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Sœur Amanda Mancipe, colombienne, dominicaine et DDMU à Tours !

Des chrétiens issus d’une autre culture et vivant en France. Ils sont nombreux, ces étrangers catholiques, parmi les laïcs (les migrants !), les prêtres, fidei donum ou étudiants, les religieuses… Voici le portrait de Sœur Amanda Mancipe, originaire de Colombie, dominicaine et délégué diocésaine pour la Mission universelle dans le diocèse de Tours.
L’interview a été réalisée par l’hebdomadaire La Vie qui réalise une série pour son supplément les Essentiels. Afin de « donner la voix à des chrétiens issus d’une autre culture et vivant en France… ». Excellente initiative qui visibilise la place très importante tenue par des « étrangers » dans l’Eglise de France, à tous les niveaux. En rappelant que dans l’Eglise, personne n’est étranger.

 

Sœur Amanda Mancipe : l’humble et grande mission d’une dominicaine colombienne

Sœur Amanda Mancipe, colombienne, dominicaine et DDMU à Tours !

Sœur Amanda Mancipe, colombienne, dominicaine et DDMU à Tours !

 

Avec le recul, je me rends compte que j’ai souvent été bousculée dans mes projets. Lorsque j’étais religieuse en Colombie, j’ai été institutrice dans des endroits que l’on nomme « zone rouge ». Nous étions confrontés aux narcotrafiquants et aux paramilitaires. J’ai travaillé avec des Indiens dans un internat, j’ai dû affronter la guérilla qui voulait prendre des élèves. Je me sentais un peu une héroïne dans ces endroits reculés. À 22 ou 23 ans, ces expériences marquent.

Arrivée en France en 2001, j’ai compris que j’abandonnais cette vie. J’ai beaucoup relativisé et d’autant mieux saisi saint Paul, qui nous rappelle que l’essentiel n’est pas dans le faire. Les plus héroïques à mes yeux sont ceux qui donnent le savoir pour défendre le droit des plus petits, ou ceux capables de prêter une chambre de leur maison pour accueillir une personne sans toit. Tout ce qui me semblait important dans mon pays a perdu de sa grandeur lorsque j’ai été confrontée, ici, à une autre manière de vivre et de grandir dans sa foi.

Mon enfance s’est déroulée à Nobsa, Boyacá, dans le sud-est de la Colombie, dans un milieu paysan très modeste. J’étais la dernière d’une fratrie de 12, choyée par tous. Les conditions climatiques étaient rudes, avec des températures parfois très basses. Nous vivions dans une sorte de petit village familial : mes parents, mes oncles, mes tantes, avaient tous bâti leurs maisons à côté de celle de mes grands-parents. La foi catholique, dans laquelle j’ai baigné dès mon plus jeune âge, a été nourrie par la figure de mon grand-père. Il s’adonnait avec ferveur à la préparation des fêtes religieuses. En Colombie, celles-ci sont liées aux fêtes culturelles. Danses, musique, processions… toutes ces représentations typiques et artistiques honorent la Vierge, le Christ ou encore le Sacré-Cœur.

Mon premier contact avec les Dominicaines de la Présentation eut lieu à l’école primaire, grâce à mon institutrice, qui était religieuse. Sa communauté, installée dans mon village, fut rapidement ma deuxième maison et un refuge salvateur lors de ma scolarisation dans un collège privé. Je me sentais en décalage dans cet univers bourgeois. Alors, les cours de catéchisme que je donnais dès mes 9 ans dans le cadre d’Enfance missionnaire, mon aide à une sœur dominicaine pour préparer le matériel de l’école, compensaient ce quotidien qui ne me convenait pas.

Bien que très investie auprès des religieuses, je ne songeais pas à la vie consacrée, qui, pour moi, concernait ceux qui ont fait des études. Jusqu’au jour où une novice de la communauté, qui sentait chez moi un appel, m’a suggéré la vie religieuse. À l’orée de ce chemin, j’étais très attirée par les missions d’évangélisation auprès des plus pauvres. Je me voyais bien chez les Sœurs laurites, « Las Lauritas », qui allaient chez les Indiens. Finalement, après une retraite chez les Dominicaines, je me suis dit : « Et pourquoi pas ? », et, à 18 ans, je demandais à entrer dans leur congrégation. J’étais tellement pleine d’idéaux au début, d’envies de me donner au Seigneur et de vivre en communauté, que je ne pensais pas aux renoncements et deuils que la vie consacrée impliquait.

