Michele Pennetta : « La foi peut s’incarner aujourd’hui dans notre monde »

Après avoir été présenté dans la section « ACID 2020 » au Festival de Cannes, « Il mio corpo » sortira mercredi 26 mai 2021 au cinéma. Interview en français de son réalisateur né en 1984, l’italien Michele Pennetta.

Ce documentaire filme un autochtone et un migrant qui vivent tous deux « aux périphéries ». Il se passe en Sicile, comme vos deux précédents projets. Est-ce la vision que vous avez de l’Italie aujourd’hui ?

J’ai réalisé trois films en Sicile. « ‘A iucata » (Le pari, 2013), sur les courses de chevaux clandestines, « Pescatori di corpi » (Pêcheurs de corps », 2016), sur un pêcheur et un migrant, et enfin « Il mio corpo » (2020). Chaque projet aborde un thème en essayant de prendre un point de vue différent et il a conduit au suivant. Pour ne pas traiter directement le sujet de la migration, j’adopte le point de vue du pêcheur qui travaille illégalement en Méditerranée. Sa propre survie est liée aux bateaux de migrants car dès qu’ils arrivent, la police se manifeste. C’est une guerre entre des invisibles. Les autochtones aussi font partie des invisibles. Je ne dirais pas que c’est ma vision de l’Italie. C’est plutôt celle c’est que j’ai de l’Europe. On retrouve les mêmes dynamiques dans le Nord de la France et de l’Europe. Pour moi, il s’agit de personnes qu’on n’a pas envie de voir parce qu’elles sont en marge. Il vaudrait mieux ne pas savoir qu’elles existent.

Avec cette triologie, qu’avez-vous appris de la migration ?

Dans « Il mio corpo », je mets en scène deux personnages qui ont un destin commun. L’un est Sicilien, l’autre un migrant nigérian. Même s’ils viennent de mondes diamétralement opposés, ils habitent le même territoire, partagent un fort désir de changement et le fait que les grandes décisions de leur vie soient prises par quelqu’un d’autre. Dans le cas du jeune Oscar, c’est son père qui décide. Et dans celui de Stanley, c’est l’Etat.

Au début du film, je n’avais pas prévu de raconter l’histoire d’un migrant. J’ai rencontré Stanley à l’église car la famille sicilienne cherchait un lieu pour un baptême. Notre accord était qu’ils n’étaient pas rémunérés mais que je les aidais dans leurs démarches administratives. Le prêtre m’a expliqué qu’il confiait à Stanley des petits boulots et qu’il l’aidait comme il pouvait. C’est comme ça que j’ai pu faire un parallèle entre ces deux mondes.

Cette rencontre n’était pas prévue au départ. Dans la vie réelle, ils ne se seraient jamais rencontrés. Mais j’avais vraiment envie, à la fin du tournage, que cela arrive. Je me suis dit que cette rencontre allait peut-être provoquer une lumière, un espoir. J’avais envie de croire que quelque chose de mieux était possible, un autre chemin. On a toujours la sensation de parler de « l’autre », comme s’il faisait partie d’un autre monde. En réalité, nous faisons tous partie du même monde et ce serait bien qu’on s’écoute un peu plus.

Plusieurs images font référence au catholicisme : la statue de Marie trouvée à la décharge, le titre qui évoque l’eucharistie, la mer qui rappelle l’eau du baptême, le « Stabat Mater » de la fin. Quelle est la place de la religion pour vous et dans la société italienne ?

J’ai grandi bercé par une culture chrétienne dont les symboles religieux m’ont toujours fasciné. J’essaie de les comprendre et de les retrouver dans le monde d’aujourd’hui. J’ai grandi dans le Nord de l’Italie mais je suis originaire du Sud où la forte présence de la religion m’a tout de suite frappé. J’ai pensé à mon enfance. « Il mio corpo » fait référence au corps qui travaille mais aussi au sacrifice du Christ. Ce sacrifice est incarné par Oscar et Stanley dans le film. Quelque part, on cherche dans la religion un réconfort, un signe. La foi est plus proche qu’on le croit. Elle peut s’incarner aujourd’hui dans notre monde. C’est ce qui me fascine et me fait penser que Dieu existe. Il y a quelque chose de métaphysique dans cette histoire. J’ai essayé d’y mettre le bagage humaniste acquis au cours de ma vie.

L’été dernier, l’Eglise en Sicile a condamné la politique migratoire de l’Italie. Quel peut être son rôle selon vous ?

Pendant les repérages du film, ce que j’ai vu de l’action de l’Eglise m’a aidé à comprendre le contexte. Il ne faut pas oublier que l’Italie est en première ligne :  c’est le premier port de Méditerranée. En Sicile, il y avait le plus grand centre d’accueil de migrants d’Europe. Même si l’Eglise n’est pas riche dans le Sud, elle s’en occupe énormément. Stanley, par exemple, est accueilli deux ou trois jours chez des familles volontaires. On l’accompagne pour ses rendez-vous administratifs. L’Eglise organise des distributions alimentaires mais surtout, elle travaille sur l’intégration auprès des autochtones, pour faire comprendre aux gens du coin que les migrants ne sont pas là pour leur faire du mal mais qu’au contraire, ils peuvent faire partie de la communauté. Tout le travail que l’Etat ne fait pas ! Une fois que l’Etat leur donne des papiers, les migrants sont livrés à eux-mêmes dans la jungle. L’Eglise en Sicile leur apporte son aide. J’étais vraiment étonné par tout ce qui est pris en charge.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM).

Que sont-ils devenus ? Stanley est toujours en lien la paroisse. Il a trouvé un travail dans un restaurant depuis deux ans déjà. Il fait de la musique, sa passion. « A la fin du tournage, nous lui avons offert un enregistreur. Il collabore avec des groupes de hip hop siciliens » raconte encore le réalisateur. Oscar « a pris son chemin, explique-t-il. Il vit toujours avec son père mais il travaille ailleurs, dans des champs, avec un autre frère ».