Benoit Faist : « La mer a toujours une place dans la mission »

Benoit Faist est le nouveau Secrétaire général de la Mission de la Mer – Stella Maris France. Marié, père et grand-père, le jeune retraité est aussi vice-président de « Marine Amitié Partage », le Seamen’s Club de Saint-Malo, près de chez lui. Rencontre à Paris, en marge du Sommet sur les Océans (Brest, 9-11/02).

Pourriez-vous présenter la Mission de la Mer ?

C’était au départ un mouvement de prêtres au travail. Historiquement, un laïc était président et un clerc, secrétaire. Aujourd’hui la Mission est présente dans 16 diocèses de métropole. Il n’existe plus rien en Outre-Mer. Hélas ! Le mouvement, proche de l’Action catholique, s’adresse à tous les gens de mer, sans distinction sociologique : marins-pêcheurs, marins et officiers de marine marchande, professionnels des activités portuaires et de plaisance. On compte autour de 35.000 marins en France. Ce mouvement regroupe encore 200 adhérents et comme tous les mouvements d’Eglise, il vieillit. Le réseau est réparti en 4 régions : Nord (de la frontière belge au Mont St-Michel), Ouest (Bretagne), Sud-Ouest (de la Loire-Atlantique à la frontière espagnole) et Sud (toute la Méditerranée). Notre évêque référent, Mgr Georges Colomb, est le plus maritime de tous, car son diocèse s’étend de La Rochelle à Saint-Pierre et Miquelon !

Le gouvernement a organisé le Sommet sur les Océans (One Ocean Summit). A quoi étiez-vous vigilant ?

Ce sommet s’est tenu sans les principaux intéressés, ce qui est toujours un peu inquiétant. On voit que l’océan est un lieu de convoitise. Notre crainte est que cela aboutisse à une privatisation de la mer. Or la mer est ce qui relie la terre. Plus de 80% des marchandises transitent par la mer. C’est énorme ! Si le transport maritime s’arrête, l’économie mondiale s’arrête aussi. L’énergie arrive par bateau, tout comme le jean que je porte. Entre les matières premières et les étapes de confection de ce vêtement, il peut avoir fait trois fois le tour de la planète avant d’arriver dans mon placard. Cet exemple souligne les effets pervers et les excès de la mondialisation. On se dit qu’on pourrait faire un peu plus de circuit court. Néanmoins on ne cultivera pas du coton avant longtemps dans le Nord de la France…

En quoi la privatisation pose-t-elle problème ?

La privatisation pose question en termes d’accès aux ressources et de non-partage des usages. On parle beaucoup de l’implantation d’éoliennes en mer. La transition écologique et énergétique nous pousse vers les énergies renouvelables, ce qui est vertueux en soi. L’inquiétude des pécheurs est que ces champs éoliens conduisent à leur exclusion ou à des restrictions importantes pour certains métiers de la pêche – dragage et chalutage. En question aussi, la phase d’implantation avec l’impact des travaux. En déposant des blocs de béton au fond de l’eau, on remue beaucoup de sédiments… Il n’est pas illogique de penser que cela perturbe les écosystèmes.

Un autre courant, soutenu par des ONG, consiste à faire des réserves. Cela peut être un espace sur lequel on s’entend pour restreindre les usages, compatibles avec la protection des écosystèmes. Or les pêcheurs dépendent de la bonne santé de ces écosystèmes et n’ont pas intérêt à ce qu’ils se dégradent. A une certaine période, ils ont porté une responsabilité quant à la surpêche, poussés par un système économique qui leur demandait de produire de plus en plus, un système financier qui les a incités à investir et s’endetter de plus en plus. Ces cercles vicieux – dont on est en train de sortir – rappellent ceux de l’agriculture intensive. C’est le même contexte de forte pression économique et financière pour les inciter à basculer vers des systèmes de production très industriels.

Qu’est-ce qu’une pêche durable ?

La pêche est la dernière activité de la Préhistoire : les pêcheurs sont des chasseurs-cueilleurs. Ils ne sont propriétaires que de leur navire. Ils chassent un bien commun de l’humanité : les stocks de poissons. Or qu’est-ce qu’un marin qui pratique une pêche durable ? C’est un bon rentier. Un rentier vit des intérêts de son capital. Pour une pêche durable, le marin va prélever les intérêts (assurés par la reproduction) sans mettre en péril le capital (le stock de poissons géniteurs). Les scientifiques savent calculer les taux admissibles de capture. Des quotas et des outils de mesure permettent de les respecter. Une pêche durable peut concourir à assurer la sécurité alimentaire d’une partie de l’humanité.

Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté les gens de mer ?

