La pandémie aggrave les violations des droits des indigènes du Brésil

Dom Roque Paloschi, président du Conseil indigéniste missionnaire et archevêque de Porto Velho (Brésil).

Dom Roque Paloschi, président du Conseil indigéniste missionnaire et archevêque de Porto Velho, dans l’État brésilien du Rondônia, en Amazonie, est intervenu lors de la 58e Assemblée générale des évêques du Brésil qui s’est tenue pour la première fois en ligne, du 12 au 16 avril 2021, pour dénoncer une “forte augmentation des violations des droits humains” des peuples d’Amazonie.

“Mes chers frères,

Le Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI) remercie la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) pour son soutien à ce Conseil et aux peuples indigènes dans leur lutte pour le « Bien Vivre ». Le contexte politique indigéniste au Brésil est celui d’une régression, avec une forte aggravation des violations des droits humains des peuples indigènes, notamment en ce qui concerne l’homologation de leurs territoires.

En cette période de pandémie, nous avons dû nous retirer des villages, arrêter tout contact direct avec nos frères et sœurs indigènes afin de préserver leurs vies. Une absence douloureuse pour nous et pour les populations indigènes, car la mission du CIMI est d’assurer une présence solidaire et engagée.

La pandémie, qui a déjà coûté la vie à plus de 350 000 Brésiliens, a atteint les villages, causant la mort de plus de 1 000 indigènes et en infectant plus de 50 000. Les indigènes, avec une grande tristesse, ont signalé la perte de véritables bibliothèques vivantes, avec la mort de leurs aînés. La tragédie a pu être circonscrite car ils ont interdit l’accès à leurs territoires. Outre la pandémie, les populations indigènes sont confrontées à l’absence de dialogue avec le gouvernement actuel. Les attaques des secteurs anti-indigénistes alliés aux trois pouvoirs de l’État brésilien sont constantes. Les discours et les actions du Président de la République à l’égard des indigènes sont marqués par l’ignorance, les préjugés, la discrimination et la violence. Il a déclaré qu' »il n’y a pas d’indigènes au Brésil« , qu' »il n’homologuera pas un centimètre de terre indigène« , que les « indiens dans leurs territoires sont comme des animaux dans un zoo« , que pour « être humains, ils doivent s’intégrer dans la société » et que leurs terres doivent être exploitées par des entreprises. Dans un discours devant l’ONU, il a déclaré que les « incendies étaient la faute des indigènes et des caboclos1 de l’Amazonie« .  L’élection de 2018 a renforcé la faction ruraliste et évangélique fondamentaliste titulaire d’importants mandats au sein du gouvernement : à la Funai2, au ministère de la Justice, à l’INCRA3, à l’IBAMA4, à l’ICMBIO5, à la Fondation Palmares6 et bien d’autres, comprenant des personnes hostiles aux peuples indigènes, quilombolas7 et autres communautés traditionnelles. La Funai et le ministère de la Justice ont un rôle fondamental à jouer dans la conduite des procédures administratives d’homologation des terres indigènes, ce qui n’est pas le cas actuellement. Au cours de ces deux dernières années, aucun processus administratif d’homologation des territoires n’a été engagé et ceux qui étaient en cours ont été paralysés au profit des secteurs anti-indigénistes.

Querida Amazonia !

En organisant le Synode de l’Amazonie, le Saint-Père a attiré l’attention sur l’importance de la région, de ses écosystèmes et surtout des peuples natifs et traditionnels, sur la richesse et la nécessité de préserver cet environnement pour l’avenir de la vie sur la planète. Malheureusement, dans notre Rapport sur la Violence pour l’année 2019, nous constatons une réalité perverse et inquiétante, où les expropriations des terres indigènes se sont intensifiées, par des invasions, occupations, des attributions rapides et agressives de terres au détriment des peuples natifs et traditionnels en Amazonie et sur tout le territoire national. Ce concept pervers de gouvernance a causé des destructions inestimables, affectant la vie des peuples indigènes et la protection de l’environnement.

