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Maxence, un séminariste à Calais, cet été…

Maxence Caputo, 35 ans, est séminariste pour le diocèse de Cambrai, en formation à Orléans. Cet été, il s’est investi auprès du Secours catholique et a logé chez Philippe Demeestère, SJ, aumônier de la délégation du Pas-de-Calais. Etat des lieux et fruits.

Sujet récurrent de l’actualité française et européenne depuis de très nombreuses années, resurgissant de manière plus prégnante lorsqu’un nouveau conflit éclate, la question migratoire est devenue pour nous comme un bruit sourd que l’on perçoit épisodiquement mais sans que nous y prêtions attention. Instrumentalisée et caricaturée politiquement au point d’être devenue un sujet sensible voire clivant, traitée superficiellement par les médias à coup de chiffres ou de déclarations publiques, la question migratoire nous apparait désormais comme un sujet informe dont on peine à discerner les contours et à comprendre les vrais enjeux, à savoir les raisons qui poussent des milliers d’hommes et de femmes à fuir leur pays et l’accueil que nous sommes prêts (ou pas) à leur fournir.

En 2013, constatant cet état de fait, le pape François nouvellement élu se rendait pour son premier voyage apostolique à Lampedusa (Italie) dénoncer ce qu’il a appelé « la mondialisation de l’indifférence » face aux drames humains dont on ne parle pas, celui d’hommes, de femmes et d’enfants morts noyés en Méditerranée, violentés durant leurs traversées, déracinés par les conflits armés. Au-delà des grands enjeux géopolitiques, le Pape replaçait l’humain au centre de la question migratoire en interrogeant notre capacité à accueillir et à aider celui qui a tout quitté.

Moi-même interpellé, par le Pape mais aussi par l’actualité de ces dernières années, mal informé sur la réalité de la question migratoire car détournée, politisée, et face aux réponses en pointillés que les gouvernements ont apporté pour accueillir les Syriens, les Afghans, les Ukrainiens, je voulais me rendre compte par moi-même de la manière dont les migrants sont accueillis en France, comment ils vivent, comment ils sont aidés, connaître leur histoire, bref rentrer au cœur de la question, plonger jusqu’à sa racine en rencontrant les migrants eux-mêmes.

Cette démarche que j’ai menée constitue aussi un aboutissement, celui d’une réflexion entamée il y a plusieurs années et que j’ai particulièrement travaillée ces derniers mois dans le cadre de mes études théologiques en tant que séminariste pour le diocèse de Cambrai. Membre également de l’équipe de la Pastorale des migrants de mon diocèse, cette immersion de trois semaines en juillet dernier m’a aussi permis de rendre concret les innombrables échanges que nous avons entre nous sur le sujet.

Le choix de Calais pour aborder cette question paraissait évident. Lieu de passage incontournable pour tous ceux désirant rejoindre l’Angleterre, Calais est depuis plusieurs années l’une des villes les plus fréquentées d’Europe par les migrants avec Lampedusa et Lesbos (Grèce). Originaire par ailleurs de la région, il paraissait important que je connaisse la réalité migratoire de mon propre territoire.

La situation à Calais en 2022

La situation à Calais est aujourd’hui bien différente de celle d’il y a quelques années, à l’époque de la « Jungle », où des milliers de personnes séjournaient sur un vaste no man’s land non loin du port de la ville. Depuis son démantèlement en 2016, une dizaine de petites « Jungles » ont vu le jour, majoritairement situées en périphérie de la ville, loin des regards des habitants et des médias. Coincés entre des zones industrielles et des bretelles d’autoroutes, parfois nichés dans de petits sous-bois (photo 1) ou à proximité de complexes publics, les camps portent les noms de BMX, Old Lidl, Hôpital, Rue de Judée… Ils regroupent chacun quelques dizaines de tentes abritant de petits groupes épars de migrants souvent de même nationalité. Les conditions de vie sont très spartiates voire précaires : chaque camp est généralement organisé autour d’un petit feu à partir duquel sont plantées les tentes qui leur servent à la fois de lieu de couchage et d’abris en cas d’intempérie (photo 2). Il n’y a aucun sanitaire, aucune poubelle, faisant de certains camps de véritables bidonvilles (photo 3). Tout juste disposent-ils dans le meilleur des cas de points d’eau ravitaillés par les associations (photo 4).

