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Oblats de Marie Immaculée : revisiter la mission !

Alfonso Bartolotta est missionnaire dans la congrégation des Oblats de Marie Immaculée (OMI). Il est italien et a été en poste au Sénégal puis en France. Missionnaire en France ? que peut-on faire ? et comment doit-on vivre cette vocation de missionnaire ? Voici les réponses et le témoignage de ce prêtre ami qui réside désormais à Nice.

Oblats de Marie Immaculée : revisiter la mission ! P. Alfonso en Tanzanie, en 2016.

P. Alfonso en Tanzanie, en 2016.

Mission tout terrain

Missionnaire concret et réaliste, p. Alfonso Bartolotta, un Oblat d’origine sicilienne, a vécu sa vie missionnaire entre le Sénégal et la France. Après avoir passé six ans au Sénégal de 1994 à 2000, il s’installe à Lourdes de 2000 à 2003 pour regagner la Casamance, au sud du Sénégal, de 2003 à 2006. Il revient successivement en France, tout d’abord à Lyon (2006-2012) et puis dans la banlieue parisienne, à Fontenay-sous-Bois (2012-2017). Depuis quelques mois, nous le trouvons à Nice en tant que responsable de la communauté oblate de la ville. Sur la Côte d’Azur, p. Alfonso est chapelain au sanctuaire du Sacré-Cœur, dont le p. Martin Kedah, Oblat d’origine camerounaise, est le recteur. « L’autre tâche – nous dit-il – relève de la responsabilité du Centre d’accueil « TOIT pour TOI » pour les jeunes en difficulté et en quête d’intégration. Ce deuxième engagement missionnaire, je le réalise avec le frère Mariusz Lorenc, Oblat d’origine polonaise ».

Ces dernières années, tu as accompagné des groupes de jeunes en mission, à l’étranger. Comment penses-tu que les jeunes accueillent l’engagement missionnaire de l’Église ? Que reste-t-il aux jeunes de ces expériences sur le terrain ?

Les deux années que j’ai vécues au Cameroun, à l’âge de 24 ans, m’ont fait découvrir la beauté de la mission. Depuis le début de mon arrivée en France, le Cardinal Philippe Barbarin m’a confié la tâche de proposer, chaque année, pendant l’été, un voyage humanitaire aux jeunes, entre 18 et 30 ans. En huit ans, j’ai eu la chance de réaliser et de vivre huit voyages, dans six pays différents : deux à Madagascar et en Tanzanie, puis au Niger, au Sénégal, au Togo et en Roumanie. J’ai toujours cru à l’importance de ces voyages formateurs, non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les missionnaires qui les préparent, les accompagnent et relisent avec eux leur expérience vécue. Partir est une opportunité privilégiée pour faire de la place à d’autres personnes que nous ne connaissons pas et de se laisser déranger dans notre façon de penser, de vivre et même de croire, souvent à sens unique. Les jeunes, face au choc culturel et cultuel, sont inévitablement appelés à se confronter, et à sortir d’eux-mêmes, à faire l’expérience d’être et de se découvrir – eux aussi – des étrangers et à apprendre des autres qui les accueillent tels qu’ils sont. La constatation commune et unanime est la joie de vivre, lisible sur les visages et surtout dans les yeux des enfants – malgré la précarité de la vie – et la joie de croire, célébrant la beauté de la foi avec dynamisme, donnant à Dieu le temps nécessaire, et sans regarder continuellement la montre, ou le téléphone portable… Découvrir que le rôle de l’Église ne se limite pas seulement aux célébrations, mais continue sa présence en célébrant la vie quotidienne de tous – croyants ou non – car tous sont créés à l’image de Dieu-Père. C’est en rencontrant les autres et en partageant la richesse de nos différences que chacun pourra grandir humainement et spirituellement. De retour en Europe, les jeunes sont invités à témoigner et à redonner tout ce qu’ils ont vu et reçu gratuitement.

Tu es responsable de l’Enfance missionnaire en France depuis 2012. Depuis plusieurs années, tu as assuré également un programme radiophonique hebdomadaire. Quel genre de réponse as-tu reçu suite à ces émissions ? Existe-t-il encore un espace pour communiquer l’idéal missionnaire aux jeunes générations ?

Tout a commencé en 2015 grâce à un partenariat entre la Radio Chrétienne Francophone (RCF) et les Œuvres Pontificales Missionnaires (O.P.M.) couvrant tout le territoire national français. Il s’agit d’un programme hebdomadaire, tous les mercredis avec reprise le dimanche, et diffusé dans les 63 stations de radio locales et dans les 250 fréquences de France et de Belgique. Le but est de permettre aux adolescents d’exprimer librement leurs propres questions en leur donnant le droit à la parole. Le titre est vraiment original : « Les petits curieux de la foi ». Je me souviens encore bien d’une de leurs drôles de questions : « Pourquoi à Noël on reçoit des cadeaux et à Pâques on mange des chocolats ? » Pour être sincère, je dois admettre que je me suis mis à rire… Parce que je ne savais pas dans quelle partie de l’Évangile je trouverais les réponses ! La question par contre était révélatrice de ce qu’ils pensent et de leur peu de connaissance des principales fêtes chrétiennes. A Noël, ils associent volontiers les cadeaux et à Pâques, le bon goût du chocolat. C’est étrange, mais il n’y a aucune allusion à la signification des deux événements et on ne nomme pas non plus le contenu des fêtes que ce soit la naissance ou la mort et la résurrection de Jésus ! C’est peut-être cela aussi une expression de la pauvreté, dans le monde contemporain…
La première année il s’agissait d’un rendez-vous avec les élèves des écoles des Chartreux à Lyon, puis les élèves de Valence y ont participé, et nous arrivons ainsi à un total de 110 émissions en trois ans. Les nombreuses questions des élèves, leur curiosité à propos de la foi, de la vie chrétienne et humaine dans le monde, démontrent le désir de connaître et de vouloir en savoir davantage. Il est bon de noter la simplicité et la spontanéité de leurs questions, l’intérêt pour le domaine de la foi ou de la dimension spirituelle. L’écho a été positif, non seulement pour les adolescents, mais aussi pour les adultes qui écoutent volontiers les émissions, car après tout nous nous posons tous des questions et nous aimerions surtout avoir des réponses. Cette aventure radiophonique, pas toujours facile, m’a permis d’écouter et de répondre de manière brève et claire, du moins je l’espère !