Le territoire du peuple Yanomami a été envahi par plus de 15 000 orpailleurs clandestins, il en va de même pour le territoire de Raposa Serra do Sol, dans l’État de Roraima. Dans la vallée du Javari (Amazonas), où se trouve la plus grande population de peuples en isolement volontaire au monde, les invasions sont une constante dans une dynamique de véritable génocide.

Dans le Mato Grosso do Sul, les conflits et la violence contre leset les Terena sont permanents. Dans le sud du Brésil, les agressions contre les peuples Kaingang, Xokleng et Guarani se multiplient, entrainant une situation désastreuse. Dans le Rondônia, les invasions et les occupations illégales du territoire des Uru-Eu-Wau-Wau et des Karipuna sont extrêmement graves, obligeant les peuples isolés à sortir pour chercher de la nourriture. Dans le Mato Grosso, les territoires des Xavante et des Kayapó sont constamment envahis par des orpailleurs clandestins.

Dans l’État du Pará, se déroule l’une des plus grandes tragédies du pays. Les territoires des peuples Munduruku, Kayapó et Arara sont systématiquement envahis par des orpailleurs clandestins encouragés par des agents gouvernementaux, ministres d’État, maires, députés, sénateurs. L’utilisation de mercure dans le processus d’exploitation minière a entraîné la contamination des populations Munduruku et Kayapó. Les indigènes ont dénoncé au niveau international l’invasion de leurs territoires, la contamination des eaux des rivières et des poissons qui sont la base de leur nourriture, provoquant de graves maladies. Cette tragédie pourrait s’étendre à toute la région sud-ouest du Pará et même à la population de Belém, la capitale, qui consomme du poisson de cette région. Les générations Munduruku actuelles et futures sont en danger. Récemment, un jeune missionnaire du CIMI, Cássio, 35 ans, qui travaillait avec ce peuple, est mort d’une maladie dégénérative provoquée par une contamination au mercure. Devant ce contexte de destruction et de mort, le président de la République et ses ministres se sont réunis avec les secteurs minier et agroalimentaire pour soutenir les invasions et coordonner les actions du pouvoir exécutif et les mesures législatives contre les peuples indigènes.

En février 2020, le gouvernement a présenté le projet de loi PL191 à la Chambre fédérale des députés pour réglementer la recherche et l’exploitation des ressources minières, l’extraction d’hydrocarbures et l’utilisation des ressources en eau pour produire de l’électricité sur les terres indigènes. Le vote de cette loi a fait partie de la négociation avec la faction ruraliste pour obtenir son soutien lors de l’élection du nouveau bureau exécutif de la Chambre des députés. La proposition d’amendement à la constitution PEC 215 et le PL 490 qui visent à amender les articles constitutionnels garantissant les droits des peuples indigènes au Brésil étaient aussi inclus dans la négociation.

L’impact de la crise sanitaire

À la faveur de la pandémie, en 2020, la Funai édite l’instruction normative IN 09, qui permet de légaliser des propriétés au sein de territoires indigènes non encore homologués. En 2021, la résolution 04/21 instaure de nouvelles normes pour  » l’hétéro-identification » (méthode d’identification ethnique d’une personne à partir de la perception sociale d’une autre personne, NDLR) des populations indigènes. Dans la foulée, le 22 février, elle édite, avec l’IBAMA8, l’Instruction Normative Conjointe INC/21 qui instaure un permis environnemental pour les entreprises sur les terres indigènes.

L’IN 09 a déjà été annulée dans 15 États par des actions intentées par le ministère public fédéral (MPF) et la résolution 04/21 a été suspendue par la Cour Suprême à la fin du mois de mars 2021, par l’intermédiaire du juge Luís Roberto Barroso. L’INC 01 suivra probablement le même chemin de remise en cause juridique parce que traduisant un manque flagrant de respect des droits constitutionnels des peuples indigènes.

Dans cette situation d’attaque, de non-respect des droits des peuples indigènes par les pouvoirs exécutif et législatif, les peuples indigènes s‘appuient de plus en plus sur le pouvoir judiciaire. Avec le soutien du ministère public fédéral dans les régions, de nombreuses actions ont été menées en faveur des peuples indigènes. Certaines victoires et certains espoirs se sont concrétisés tant devant la Cour suprême que devant le Tribunal fédéral.

