Accueillir les touristes à l’abbaye de Sénanque
Le décor est superbe : l’entrée du domaine de l’abbaye de Sénanque. Une tente, genre abri pour bricoleurs… devant, un champ de lavande, au fond, le monastère de Sénanque. Trois personnes accostent les touristes qui viennent pour visiter l’abbaye : bienvenue au nom des moines !
Un ministère d’accueil ? une expérience d’évangélisation ?
des vacances différentes ? autre chose ?
Trois personnes accostent gentiment les touristes qui viennent pour visiter l’abbaye, ou pour seulement la regarder, entrer dans l’église, prendre une photo au milieu des lavandes, avec les bâtiments romans à l’arrière-plan.
La phrase miracle pour attirer le passant pressé de visiter : bienvenue à Sénanque au nom des moines ; je vous accueille au nom des moines. Et là, les accueillants proposent de tirer au hasard un verset d’évangile écrit sur un micro bout de papier, comme on tire une carte du tarot. Et proposent à ceux qui le veulent d’écrire une intention de prière sur un cahier : « les moines prient pour vous, et à vos intentions ». Si l’accueilli ne fuit pas et s’il le veut, on lui donne des infos : heures des visites, heures des offices et de la messe, possibilité de voir un prêtre… d’ailleurs dans l’équipe d’accueil cette semaine-là, il y a un prêtre (le seul « local », du diocèse d’Avignon). Ce prêtre est en aube, il faut pouvoir le reconnaitre, assis un peu à l’écart… les touristes chinois le prennent en photo à la dérobée, pensant sans doute qu’il s’agit d’un moine. « Non, lui il n’est pas moine, il est prêtre, vous pouvez lui parler ».
Une équipe d’accueil assez hétéroclite : un jeune couple de la région parisienne, lui américain, éduqué protestant, devenu catholique il y a deux ans. Son épouse, chinoise, baptisée l’an passé. Travaille dans le luxe, dit ne pas connaitre grand-chose du christianisme. Un autre couple, d’âge moyen, membres des équipes Notre-Dame. Un chercheur en médecine, enseigne aussi l’éthique médicale à l’université, s’occupe des enfants de chœur dans sa paroisse ; il a une passion pour les Cisterciens. Une dame mariée, venue seule, qui travaille dans une maison pour enfants handicapés et qui fait aussi de l’aide à domicile pour personnes âgées. Une franco-dominicaine (St Domingue) qui vit au Mozambique. Le prêtre a 84 ans, retraité, il habite un quartier défavorisé de logements sociaux, exclusivement pour personnes non imposées. Ambiance.
La mission : accueillir, offrir des informations, inviter aux offices, à la messe, distribuer des Bibles ou des évangiles, inviter à écrire une intention de prière… on s’ajuste aux personnes qui passent. On écoute aussi : comment l’Église peut-elle inviter à pardonner ? Les attentats, c’est le massacre des innocents… « Nous ne faisons pas de propagande religieuse ».
Le prêtre à l’écart écoute, bénit des chapelets, des enfants, discute, confesse parfois…
A quoi cela sert-il ? « Nous écoutons… nous ouvrons des portes… nous sommes des passeurs… nous créons une atmosphère… nous témoignons de l’accueil, de la bienfaisance… nous donnons de la visibilité aux moines ». Plus banalement : on apprend aux touristes que Sénanque n’est pas qu’un monument historique, il y a des vrais moines qui y résident et y prient.
Chaque équipe d’accueillants reste 9 jours, du samedi au dimanche suivant. Accueil le matin et l’après-midi. Grande chance pour eux : avant le début de l’accueil, un moine fait une lectio divina au groupe. Qui peut aussi participer aux offices (même si Vigiles a 4.30 le matin, c’est tôt). Le groupe vit à l’hôtellerie du monastère : chambre simple, cuisine simple, repas en silence…
L’hébergement et les repas sont pris en charge par le monastère. Chaque bénévole donne une semaine de son temps, et paye son transport jusqu’au monastère. Chacun dit qu’il reçoit plus qu’il ne donne !
Selon les accueillants, tout baptisé pourrait exercer ce « ministère ». Mais ceux qui sont là sont quasi tous engagés dans la catéchèse, le catéchuménat, un service d’animation dans leur paroisse, ou un mouvement d’Église. Ce groupe-là que j’ai rencontré estimait que c’était une grande chance de compter un prêtre parmi eux… et celui-ci disait qu’il venait régulièrement à Sénanque pour « recharger ses accus ».
Et les visiteurs chinois (en tête du palmarès avec les Italiens et les Français), que retirent-ils de cette visite ? Question intéressante puisque dans le groupe des accueillants, il y avait précisément une chinoise. Selon elle, les touristes chinois viennent faire des photos : avec la lavande, et en ce mois d’août, ils sont déçus, car la lavande a déjà des teintes un peu passées, cela ne ressemble plus aux images flamboyantes qu’on voit sur les prospectus. Alors il faut expliquer… pour les groupes, c’est difficile, ils ne s’arrêtent pas. Les familles par contre acceptent de parler, et prennent volontiers un Évangile en chinois.
Sénanque, comme tous les monastères, est une oasis : on vient s’y désaltérer. Un temps de silence dans la rumeur du monde. Une pause dans l’agitation des vies de chacun. Et on repart. Qu’a-t-on reçu ? Avec quoi va-t-on repartir ? Difficile de faire une évaluation. D’apprécier les résultats de cette « évangélisation ».
Sénanque est de toute beauté, et dans la culture française, l’expérience esthétique mène parfois à une expérience religieuse. Beaucoup qui n’ont pas lu François Cheng savent cela !
D’ailleurs, on pourrait se demander pourquoi les gens viennent à Sénanque ? Peut-être parce que la visite est conseillée par le guide touristique. Peut-être pour des raisons que certains auraient du mal à verbaliser. L’occasion pour tant de Français qui ont pris de la distance avec l’Église catholique de leur baptême de renouer un lien, de souffler sur une braise qui couve, de revivifier une racine chrétienne un peu desséchée ?
Antoine Sondag,
août 2016
Ne pas confondre ce ministère d’accueil avec le service des guides qui font visiter le monastère : des jeunes qui se forment pour faire visiter (et sont payés pour cela). Sur ce sujet, lire aussi : Accueillir au nom des moines