Une édition présentée et annotée de l’encyclique « Fratelli tutti »

L’édition présentée et annotée de Fratelli tutti, encyclique du pape François sur la fraternité et l’amitié sociale, a été pilotée par le Service National Famille et Société de la CEF avec le Ceras (Centre de recherche et d’action sociales). Eclairage du P. Grégoire Catta, SJ, directeur du SNFS.

Comment cette encyclique s’inscrit-elle dans la dynamique de pensée du pape François ?

Fratelli tutti (2020) est la deuxième encyclique sociale du Pape, après Laudato si’ (2015). Elle est comme la deuxième face d’une même pièce. Au N°17, le Pape écrit : « Protéger le monde qui nous entoure et nous contient, c’est prendre soin de nous-mêmes. Mais il nous faut constituer un « nous » qui habite la Maison commune ». Dans Laudato si’, il s’agissait de prendre soin de la Maison commune, avec une dimension de fraternité avec l’ensemble de la Création. Dans Fratelli tutti, il focalise sur constituer ce « nous ». C’est donc l’appel à la fraternité entre êtres humains. Il existe une vraie continuité dans la pensée du pape François.

On pourrait souligner aussi que la fraternité à laquelle il appelle, dans la droite ligne de son pontificat, a beaucoup à voir avec l’écoute et l’accueil des personnes exclues, des plus pauvres, des personnes migrantes et aux périphéries, qui ont tout à fait vocation à participer à la vie de la société et de l’Eglise. Cette thématique très forte dans FT est un point récurrent dans l’enseignement du Pape.

L’autre point d’ancrage est le Document sur la fraternité humaine d’Abou Dhabi (2019), cité à plusieurs reprises. Dès l’introduction de FT, le pape dit bien que sa rencontre avec l’imam de la mosquée al-Azhar, Ahmed el-Tayeb, l’a inspiré pour rédiger cet appel à la fraternité. De même que le Patriarche Bartholomée avait inspiré Laudato si’. FT se termine par une longue citation de la déclaration commune, pour rappeler à quel point toute l’humanité est appelée à vivre cette fraternité.

Peut-on définir la fraternité à laquelle nous exhorte le Pape ?

La notion de fraternité, pour parler en termes techniques théologiques, est de l’ordre du « déjà là » et du « pas encore ». La fraternité est donnée – nous faisons tous partie de la famille humaine – et en même temps, elle est toujours à construire. Il ne suffit pas de dire qu’on est de la même famille. Comme dans une famille, nous devons construire nos liens de fraternité. L’appel à la fraternité est un appel à reconnaître quelque chose qui est déjà là, en même temps qu’un appel à s’engager et à œuvrer pour la vivre. Cela rejoint la devise républicaine française ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme dont l’article premier stipule : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». L’enjeu est bien de la vivre.

Quelle est la démarche pédagogique de cette édition ?

L’idée est d’aider à la réception et à l’appropriation de cette encyclique qui peut nourrir et animer la vie et l’engagement des chrétiens pour quelques années. Pour chaque chapitre, nous avons demandé à deux personnes de rédiger une introduction et des commentaires. Les binômes sont constitués de théologiens et de personnalités de terrain – comme Véronique Fayet et Daniel Verger au Secours Catholique–Caritas France, le Père Vincent Féroldi pour le Dialogue interreligieux, le Père Carlos Caetano, cs, pour la Pastorale des migrants – de manière à apporter des éclairages. Nous avons aussi demandé des « échos de Fratelli tutti » pour montrer comment on reçoit ce texte en Amérique latine ou en Afrique, à JRS-France (Service Jésuite des Réfugiés) ou au Réseau Saint-Laurent, qui rassemble des communautés dont certains membres font l’expérience de la pauvreté et de la précarité. Nous avons également sollicité Mgr Bernard-Marie Duffé, à l’époque à la tête du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral (Saint-Siège). Il nous aide à comprendre comment cette encyclique s’inscrit dans la pensée du pape François, avec donc un regard un peu plus universel.

En fin de chapitre, les « Questions pour aller plus loin » sont un outil supplémentaire pour lire cette encyclique et l’aborder en groupe. Je sais qu’elle était attendue par un certain nombre de mouvements d’Eglise. Cette démarche pédagogique avait déjà été adoptée avec les Editions Lessius pour Laudato si’, La joie de l’amour, Chère Amazonie, Christus Vivit

Pouvez-vous expliquer la dimension politique de la charité ?