Deux jours après mes vœux perpétuels, la générale me proposait de partir en Roumanie pour ouvrir une communauté avec d’autres sœurs enseignantes. Flattée qu’on ait pensé à moi, j’ai dit oui sans en mesurer les conséquences. C’est ensuite que j’ai compris que cela impliquait l’apprentissage d’une nouvelle langue, d’une nouvelle culture, d’une vie avec des sœurs colombiennes issues d’autres provinces, et qui n’avaient pas toujours la même manière de voir les choses. Je me suis d’abord formée un an en France au centre Marie-Poussepin, fondatrice de notre congrégation. Une année pour revenir aux sources.

Au contact de sœurs dominicaines venues d’Inde, d’Afrique, d’Amérique latine, j’ai compris l’internationalité de la congrégation. Il est différent de le savoir et de le vivre. Découvrir les lieux de la maison mère a été très fort : sans que je le sache, tout un itinéraire spirituel de vie, celui de Marie Poussepin, m’avait nourri jusqu’alors. J’ai aussi pris conscience de mon appartenance à ma famille dominicaine : j’avais fait profession, non pas pour une province et un pays, mais pour la congrégation. Et c’était en son sein que j’étais appelée à être moi-même.

« Pourquoi es-tu devenue religieuse ? » « Tes idéaux sont-ils les mêmes aujourd’hui ? » Telles furent les questions auxquelles je dus me confronter durant cette première année en France. Dès le noviciat, on m’avait dirigée vers un travail auprès des enfants et j’avais tendance à me positionner par rapport à ce que les autres attendaient de moi. Alors que j’avais été habituée à entendre « Tu vas faire ça », on me demandait désormais ce que je voulais faire. Ma voie avait été tracée et presque tout était à reconstruire en France. La diversité de la congrégation m’a fait comprendre qu’être religieuse n’était pas rentrer dans les normes, même si cela implique des règles. Mais que les règles ne doivent pas empêcher d’être soi-même. En cela, sortir de son pays est une richesse : c’est quand on est confronté à la différence et à la difficulté aussi, de la langue, de la culture, de l’altérité, que l’on peut discerner ou relire sa vie.

La déchristianisation en Europe ne me décourage pas du tout, au contraire. Elle me stimule …

Lorsqu’à la fin de l’année, les sœurs hispanophones sont reparties, j’étais démunie. On passe de tout à rien quand on ne parle pas la langue de l’autre. À un moment, j’ai fini par me dire que je n’étais rien. Dans cette solitude, on peut vite se sentir l’objet de commentaires ou de moqueries. Et le cinéma dans la tête va bon train ! Au final, à refuser la souffrance en soi, on la reporte sur les autres. En outre, je crois qu’entrer dans la culture de l’autre pour atteindre son être profond est une chose autrement plus difficile que l’apprentissage de la langue. C’est là qu’on apprend à aimer, dans la patience et l’absence de jugement. Les Français sont en général plus durs, moins chaleureux que les Latino-Américains qui, eux, sont dans l’affectif. Aussi, j’ai dû apprendre, accepter que les Français ne se livrent pas facilement… pour découvrir que l’on peut créer ici des amitiés vraies et profondes si l’on se donne le temps.

Durant les dix années suivantes, passées à Paris au 106 rue de Vaugirard – le projet en Roumanie avait en fait été annulé, car je ne me sentais pas prête –, je vécus une sorte de purification intérieure. Notre communauté à Paris accueillait notamment des étudiants. Ces derniers avaient certes de belles perspectives de carrière et une certaine sécurité matérielle, mais dans ma mission d’écoute, je percevais chez eux beaucoup de solitude et de pression.

Durant toute cette période, j’ai senti que Dieu était là et qu’Il me montrait le chemin par le fait même que je me sentais bien dans cette communauté où j’étais la seule étrangère. Les sœurs m’ont aidé à grandir, à accepter la différence, à sortir de mes préjugés. J’avais par exemple cette idée préconçue selon laquelle la France était un pays de riches autocentrés. J’ai changé de regard et fini par comprendre que je pouvais y trouver ma place. Qu’il fallait fleurir là où le Seigneur m’avait semée, en vivant dans la congrégation comme on vit dans une famille. Faire le ménage, accueillir correctement, s’adapter à l’autre et mourir à ce que l’on avait prévu de faire, chose qui me coûte encore !

