Importer des prêtres étrangers ?
UCA News a publié un article en cette fin avril sous le titre provocateur de « Importer des prêtres étrangers ? » . UCA News est une agence d’informations catholiques en anglais. On sait que l’anglais est la langue de communication en Asie, et en quelque sorte la langue internationale de l’Eglise catholique en Asie. C’est dire que cet article qui passe en revue le départ de prêtres diocésains de pays en développement vers des pays développés (surtout l’Europe occidentale, l’Amérique du nord et l’Australie) est très lu en Inde, au Viet Nam et aux Philippines, trois pays très pourvoyeurs de prêtres qui exercent leur ministère hors de leur diocèse d’origine.
L’article est assez critique sur cette pratique de prêtres en dehors de leur pays. Sauf s’il s’agit de prêtres « missionnaires ». Mais tous les prêtres fidei donum sont-ils vraiment missionnaires ?
Avril 2018 : le pape François a ordonné onze nouveaux prêtres pour le diocèse de Rome. Lors d’une messe à St Pierre pour le 4e dimanche de Pâques, connu sous le nom de dimanche du Bon Pasteur, le pape a ordonné en plus cinq prêtres pour divers ordres religieux.
Mais seulement 5 des 11 nouveaux prêtres sont italiens, ayant fait leur formation au grand séminaire diocésain. Les six autres qui seront incardinés dans le diocèse du pape, sont des non-Italiens. Ils sont membres du chemin néo-catéchuménal. Ils se sont préparés au ministère au séminaire Redemptoris Mater. Ils seront sans doute envoyés à l’étranger pour servir dans l’une des multiples paroisses ou formes d’apostolat missionnaire de cette société. La messe d’ordination s’est tenue à l’occasion de la 55e journée mondiale de prière pour les vocations. Dans un message publié antérieurement pour cette occasion, le pape François disait : « Chacun de nous est appelé –que ce soit pour une vie laïque dans le mariage, pour une vis de prêtre ordonné, ou pour une vie de consécration spéciale – dans le but de devenir un témoin du Seigneur, ici et maintenant ».
En bref, le pape a insisté sur les diverses vocations chrétiennes. Mais il n’a pas dit un mot sur ce que chacun de nos jours reconnait comme une crise réelle des vocations dans l’Eglise, spécialement en ce qui concerne la prêtrise.
Il y a diverses dimensions de ce phénomène qui serait mieux nommé une crise de la prêtrise. On a publié récemment divers articles qui ont traité de cette question sous l’aspect d’une mentalité cléricale qui semble être une maladie inhérente à l’éthos de bien des prêtres.
Un fait objectif : le nombre de jeunes hommes entrant au séminaire et qui sont ordonnés prêtres ne suit pas l’augmentation générale du nombre de catholiques baptisés. Nulle part.
Pas même en Afrique, où pourtant certaines personnes voudraient nous faire croire que la situation n’est pas si aigüe. Et où ces personnes pensent qu’une Eglise africaine « riche en vocations » est en train de devenir la protagoniste d’une « évangélisation en retour » des Eglises largement sécularisées, établies en Europe et ailleurs dans le monde développé.
Ces gens-là ont tort, et profondément tort.
Le dernier annuaire statistique du Vatican montre qu’il y a en Afrique actuellement un peu plus de 5000 catholiques pour chaque prêtre. La situation est pire en Amérique latine, où le ratio monte jusqu’à 7000 (catholiques par prêtre).
Ces chiffres sont à comparer à ceux de l’Europe, d’Amérique du nord et d’Océanie où les statistiques montrent qu’il y a environ 2000 catholiques pour chaque prêtre.
Il y a un certain nombre de mesures qui peuvent être prises pour réduire ces écarts.
La mesure la plus simple à envisager en ce moment, pour des raisons historiques et pratiques, serait de changer les critères d’admission aux ordres en étendant le nombre de candidats et en incluant les hommes mariés à la maturité avérée, les viri probati comme on les nomme.