On comptait en juillet 2022 environ mille cinq cents migrants provenant majoritairement d’Afrique et plus spécialement du Soudan et de l’Érythrée (environ 80 %). D’autres nationalités étaient également représentées : des Afghans, des Iraniens et quelques Syriens. La quasi totalité d’entre eux sont des hommes parfois, dans de très rares cas, accompagnés de femmes avec enfants. Une chose frappante également est l’âge de ces migrants dont la grande majorité ont une vingtaine d’années, n’excluant pas non plus la présence de mineurs. Selon les bénévoles, chacun d’entre eux reste en moyenne un an à Calais avant de réussir à passer en Angleterre ou à obtenir auprès de l’État français le statut de réfugié après de longues et complexes démarches administratives.

Des sourires et des larmes

Pourtant, au milieu de ce tableau peu engageant, en dépit de la grande diversité de populations présentes sur place, parfois antagonistes, et des conditions de vie difficiles, ce qui marque le plus le visiteur de passage dont j’étais, c’est l’immense sourire que presque chaque visage affiche ; une lumière naturelle teintée soit d’optimisme soit d’insouciance qui ferait presque oublier le parcours aventureux, parfois douloureux, que chacun de ces jeunes hommes a du connaître pour arriver à Calais. Je me rappelle ainsi l’histoire de ce jeune Soudanais originaire du Darfour, parti à l’âge de 17 ans et dont la migration dure maintenant depuis trois ans. Ayant connu des moments difficiles, il ne put retenir son émotion à l’évocation de sa famille, ne l’ayant plus vue ni entendue depuis son départ. Cette histoire n’est qu’un exemple parmi les centaines que pourraient raconter tous ces jeunes.

La relative décontraction qu’affiche pourtant chacun d’eux et l’atmosphère relativement bon enfant qui règne dans les camps ne doit faire oublier que la réalité est loin d’être rose au quotidien. Des rivalités entre pays existent, des tensions voire des rixes peuvent survenir quand certains désespérés finissent par exploser en s’en prenant à d’autres. C’est ainsi que, durant mon séjour de trois semaines, un camp a été incendié par un migrant qui, quelques jours plus tôt, s’en était pris aux bénévoles et aux locaux du Secours Catholique ; plus tard, une rixe a éclaté entre deux migrants dont l’un d’eux a eu la joue ouverte ; un autre jour, un prédateur sexuel sur mineur a été repéré, etc…

Les réponses de l’État face à la crise

À ces violences, il faut en rajouter une de poids, davantage psychologique, celle qu’infligent très régulièrement les forces de l’ordre aux migrants. Depuis le démantèlement de la Jungle en 2016, l’État français pratique en effet ce qu’il appelle la politique du « Zéro point de fixation ». Son but est double : d’une part, empêcher la constitution d’une nouvelle « Jungle » et d’autre part, invisibiliser les migrants. Pour arriver à ses fins, l’État ne recule devant rien, y compris jusqu’à frôler l’illégalité en contrevenant à ses propres principes : avant 2021, tous les jours ou presque, la police évacuait ainsi les camps par la force, arrêtant les migrants en les envoyant dans des centres de rétention administrative (CRA). Elle détruisait systématiquement tous leurs effets personnels, notamment les tentes, elle empêchait les journalistes d’accéder aux camps, l’État, quant à lui, faisant tout pour dénigrer et entraver l’action des nombreuses associations présentes sur place.

Étrangement, malgré les nombreux recours, la justice n’a jamais condamné ces actions jusqu’à ce qu’en 2021, la Cour d’appel de Douai interdise l’expulsion de migrants présents plus de 48h sur un terrain. Dès lors, et c’est ce que j’ai pu constater, tous les deux jours, une douzaine de fourgons de CRS débarquent dans les camps et obligent les migrants à plier leurs tentes. Cet acte accompli, la police repart et les migrants se réinstallent aussitôt. Cette situation donne ainsi naissance à un ballet ubuesque qui se répète inlassable tous les deux jours. De fait, si les migrants ont bien été rendus invisibles, la présence policière elle ne l’est pas, au point d’apparaître disproportionnée pour une ville de la taille de Calais.

À ce matraquage étatique, l’autre élément qui impressionne le visiteur est la ceinture métallique qui enserre littéralement le port, les autoroutes et les voies ferrées de Calais. Financées intégralement par le gouvernement anglais, ces dizaines de kilomètres de barrière et de hauts murs sont censées empêcher les migrants de monter dans les camions et les trains. Défiguré, le paysage donne l’impression aux visiteurs de circuler dans une prison à ciel ouvert, frôlant l’image du camp de concentration.

