le deuxième axe a focalisé l’attention des chercheurs et participants sur « les dynamiques historiques de la résilience ». Différents moments de l’histoire de leur continent ont mis les Africains à l’épreuve de la résilience. Les contributions au niveau de cet axe ont permis d’analyser les dynamiques historiques telles que : résiliences dans les sociétés traditionnelles au moment des crises ; esclavage et résilience ; formes de résilience dans la formation de royaumes et de groupements humains dans l’Afrique précoloniale ; colonisation et décolonisation avec diverses formes de résilience : nationalismes, fédéralismes, socialismes et marxismes, syndicalismes, négritudes, panafricanismes ; conversions et changements de religions, importance des nouveaux mouvements religieux plus ou moins sectaires, communautés et associations chrétiennes ; indépendances et résiliences ; conférences nationales souveraines comme formes de résiliences, etc.

Cet axe a retenu mon attention ; aussi ai-je proposé la communication suivante : « Pluie, rites et résilience. Retrouver l’équilibre dans les sociétés traditionnelles des Bwa ou Bwaba (Mali et Burkina Faso) ». Quand le croyant prie afin qu’il pleuve et que la pluie n’arrive pas, que doit-il faire ? Doit-il revoir ses relations à son Dieu, à ses ancêtres ou à d’autres êtres invisibles ? Doit-il revoir sa spiritualité ou les objectifs de ses prières et leurs enjeux ? Doit-il recourir aux pratiques cultuelles anciennes qui semblent plus « efficaces » ou adopter de nouvelles pratiques, en se convertissant par exemple à l’islam ou au christianisme ? Le manque de pluies ou leur irrégularité provoquent des crises dans les régions rurales où la réussite de la saison agricole dépend surtout de la pluviométrie. Quelles solutions les différents responsables proposent-ils pour « rebondir » ? L’évocation de la sécheresse de 1972-1974 et les rites qui ont favorisé la résilience des adeptes des religions traditionnelles africaines (RTA) à Mandiakuy (Mali), lieu où se sont installés les premiers missionnaires chez les Bwa, permettent d’orienter le chercheur vers ce que nous pourrions appeler résilience anthropologique et sociale. Les interrogations suscitées par cette crise interpellent les chercheurs, pas seulement ceux du Sahel, afin qu’ils mènent diverses réflexions, y compris théologiques et missiologiques, sans oublier les conséquences missionnaires. Les crises ne sont-elles pas des occasions pour le croyant de réfléchir, de se convertir et de tisser de nouvelles relations avec son Créateur, ses semblables et le cosmos ? Comment articuler la résilience personnelle à celle plus collective, voire universelle, en lien avec l’avenir de notre planète ?

Développement de l’Afrique et résilience 

Le troisième axe retenu est : « Développement de l’Afrique et résilience ». Le développement économique de l’Afrique ne peut se faire sans les Africains ; il passe nécessairement par la réduction du chômage, de la pauvreté, mais aussi par l’amélioration du niveau d’éducation, de la formation et de la santé des populations. Ce qui suppose l’engagement de tous pour la sauvegarde du Bien commun, avec une réelle lutte contre la corruption. Peut-on parler d’un développement économique résilient ? Peut-on parler d’éthique, de partage et même de gratuité en matière de résilience ? Les sous-thèmes de ce troisième axe sont nombreux : effets des crises sur la pauvreté et sur les finances publiques ; infrastructures de base, éducation et santé des populations ; crises et système financier africain ; nécessité d’un système productif résilient ; diaspora et résilience ; monnaie unique et développement en Afrique ; résilience, individualisme, tribalisme et corruption, etc.

Droit, gouvernance et communication en Afrique 

L’attention des organisateurs, chercheurs et participants a été retenu par un quatrième axe : « Droit, gouvernance et communication en Afrique ». La résolution des crises relève en grande partie du politique en termes de gouvernance, de responsabilités et d’enjeux. De nombreux facteurs entrent en jeu pour cerner et analyser la capacité à gérer les crises et les conflits, les violences de toutes sortes, les sanctions et les prisons ; l’éducation et la formation des populations ne doivent pas être négligées. Comment mobiliser des moyens de communication pour diffuser les informations importantes et exiger de la transparence de la part des pouvoirs publics ? Comment ne pas croire n’importe quoi, notamment sur les bienfaits et méfaits des vaccins ? Comment tendre vers une clarté dans la gouvernance ? Les chercheurs ont appréhendé le rôle du droit, de la gouvernance et de la communication dans le processus de résilience :  droit communautaire à l’épreuve des crises ; gestion du bien commun et des conflits ; éducation au dialogue, à la résilience personnelle et commune ; information et transparence dans la gouvernance.

Souhaitons que les actes de ce colloque soient publiés un jour. En attendant, acceptons-nous que soient inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure (Laudato si’, n°10 et 240), l’amour de Dieu, l’amour du prochain et la gratuité fraternelle (Fratelli tutti, n°140) ? Acceptons-nous que notre vie et notre avenir soient liés à ceux des autres ? Nous sommes invités à prendre soin les uns des autres et à travailler pour le salut de tous. Je souhaite que ces idées vous aident, chères lectrices et chers lecteurs, à penser aux Africains et à soutenir les Églises d’Afrique ; c’est aussi cela réfléchir sur la mission universelle de l’Église pour mieux la vivre. Les migrations peuvent être l’expression d’une résilience et parfois celle d’une désespérance, voire un appel au secours que différents responsables sont invités à entendre, en Afrique mais aussi ici, en France, et ailleurs dans le monde.

Pierre Diarra
Théologien, enseignant à l’Université Catholique de Paris, rédacteur en chef de la revue Mission de l’Eglise, consulteur au Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux.

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