En 2020, le juge Edson Fachin a rendu une ordonnance d’injonction suspendant les saisies de territoire des peuples indigènes dans tout le Brésil, tant que la pandémie persistera. Le juge Luís Roberto Barroso a également prononcé l’ADPF 709 (contrôle de constitutionnalité de la mesure prise, NDLR) en faveur des peuples indigènes, obligeant le gouvernement à établir un plan d’urgence pour prévenir et combattre la contagion et les effets du Covid-19 et pour protéger les territoires des peuples indigènes. Il est important de souligner que dans le Programme National d’Immunisation (PNI), le gouvernement fédéral considère comme prioritaire la vaccination de seulement 410 000 indigènes, alors que le recensement de 2010 a comptabilisé 890 000 indigènes au Brésil.

La décision prise par le juge Edson Fachin à la fin de l’année 2020 était importante, puisqu’elle plaçait le recours extraordinaire, RE 1.017.365, à portée générale, à l’ordre du jour de la Cour Suprême. Mais le juge Luís Fux l’en a retiré à l’approche de son examen. Ce RE touche aux droits constitutionnels des peuples indigènes, en se basant sur deux thèses : le cadre temporel, défendu par les ruralistes, en restreignant les droits des peuples indigènes à faire homologuer leurs territoires même s’ils en étaient en possession le 5 octobre 1988 et la théorie de l’indigénat, qui provient de la période coloniale, reprise dans la Constitution de 1988, qui donne aux peuples indigènes « les droits originels sur les terres qu’ils occupent traditionnellement« . Par conséquent, ce qui est en jeu dans ce procès est le droit le plus fondamental des peuples indigènes du Brésil, à savoir le droit à la terre. Nous souhaitons poursuivre notre plaidoyer devant le tribunal suprême fédéral afin que ce jugement soit rendu cette année. À cette fin, nous reconnaissons le soutien de la CNBB et lui en sommes immensément reconnaissants. Ce soutien a joué un rôle très important dans la défense des droits des peuples indigènes au Brésil.

Les défis posés par la pandémie en matière de soutien à nos frères et sœurs indigènes n’ont pas empêché la prévalence de la mission et la solidarité. Les actions d’urgence menées en 2020 et 2021, avec des distributions de nourriture, de produits d’hygiène, de produits de nettoyage et de protection personnelle, ont permis de sauver des vies dans tous les villages du Brésil.

Recevez les remerciements de nos missionnaires, consultants et employés dans cette mission de solidarité et d’engagement dans la lutte d’un peuple, mais qui est espérance pour tout le peuple brésilien.”

Dom Roque Paloschi
Intervention publiée par le Conselho Indigenista Missionário
(Traduction Maria Mesquita Castro, SNMM.
Les intertitres sont de la rédaction du site).

Le 21 mai 2019, la CEF se mettait à l’heure de l’Amazonie, en recevant Dom Roque Paloschi et Sœur Maria Irene Lopes, directrice exécutive du réseau ecclésial pour l’Amazonie de la CNBB et responsable de la conférence latino-américaine des religieux (CLAR). Tous deux membres du Conseil pré-synodal de l’Assemblée spéciale du synode des évêques pour la région pan-amazonienne. Relire l’interview.

1 Métis descendant d'unions entre européens blancs et d'amérindiens. Ils forment la population la plus importante du bassin amazonien.

2 Fondation nationale de l’Indien, qui suit tout ce qui touche aux peuples indigènes et organise donc les groupes d’étude et de travail pour la reconnaissance et l’homologation des terres indigènes.

3 Institut national de colonisation et réforme agraire qui a pour mission « de contrôler le respect de la fonction sociale de la terre et d'appliquer la sanction de l'expropriation à ceux qui ne la respectent pas ».

4 Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables.

5 Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMBio), organisation publique fondée en 2007 pour gérer les 770 000 km2 des réserves écologiques et biologiques brésiliennes. Chico Mendes était un syndicaliste et militant écologiste assassiné en 1988.

6 Entité publique liée au ministère de la culture dont le but est la préservation des valeurs culturelles, sociales et économiques résultant de l'influence noire dans la formation de la société brésilienne.

7 Communautés formées par les descendants d’esclaves en fuite.

8 Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables.
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