Aussi, je me suis peu à peu sentie appelée à trouver un équilibre entre l’action et la prière. Entre les études, le catéchisme, l’administratif, je me retrouvais parfois avec des semaines pleines, sans avoir eu assez de temps pour Dieu. Or, on ne peut parler de Lui sans l’avoir contemplé. Après mon baccalauréat de théologie, on m’a poussée à continuer les études, mais il me semblait plus adéquat d’aller dans de petits groupes pour aider à comprendre la Parole ou la doctrine de notre foi. En cela, j’entends le terme « prêcher », prégnant chez les Dominicains, de façon très large. Prêcher pour « être plus près de » avec notre connaissance, et pas seulement face à de grandes assemblées ou à la faculté. Je l’expérimente ici à Tours à l’École des responsables, où j’aide ceux qui ont besoin d’un soutien après les cours.

En venant en France, j’ai redécouvert le sens de ma vocation : être avec, bien au-delà d’un métier que je vais faire. Être avec Dieu d’abord, et, à partir de cette relation intime avec Lui, être au service de l’autre, quel que soit le cadre ou le contexte. Ce n’est pas ce que je fais qui donne du sens à ma vie religieuse, mais la manière dont je vais répondre à ce qu’on me demande ou à ce à quoi je me sens appelée intérieurement. Alors que je me voyais finir ma vie comme institutrice en Colombie, je me découvre ici religieuse dans l’imprévu de Dieu en restant ouverte à ce qu’Il me demande, au jour le jour.

De nature plutôt timide, je n’ai pas de grandes ambitions, mais depuis que je suis à Tours, on ne me donne que des responsabilités, ce que j’ai toujours fui ! Je suis ainsi directrice de notre résidence universitaire et coordinatrice de l’équipe diocésaine de coopération missionnaire à Tours. Mon rôle dans cette fonction est d’éveiller le désir pour la mission et de prier pour cette dernière. La coopération missionnaire favorise les échanges entre les communautés dans le monde, par la prière, l’information sur la vie des Églises locales, l’envoi et l’accueil de témoins au service de la mission, et le partage financier entre Églises du monde.

Avant, le terme « mission » renvoyait aux religieux qui partaient à l’étranger annoncer la Bonne Nouvelle. Aujourd’hui, il doit être compris beaucoup plus largement. Être en mission, c’est donner du sens à ce que l’on fait et, par là même, susciter un questionnement chez d’autres. Car la foi commence toujours par une question. Mon « chez moi » n’est pas la Colombie, même si je mourrai colombienne intérieurement. Je crois qu’à partir du moment où l’on arrête de dire « Chez moi, on fait ça », on peut entrer en relation et découvrir les richesses d’un peuple.

Nous avons la chance en France d’être confrontés à des personnes qui pensent et croient d’une manière différente. Moi qui suis née dans la foi et qui ne me suis jamais posée la question de croire ou de ne pas croire, je suis émerveillée devant les recommençants ou les jeunes catéchumènes. Ils me renouvellent dans ma foi et me font sortir de mon confort spirituel. Je suis émerveillée aussi par la générosité des Français et leur manière de vivre leur foi : plus réfléchie et intellectuelle que chez nous, elle n’en est que plus engagée.

Lorsque j’entends qu’en France il n’y a plus de catholiques, que les églises se vident, je me dis qu’au début, ce n’était pas le nombre qui faisait l’Église, mais de petites communautés qui partageaient. C’est peut-être ça qui nous est demandé aujourd’hui. Je ne pense pas que le Seigneur nous enjoigne à remplir les églises pour se rassurer sur la survie du catholicisme. Il nous appelle à vivre ce que nous devons vivre, à être attentifs à l’autre et à faire chemin avec Lui. C’est ainsi que naissent de petites communautés. La déchristianisation en Europe ne me décourage pas du tout, au contraire. Elle me stimule pour, plus que jamais, amener l’autre à découvrir le Christ, non pas en lui imposant ma vision des choses, mais, comme le dit saint Paul, à le conduire, par l’amour, à une doctrine qui est plus miséricorde qu’imposition. Ce n’est pas moi qui vais sauver l’autre, mais c’est ensemble que l’on peut se sauver. Avec la grâce de Dieu.

Les étapes de sa vie
1972 Naissance à Nobsa (Boyacá, Colombie)
1994 Première profession.
2000 Voeux perpétuels.
2001 Arrivée en France.
2002-2012 Vit dans une communauté dominicaine à Paris.
2012 Installation à Tours. Nommée directrice de la résidence étudiante de sa communauté, coordinatrice de l’équipe diocésaine de coopération missionnaire à Tours, ainsi que de l’École des responsables.

 

propos recueillis par Anne-Laure Filhol pour  La Vie – 2 août 2017
Photos Anthony Micallef/Haytham pour La Vie
© Malesherbes Publications