Mais la majorité des conférences épiscopales ont été réticentes à explorer cette option en dépit des encouragements apportés en ce sens aussi bien par Paul VI que par le pape François.
Les évêques ont opté pour une solution plus simple : importer des prêtres de pays où ils pensent qu’il y a une surabondance de vocations. Ce faisant, ces évêques alimentent le mythe énoncé plus haut.
Il y a les difficultés d’adaptation des prêtres ainsi « importés » et les conséquences de ces difficultés sur leur ministère, et sur les baptisés qu’ils ont à administrer…
… devenir un témoin du Seigneur, ici et maintenant…
Il y a des raisons plus fondamentales pour lesquelles ce n’est pas une solution à long terme pour les Eglises établies en Occident d’importer des prêtres des Eglises plus jeunes d’Afrique, où en dépit de leur croissance rapide, ces Eglises continuent de vivre dans des territoires largement non-évangélisés.
“Un tel diocèse (de pays développé) peut bien sûr accepter une aide temporaire en cas de difficultés ou de crise, mais ne doit pas priver des Eglises jeunes de ces prêtres qui sont souvent des prêtres bien formés. C’est une question d’équité et de sens ecclésial ». Cette phrase est un avertissement qui date d’il y a près de 20 ans, formulé par le Cardinal Tomko, à cette époque préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples (Propaganda fide).
A l’été 2001, son dicastère a publié une « instruction sur l’envoi à l’étranger et le séjour de prêtres diocésains des territoires de mission » (les diocèses qui relèvent de la compétence de cette Congrégation se nomment ainsi !).
Il s’agissait de “réagir contre les tendances actuellement en usage d’un certain nombre de prêtres diocésains » des territoires de mission qui « veulent quitter leur propre pays et résider en Europe ou en Amérique du nord, souvent avec l’intention de continuer des études ou pour d’autres raisons qui ne sont pas missionnaires ».
Le document note qu’une des raisons non missionnaires pour ces migrations de prêtres consiste dans l’attrait de conditions de vie plus aisées…le document regrettait que ces prêtres se laissent convaincre par ce type de raisonnement de ne pas retourner dans leur propre pays, parfois avec la permission tacite de leur propre évêque…
Lors de la conférence de presse qui a suivi la publication de ce document, le Cardinal Tomko a dit qu’il est en fait désirable que des prêtres accompagnent leurs concitoyens à l’étranger pour leurs soins pastoraux (dans le cas de migrations). Et de fait, dans des pays qui ont une longue histoire d’immigration, tels que le Canada, les USA et l’Australie, il y a toujours eu un courant de prêtres nés à l’étranger pour prendre soin spirituellement des nouveaux arrivants. Des prêtres du même pays que les migrants nouveaux venus.
Plus récemment, un tel courant s’est manifesté dans les pays arabes où un grand nombre de migrants catholiques vivent, provenant de pays tels que les Philippines ou l’Inde.
Et le Cardinal a aussi ajouté que les pays développés occidentaux qui ont “recours largement à la solution facile de fournir en prêtres leurs paroisses avec des prêtres d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine » ne réalisent pas qu’ils peuvent porter tort parce qu’ils retirent ces prêtres de leur diocèse d’origine.
« Certains diocèses d’Afrique ou d’Asie ont un tiers ou même la moitié de leur clergé diocésain à l’extérieur, pour des raisons financières. Je connais un diocèse qui a 83 prêtres diocésains à l’extérieur, alors que dans le pays, l’évangélisation est stagnante », se lamentait-il.
Mais le cardinal a usé d’arguments plus théologiques. « Une communauté qui échoue à trouver les ministres dont il a besoin parmi son propre peuple doit réfléchir aux causes de cette situation et trouver les remèdes, tels que le soin pastoral des familles et des vocations, et une appréciation plus juste du ministère laïque » avait-il ajouté.
Il faudrait plus de ‘créativité pastorale” pour utiliser une formule du pape François… Et de fait, le pape a déjà suggéré des voies….
Traduction Antoine Sondag
Avril 2018