Les associations, de vraies forces vives

Face à cette répression, se dressent fièrement depuis de longues années une vingtaine d’associations dont chacune a à cœur d’aider et de défendre chaque migrant que les bénévoles appellent « exilé ». Utopia 56, l’Auberge des Migrants, Salam, le Secours Catholique, la Croix-Rouge, toutes sont spécialisées dans un domaine bien précis afin de secourir au mieux les migrants. Certaines sont ainsi responsables de l’aide alimentaire, de l’aide juridique, de l’aide médicale, de l’apport en eau, de la recharge des téléphones portables en électricité, en crédit, etc.

En ce qui me concerne, mon immersion à Calais s’est faite auprès du Secours Catholique dont l’activité tourne autour de deux points essentiels. Tous les matins, d’abord, sauf le week-end, des maraudes sont organisées. Intitulées « Aller vers » et « La recharge », la première consiste à visiter les camps, à aller à la rencontre des migrants afin de leur apporter des boissons (café et thé), quelques nécessaires utiles comme du papier hygiénique, des sacs poubelles ou des gobelets mais surtout afin de les informer de tous les services et aides que les associations peuvent leur apporter sur Calais. « La recharge », elle, consiste, comme son nom l’indique, à apporter sur les camps des batteries électriques afin que les migrants puissent y recharger leur téléphone. La seconde activité essentielle du Secours Catholique se déroule elle tous les après-midis, sauf le mardi et le week-end, à l’Accueil de jour. Dans ce vaste local, tous les migrants sont invités à venir pour se divertir, se reposer, se renseigner, se restaurer, se laver, se coiffer, etc. Une armée de bénévoles dont j’étais, assure le bon fonctionnement de tous ces services (photo 5). Parallèlement à ces deux actions, il nous arrivait aussi d’aller nettoyer les camps des migrants afin d’éviter qu’ils ne se transforment en décharge.

À la tête de ces associations se trouvent des bénévoles ou des salariés dont le dévouement auprès des migrants à plusieurs fois suscité mon admiration. Ne comptant pas leurs heures, réussissant à créer un climat fraternel inouï avec des communautés culturellement parfois éloignées, ils sont l’illustration vivante de la célèbre parole de Jésus : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35).

Au cœur de ce réseau d’associations, se trouve le Père Philippe Demeestère, aumônier jésuite du Secours catholique (délégation du Pas-de-Calais, ndlr). Logeant dans une maison paroissiale en plein centre de Calais, il gère l’intendance de la maison, de sa propre association « Écart», mais surtout prend soin d’une petite dizaine de migrants qu’il héberge sous son toit. Véritable carrefour de rencontres, sa maison est presque devenue le centre névralgique de l’action militante de Calais envers les migrants. C’est dans cette maison que j’ai moi-même vécu, bénéficiant des innombrables échanges et réflexions des uns et des autres sur une situation en perpétuelle mouvement, évoluant au gré des atermoiements des politiques et de l’actualité internationale.

Cette expérience au cœur d’un des lieux les plus représentatifs de la crise migratoire en Europe fut pour moi l’occasion de confronter la vision du pape François sur l’accueil des migrants à l’action concrète du terrain ; ce fut pour moi l’occasion de découvrir, loin des idées reçues et des images tronquées que les médias peuvent véhiculer, la dure vie quotidienne de ces jeunes hommes exilés qui cherchent à gagner l’Angleterre ; ce fut enfin pour moi l’occasion de découvrir la (non-)action de l’État, faite d’intimidations et de répressions policières, loin des idéaux pourtant vantés par la République.

Je ressors de cette immersion estivale davantage enrichi, sur le plan intellectuel d’abord, en ayant désormais conscience de la vraie réalité du terrain, mais aussi sur le plan pastoral et humain, riche des actions accomplies et des témoignages entendus.

À tous ceux qui s’intéressent à ces questions, je recommande vivement donc de venir à Calais à la rencontre de « l’étranger », de « l’immigré » cher à la Bible et vivre ce que le Lévitique aime à nous rappeler : « Quand un immigré résidera avec vous dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas. […] Tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19, 33.34bcd).

Maxence Caputo, séminariste pour le diocèse de Cambrai

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