Les marins de commerce ont rencontré beaucoup de difficultés  . Leurs contrats sont généralement longs – autour de neuf mois, hors crise Covid. Pendant les escales, ils ne pouvaient plus mettre pied à terre. Partout dans le monde existe un réseau de foyers pour les marins, les Seamen’s Clubs. Implantés dans les ports, ils leur permettent de contacter leurs familles grâce à une bonne wifi, d’aller en ville grâce à des navettes. Alors qu’un bateau est à la fois une usine et un village, être privé de sortie au bout de neuf mois représente un vrai stress. Cela devient dramatique quand un pays refuse de vous laisser débarquer pour rentrer chez vous. Avant d’arriver chez lui, un marin peut d’ailleurs transiter par plusieurs pays… De plus, il ne peut pas quitter le navire si son remplaçant n’est pas arrivé. Certains ont  ainsi dépassé 12 mois d’embarquement.

La France a assez vite mis en place des corridors pour les marins, qui sont des travailleurs « en première ligne ». Dans certains ports, on a pu organiser des séances de vaccination. A Sète, des équipes médicales sont même montées à bord.

Les dépassements de contrats de plusieurs mois et le confinement à bord ont contribué à la dégradation du bien-être des marins, notamment mental – état dépressif, fatigue extrême, anxiété… Il faut savoir que, selon le type d’organisation à bord et d’équipage, un marin de commerce travaille entre quatre-vingts et cent heures par semaine, sept jours sur sept.

Comment la Mission de la mer a-t-elle été attentive à leurs besoins spirituels ?

Aujourd’hui les Seamen’s Clubs sont des associations laïques. De nombreux membres de la Mission de la mer sont engagés au sein de ces foyers. Ils vont faciliter la rencontre avec un prêtre et la participation aux célébrations. A Marseille, une messe en anglais a lieu chaque mois à Notre-Dame de la Garde. Dans certains ports, comme au Havre, la Mission de la mer intervient en son nom propre. Elle dispose de toutes les autorisations pour entrer en zone portuaire et visiter les navires. La Mission de la mer peut aussi orienter les marins vers une mosquée ou des ministres d’autres cultes, selon les besoins exprimés.

Comment réagissez-vous aux propos du pape François qui a qualifié la Mer méditerranée de « Mare mortuum » ?

« Obligation est faite à tout capitaine de navire de porter secours à toute personne, même ennemie, trouvée en mer, en danger de se perdre » dit une ancienne formule du Code de la marine marchande. La solidarité face au danger est dans l’ADN du marin. C’est une grande souffrance pour nous de voir qu’on construit des murs là où il faudrait envoyer des navires de sauvetage.

Qu’est-ce qui vous motive dans votre mission ?

Pendant ma carrière dans l’administration maritime, je me suis occupé de la sécurité des navires et de l’organisation du contrôle des navires étrangers dans les ports européens. Il s’agissait notamment de m’assurer que l’équipage avait les bonnes qualifications et des conditions de vie supportables, pour éviter les accidents.

Les premiers disciples du Christ étaient des marins–pêcheurs ! Avec Saint Paul, la mer a été le premier vecteur de diffusion de l’évangile. Je pense que la mer a toujours une place dans la mission d’évangélisation de l’Eglise. Mgr Pierre Molères, évêque émérite de Bayonne, qui fut référent épiscopal de ce réseau, disait que la Mission de la mer était « le coquillage » que les évêques de France pouvaient mettre à leur oreille pour écouter la mer… Les limites imposées aux déplacements ont eu pour conséquence de ralentir notre activité mais nous allons de nouveau hisser les voiles !

Quels sont les temps forts à venir ?

En lien avec le Centenaire de l’Apostolat de la Mer, le thème d’année est « L’avenir en héritage ». C’est une invitation à nous inventer un avenir et à ne pas nous enfermer dans la nostalgie d’un passé idéalisé. Il y a cent ans, le transport maritime était un outil de puissance nationale, qui reliait la métropole avec ses colonies. Il ne s’agissait pas d’organiser des liaisons régulières avec l’usine du monde qu’est devenue la Chine ! Les Etats étaient davantage indépendants pour leur approvisionnement en énergie. Et le monde s’est déchristianisé. Un proverbe inuit dit : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres. Nous l’empruntons à nos enfants ». C’est vrai de la mer également ! La Mission de la mer participera au « Dimanche de la mer » (Sea Sunday), le 10 juillet. Notre session nationale aura lieu les 21-23 octobre à Saint-Jacut-de-la-Mer, organisée par la région Ouest.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

« Océans, la voix des invisibles » de Mathilde Jounot

Projeté dans le cadre du « contre-sommet », ce documentaire  - soutenu financièrement par la Mission de la mer - montre que les messages alarmistes sur l’état de l’océan (surpêche, pollution plastique, acidification) ne sont plus l’apanage des écologistes. « Nous voyons à présent des banquiers, des fonds spéculatifs et des industriels qui promettent de protéger l’océan… avec leurs méthodes, explique Benoit. Mais quel type d’écologie cachent-ils derrière leurs discours ? Sont-ils vraiment désintéressés ? Quel retour sur investissement en attendent-ils ? » La Mission de la mer veut défendre la dignité des populations qui vivent de la mer : elles ne doivent pas être écartées, ni des débats, ni des arbitrages.

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