« Le chant des vivants » ou le (nouveau) miracle de sainte Foy à Conques
Le documentaire qui relate la reconstruction par l’art-thérapie d’hommes et de femmes, survivants des camps libyens, a été projeté au Centre européen de Conques, cet été. Il est sorti en salles le 18 janvier 2023. Frère Pierre-Adrien, prémontré à l’origine de l’accueil de ces migrants, a participé au film de Cécile Allegra.
Sur le chemin de Compostelle (via podiensis), le pèlerin fait étape à l’abbaye de Conques, dans le diocèse de Rodez. Joyau de l’art roman classé au patrimoine mondial de l’Unesco, écrin de lumière pour les vitraux de Pierre Soulages, ce lieu d’une grande beauté vit l’hospitalité chrétienne au quotidien.
Depuis le IXème siècle, ce havre de paix conserve les reliques de sainte Foy, vierge et martyre en 303. « On la prie notamment pour la libération des captifs et des otages », explique frère Pierre-Adrien, au sanctuaire depuis 2014. L’adolescente de 13 ans fut décapitée à Agen, dénoncée par son père pour avoir reçu le baptême des mains de saint Caprais, premier évêque d’Agen et martyr, à sa suite.
Il ajoute que les grilles du sanctuaire auraient été forgées à partir des chaînes, apportées en action de grâce, par des prisonniers libérés… Fait-elle toujours des miracles à Conques ? Le religieux reste prudent. Il partage cependant cette troublante coïncidence – que certains nomment « clin Dieu » : « Les premiers migrants à l’écran dans « Le chant des vivants » (2021) sont arrivés en France le 6 octobre, jour de la fête de sainte Foy ».
Guérir les survivants par la musique et le chant
Le prémontré raconte alors qu’après avoir vu « Voyage en Barbarie » (2014), documentaire qui dénonce les tortures systématiques dont sont victimes les migrants dans le Sinaï et qui valut le Prix Albert Londres à Cécile Allegra et Delphine Deloget, il a immédiatement pensé au sort réservé aux personnes en recherche de protection. Qui sont aujourd’hui les prisonniers et les otages pour qui invoquer sainte Foy ? « Les migrants et les demandeurs d’asile » comprend-il. C’est le déclic « le plus important » depuis qu’il est né car il lui offre « une nouvelle vision du monde ». Un véritable « boulet de canon » diraient celles et ceux qui sont de spiritualité ignatienne…
Contactée par la communauté, la réalisatrice née à Rome annonce qu’elle n’est pas croyante, contrairement à sa grand-mère, mais elle expérimente à Conques « une puissance » et elle y dort comme nulle part ailleurs… Ainsi naît « Limbo », une association qui propose, depuis 2016, des séjours de résilience aux personnes hébergées en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA). Une dizaine de jeunes survivants sont donc reçus, pendant les vacances scolaires, à l’accueil des pèlerins.
Et même si Conques est un village « perdu » au centre de la France, éloigné de la problématique des migrations, il voit arriver, à l’hiver 2016-17, jusqu’à une centaine de mineurs non accompagnés (MNA). L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) confiera même une trentaine de jeunes à la communauté religieuse. Frère Pierre-Adrien est toujours en lien avec certains, dont Idrissa, du Mali, qui a aujourd’hui femme et enfant.
Tourné lors de trois séjours, entre l’automne 2019 et l’été 2020, « Le chant des vivants » montre que le langage universel de la musique, la force du soutien d’une communauté et la beauté matricielle de la nature environnante portent de beaux fruits de guérison pour ces exilés. Ne parle-t-on pas de la liberté des enfants de Dieu ? « La foi libère ! » témoigne le frère.
L’hospitalité, charité en actes
Vertu théologale et fondamentale, l’hospitalité chrétienne se traduit depuis toujours à Conques par l’accueil des pèlerins. Touristes ? Etrangers ? Croyants d’autres religions ? « Nous accueillons sans étiquettes » reprend le religieux pour qui évangéliser se vit « à hauteur de cœur ». Se faire proche, nouer des liens d’amitié et de confiance, voilà la posture prônée par la communauté.
Il espère que la culture de l’hospitalité, « qui dilate le cœur et fait tomber les barrières », restera ancrée chez les 200 hospitaliers bénévoles qui assurent l’accueil des pèlerins. Pour lui, comme pour eux, l’hospitalité est une spiritualité. Et cela suffit.
Claire Rocher (SNMM)
Le pèlerin, c’est l’étranger. Et Dieu est l’étranger par excellence
« On est des vivants ! » Si c’était une comédie, ce film pourrait s’intituler « Chacun cherche son chant ». Mais les personnages de ce documentaire ont survécu aux humiliations, aux privations et à la torture en Libye… A Conques, l’association « Limbo », fondée par Cécile Allegra, leur offre « une voie/une voix pour mieux se faire entendre ». Hébergés à l’accueil des pèlerins des Prémontrés, nous découvrons leur quotidien et leur histoire migratoire, peu à peu mis en mots et en musique avec Mathias Duplessy. En français, en anglais, en peul ou en lingala, ils expriment l’amour, la perte, le besoin de justice et de sécurité. Et si ces survivants ne sont pas explicitement présentés, c’est pour donner à leur témoignage une portée universelle. Le documentaire est disponible en replay sur France.tv