« Picardie, je me souviens », témoignage d’un prêtre burkinabé fidei donum
Le Père Omer Pare originaire du Burkina Faso, a été prêtre Fidei Donum dans différentes paroisses du diocèse d’Amiens en France, pendant six ans, de 2016 à 2022. Il est depuis le 30 Août 2022 de retour au Burkina Faso. Il nous livre son témoignage.
Comment s’est passé votre retour au Burkina Faso ?
Dès mon arrivée à Ouagadougou dans notre capitale, mon village natal fut attaqué par les terroristes lourdement armés. Ils ont incendié mairies, écoles, boutiques et magasins… Tous les fonctionnaires de l’État ont fui mon village peuplé de plus de 6000 habitants. Du coup, l’administration et toutes les écoles furent fermées. Mon retour au pays visiblement commence mal !
Le comble est que ces terroristes sont revenus peu de temps après et là ils ont été sans pitié, mettant à feu et à sang mon village avec beaucoup de pertes en vie humaine. Mon village se vida complètement de ses habitants. Mes parents, et tous ceux qui le pouvaient, ont fui au milieu des cadavres, laissant tout derrière eux, c’était le « sauve qui peut ». Plusieurs villages subissent ce même sort dans le grand silence total de la communauté internationale. On se demande qui arme lourdement ces terroristes ? Qui les finance ?
Ces terroristes se sont installés dans les forêts et procèdent à des enlèvements. De la capitale, ne pouvant accéder à mon village, j’ai continué vers mon lieu de Mission, à savoir la cathédrale de Dédougou, où je me suis rendu le 11 septembre 2022. Jusqu’à ce jour, je ne peux pas mettre pieds dans mon village.
A la cathédrale, je m’occupais de mouvements de jeunes. J’étais aussi aumônier des vocations, du renouveau charismatique, du dialogue interreligieux, et responsable diocésain de la commission de Théologie. En outre je dispensais des cours au petit séminaire de Tionkuy, à l’école de la Foi ainsi qu’au CFC (Centre de Formation des Catéchistes). Je n’avais pas le temps de me tourner les pouces tant mon emploi de temps était bien fourni !
Pire, face au drame, j’ai dû accueillir chez moi, dans mon lieu de mission, 43 enfants de mon village et des villages environnants pour sauver non seulement leur intégrité physique mais aussi leur année scolaire. Ils sont avec moi et logent tous ensemble dans une petite cour familiale faisant face à de nombreux défis : les frais de soins, de scolarité, de restauration… J’ai réussi à les inscrire tous à l’école, aux lycées et collèges. Ils ont tous bien travaillé à l’école…
Cette année, en septembre dernier, j’ai quitté la cathédrale car j’ai été nommé responsable diocésain des formations et directeur du centre Spirituel Alfred Diban ; je suis également nommé co-responsable de la Liturgie diocésaine, en étant responsable de la commission de théologie. Je poursuivrai les cours… Il y a bien du travail encore cette année !
Qu’est-ce qui vous a aidé ?
Mon expérience en France m’a aidé à faire face aux difficultés. Je dispense les cours de liturgie et des Sacrements dans les établissements ici grâce à mes études à Paris, à la Catho, où j’ai achevé un Master 2. Je partage ces connaissances avec les autres. Aussi certains amis de la France, des paroissiens m’ont également aidé dans mes difficultés surtout pour les enfants déplacés de mon village qui sont à ma charge. J’ai obtenu le soutien d’associations.
Qu’est ce qui a été plus difficile ?
Quitter la France était comme un déracinement. Il fallait ici m’acclimater à nouveau. Ce ne fut pas facile avec la chaleur qui m’empêchait de dormir, de manger parfois, tellement je suffoquais. On pouvait voir la transpiration sur mes habits. Je disais aux gens que je suis devenu un Européen, allergique à la moindre chaleur (rires). La longueur de certaines célébrations perturbait ma concentration avec la complicité de la chaleur. La poussière importante et la pollution de la ville portaient préjudice à ma quiétude et me conduisaient souvent à la toux.
Qu’avez-vous découvert ? Que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai découvert ce binôme inséparable : l’engagement et la générosité ! En effet j’ai bien apprécié l’engagement des laïcs et la bonne organisation de la pastorale. J’ai trouvé beaucoup de laïcs engagés et grâce à ces derniers, on retrouve un certain dynamisme dans les paroisses et secteurs. Des laïcs sur tous les fronts : caté, deuils, sessions de mariages, sacristies, accueil et permanence dans les maisons paroissiales, liturgie, retraites de profession de foi… Leur engagement me fortifiait dans ma foi.
J’ai aussi beaucoup apprécié l’hospitalité qui m’était réservée. Durant ce séjour, les paroissiens, les maires, ne manquaient pas de m’inviter pour les repas dans les familles ou les événements et réceptions dans les communes. J’entendais fréquemment cette aimable parole : « viens quand tu veux » ou « n’hésite pas à venir chez nous ». Nous sommes bien en France, en Picardie.
Je me sentais toujours le bienvenu dans les familles, même durant la pandémie. C’est très touchant et les mots ne suffiront pas pour leur exprimer ma gratitude.
Ces Picards sont une fierté, une bénédiction du ciel pour moi. Pour bien le comprendre, ils ont déjà envoyé trois conteneurs contenant des vêtements, des chaussures, des vélos, des fournitures scolaires, du lait…pour soutenir ces enfants déplacés de mon village qui sont à ma charge ici.
À travers cette épreuve du terrorisme que nous vivons, leur précieuse aide a été une lumière chaque jour qui nous permettait de ne pas sombrer et de sortir la tête de l’eau pour nous oxygéner un peu. Ainsi l’impact de leur gentillesse sur notre vie est considérable ! Car, avec leur soutien et leur bienveillance, ils ont réussi à changer notre monde et notre tragédie en une joyeuse espérance !
Quelle est la place de cette expérience de prêtre Fidei donum dans votre itinéraire et pour l’Eglise qui vous a envoyé ?
Cette expérience de prêtre fidei donum m’a fait grandir parce que les amis et les paroissiens que j’ai rencontrés, m’ont partagé ce qu’ils sont, m’ont enrichi humainement, spirituellement… Toutes ces expériences acquises en France, je les mets au service de tous pour le bien de tous nos diocésains au Burkina, pour que nos Églises locales en soient enrichies.
Abbé Omer Paré