Dans les années 30 déjà, et selon une formule reprise par le pape François, Pie XI disait que la politique appartient « au champ de la plus grande charité » (FT 180). Il faut comprendre que l’invitation à l’amour, qui se trouve au cœur de notre foi chrétienne, touche aux relations interpersonnelles mais pas seulement. Elle concerne aussi le fonctionnement des structures mises en place dans la société pour vivre ensemble : institutions politiques, économiques, sociales, culturelles. Dans son encyclique La charité dans la vérité, le pape Benoît XVI écrit qu’il existe une dimension institutionnelle, politique, à la charité car l’amour touche aussi les macro-relations et tout ce qui concerne la vie dans la cité. François utilise une image assez parlante pour l’expliquer. Aider une personne âgée à traverser une rivière est un acte de charité. De même, l’homme ou la femme politique qui va construire le pont pour permettre de la traverser pose aussi un acte de charité. Il a sans doute en tête la forêt amazonienne mais encore une fois,  l’action politique, qui a pour objet les institutions d’une société, est bien exercice de la charité quand elle est orientée vers le bien commun.

La « bonne politique » existe-t-elle ?

C’est précisément l’objet du cinquième chapitre : « La meilleure politique » ! Y est valorisée une politique qui se mette au service de la dignité de toute personne humaine. Donc une politique orientée vers la construction de ce Bien commun dont Benoît XVI précise qu’il est « le bien du nous-tous » (CV 7). Refuser d‘entrer dans le clivage qui oppose « eux » et « nous », pour être dans une logique où le « nous » peut s’élargir. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de conflits ou des visions différentes mais on essaie de les dépasser de manière à construire ce qui va être « le bien du nous- tous », le Bien commun. Sont très liées à l’idée de « meilleure politique », d’une part la recherche d’une vérité qui a à voir avec le respect inconditionnel de la dignité de toute personne humaine. Et d’autre part, la culture du dialogue, de la rencontre. On voit le défi que cela représente dans notre société fragmentée, avec un débat de politique partisane qui s’enferme dans des querelles et des affrontements, dans un discours de haine et de rejet. Dans son premier chapitre, l’encyclique aborde aussi l’évolution des moyens de communication et des réseaux sociaux qui font que nous sommes en relation mais que nous ne construisons pas de la fraternité. S’ils servent à colporter des fake news, des discours de mépris ou des insultes, ce n’est pas pour construire le Bien commun.

Quel lien faites-vous avec le thème de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2021 : « Vers un Nous toujours plus grand » ?

L’objet de l’encyclique est la fraternité, appelée aussi « amitié sociale ». Le Pape ne cherche pas à écrire un traité complet sur la fraternité mais à appeler à une fraternité universelle, c’est-à-dire qui va toujours plus loin, au-delà des liens du sang. Dès les premiers mots de l’encyclique, le pape convoque la figure de saint François d’Assise : « En quelques mots simples, il exprime l’essentiel d’une fraternité ouverte qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne indépendamment de la proximité physique, peu importe où elle est née ou habite » (FT 1). En cela Fratelli tutti rejoint le thème de la JMMR : aller toujours plus loin, vers un Nous toujours plus grand. Cette ouverture à l’universel n’est pas une ouverture à un universel abstrait. Elle est toujours ancrée dans le local. Le pape encourage à cultiver la mémoire historique et l’ancrage local en disant que le véritable ancrage local est celui qui permet en même temps de nous ouvrir à d’autres. Il ne s’agit pas d’un repli sur soi. Il met en garde contre celui qui prétendrait être de partout parce qu’il est de nulle part : quelque chose manque. L’articulation entre le local et le global est au cœur de l’appel à la fraternité. Soyons clairs ! Le Pape n’invite pas à une abolition des frontières, par exemple. Les frontières sont des lieux qui permettent la rencontre. C’est toute la différence entre un mur et un pont. Un pont manifeste bien une frontière, une distinction mais une possibilité de nous relier existe, alors qu’un mur nous sépare. Le quatrième chapitre, sur l’accueil des migrants, comporte une réflexion très approfondie sur l’ancrage local et l’ouverture à l’universel, l’un n’allant pas sans l’autre.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

Cette interview est liée à la dernière de couverture du Courrier Mission et Migrations (n°1 – Février 2022).
L’espérance permet de rêver

« Comme c’est important de rêver ensemble ! (…) Rêvons en tant qu’une seule et même humanité » (FT 8). « Le Pape invite régulièrement à rêver, relit le P. Catta, sj. Il n’est pas question de fuir la réalité mais au contraire, d’y être très ancré pour être capable, avec d’autres, d’imaginer un monde meilleur ! Et en l’imaginant, d’y puiser les ressources pour y travailler ». Pour lui, grâce à l’espérance que la confiance dans le Christ donne aux chrétiens, nous pouvons dépasser l’état actuel de notre monde fragmenté, qui « ne nous mène pas vers la vie ». Soyons des témoins d’espérance !

 

 

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