P. Stéphane Joulain, M. Afr. : « L’abus sexuel est aussi un abus de pouvoir »
Père blanc, Stéphane Joulain travaille sur les abus depuis plus de vingt ans, réalité à laquelle il a été confronté comme confesseur. Il s’est alors tourné vers la psychothérapie d’approche systémique. Cette interview est la version intégrale des « 3 questions à » du dossier « Faire de l’Eglise une maison sûre » extrait du Courrier Mission et Migrations (n°1 – Février 2022).
Abus sexuels et abus de pouvoir relèvent-ils des mêmes mécanismes ?
Les abus sexuels et abus de pouvoir peuvent relever des mêmes mécanismes mais pas toujours. Tout d’abord, si tous les abus sexuels sont des abus de pouvoir, tous les abus de pouvoir ne sont pas des abus sexuels. Abuser veut littéralement dire « aller au-delà d’un usage courant et acceptable » de quelque chose. Une personne peut abuser de l’alcool ou d’autres substances. Ici, l’abus concerne la relation à l’autre qui est marquée par une violence relationnelle. Dans l’abus de pouvoir, la personne qui abuse utilise un pouvoir qu’elle détient pour rechercher une gratification ou bien un gain personnel. Cette gratification peut être d’ordre narcissique, mais aussi d’ordre matériel, pour obtenir un gain financier ou bien des avantages. Dans certains cas, les personnes qui abusent de leur pouvoir ne s’en rendent pas toujours compte, tant cela fait partie de leur fonctionnement habituel. L’abus sexuel est aussi un abus de pouvoir car la personne qui commet l’abus utilise un moyen de pression pour obtenir ce qu’elle désire. Ce moyen peut être la différence d’âge, de statut social, d’autorité. Cela peut passer par du chantage, des menaces et d’autres moyens qui vont permettre à la personne qui veut abuser d’obtenir l’ascendance psychologique, physique ou bien spirituelle sur la personne victimisée.
Qu’avez-vous appris de cette démarche avec les victimes et les abuseurs ?
J’ai appris à écouter patiemment car il faut du temps pour que la vérité surgisse, pour que les blessures puissent se dire, pour que les discours d’emprise se déconstruisent. Avec les victimes, j’ai appris à ne jamais renoncer, à cheminer humblement à leurs côtés en acceptant d’être le témoin de leur reconstruction souvent lente et tourmentée. Avec les auteurs d’abus, j’ai appris à être à l’écoute de discours parfois confus, pour y chercher les traces de la vérité et la faire remonter à la surface. J’ai appris aussi à être exigeant en étant à l’écoute de ces zones d’ombres de notre humanité pour qu’ils puissent décider de ne plus abuser.
Comment la parole de Dieu vous soutient-elle dans ce travail aujourd’hui ?
Deux textes de l’Evangile sont pour moi fondateurs de toute mon action pastorale et psychothérapeutique : la guérison du paralytique à Bethesda (Jean 5), et le bon Samaritain sur le chemin de Jéricho (Luc 10). Le premier nous montre que, même des années plus tard, même après avoir essayé de nombreuses solutions, il y a toujours un possible qui émerge dans la relation au Christ. Le Samaritain nous rappelle combien Dieu compte sur nous pour prendre soin de nos frères et sœurs blessés sur le chemin. Le Christ nous dit à nous aujourd’hui : « Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai. »
Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)
A propos du rapport de la CIASE « J’ai reçu avec gratitude le travail de vérité effectué, commente encore le P. Joulain. Enfin, cette réalité est reconnue institutionnellement, c’est une grande avancée pour le Peuple de Dieu dans son ensemble, mais avant tout pour les victimes ». Pour lui, les recommandations du rapport et les décisions de la CEF et de la CORREF les plus importantes sont celles qui concernent « l’accueil des victimes, la prise en charge et l’accompagnement de ces personnes et de tous celles et ceux qui sont affectés par ces drames » mais aussi la partie des indemnisations. Et de conclure : « J’attends une seule chose de leur part : continuer le travail entrepris en collaboration avec les victimes. C’est ensemble que les solutions durables seront trouvées ».