…se laisser déranger dans notre façon de croire…

Dans ton service de la mission sur le territoire français tu as eu l’occasion de visiter de nombreux diocèses. Que vit l’Église française en ce moment historique ?

Après cinq ans au service des O.P.M. pour l’Enfance Missionnaire, je rends grâce à Dieu d’avoir voyagé et découvert de nombreux diocèses en France, d’avoir rencontré tant de personnes de bonne volonté, engagées au service de l’Église universelle, d’avoir été bien accueilli par les élèves dans de nombreuses écoles (maternelles, primaires et secondaires) et de constater leur ouverture envers les nécessiteux, s’engageant par la prière et le partage, à soutenir divers micro-projets humanitaires, destinés à leurs pairs dans le monde. Leur slogan est un véritable programme de vie : « Les enfants aident les enfants » ! Les multiples initiatives démontrent leur solidarité, régulière et concrète, et disent aussi que la mission concerne vraiment tout le monde. C’est le fruit d’un parcours progressif, grâce à la pédagogie des 3P, proposée aux enfants, au début de chaque année scolaire lors de la présentation du nouveau projet. Le premier P est Penser, connaître, s’informer et s’intéresser aux autres. Le deuxième P est Prier pour et avec les autres, se soutenir, se reconnaître comme des enfants, des frères et sœurs, confiant l’humanité entière à notre Dieu-Père. Le troisième P est Partager, enseigner et apprendre, donner et être don, sortir de l’individualisme et de l’indifférence pour entrer dans la culture de l’altruisme et de la solidarité. L’Église française est riche de la variété de son laïcat, grâce aux nombreuses communautés nouvelles, engagées dans la nouvelle évangélisation. Beaucoup de jeunes sont désireux de partager ouvertement leur propre expérience de vie chrétienne. D’autres essaient de communiquer dans le domaine de l’œcuménisme, grâce au mouvement Coexister qui se définit inter-religieux, et lieu de partage des convictions, fondé sur le respect mutuel des différences religieuses et la possibilité d’un témoignage missionnaire communautaire. Dans de nombreux diocèses, le clergé, la vie ecclésiale et, plus encore, la composition des équipes pastorales et les communautés paroissiales sont vraiment internationales : un véritable brassage de cultures, de traditions, de parcours de foi, de formation chrétienne, comparable à un laboratoire où chacun est appelé à donner sa propre spécificité pour construire la fraternité. Les difficultés ne manquent certainement pas, comme partout ailleurs, accentuées, ces derniers temps, par des attaques fréquentes – et par d’autres tentatives heureusement déjouées – qui génèrent la psychose de la peur, de l’incertitude, de l’instabilité, de la panique et de ne pas se sentir à l’abri, nulle part, même pas dans les églises. N’oublions pas la fin tragique de p. Jacques Hamel assassiné pendant la messe, à Saint-Etienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016. Cette nouvelle que j’ai lue, alors que j’étais avec un groupe de jeunes en Tanzanie, m’a choqué parce que je pensais aux trois messes célébrées avec lui – oui, précisément avec lui – dans la même église et sur le même autel, pendant les funérailles de mon grand-oncle, de ma grande tante et d’un cousin paternel, la dernière fois, c’était en janvier 2016. La solidarité et la générosité du peuple et de l’Église française, après ces événements dramatiques et inhumains, se sont développées, favorisant entre les personnes – au-delà de la diversité des croyances religieuses et culturelles – la cohésion, l’identité, les liens d’appartenance de plus en plus forts et solides. La vie, en tout cas, doit toujours être vécue. Nous devons continuer à espérer, tout en restant prudents et attentifs.

Récemment, tu t’es risqué dans un livre. Peux-tu nous dire de quoi il s’agit ?

C’est vrai, j’ai ‘commis’ un livre ! Et de plus, je suis ‘coupable’ d’avoir poussé cinq autres auteurs, dont un Oblat camerounais, Raymond Pierre Nani, à tomber dans le même ‘piège’ ! L’idée originale est née de la collaboration entre l’une de mes collègues des O.P.M., Mariette Levaye-Gries, et un journaliste protestant, Eric Denimal, déjà connu pour le best-seller de La Bible pour les Nuls. Le livre « 40 missions pour une génération » (éditions Première Partie, 2017, 256 pages, 17,00€) s’inscrit dans la continuité du livre précédent « 40 prophètes pour une génération ». L’objectif est de présenter la beauté de la dimension missionnaire qui concerne tout baptisé. Parmi les 40 missionnaires il y a des gens ordinaires, inspirés par la foi et engagés dans divers domaines, mais tous au service du prochain, dans le monde d’aujourd’hui : des jeunes, des adultes, des couples, des religieux/ses, des prêtres, des évêques. Il s’agit de découvrir et de savourer le parcours humain-spirituel de quarante chrétiens, des cinq continents. Le lecteur se rend compte qu’il existe de nombreuses façons d’exprimer et de témoigner du don de la foi : chaque itinéraire est unique, tout comme chaque être humain est unique. Le dynamisme de leurs témoignages encourage, stimule et provoque le lecteur attentif. La mission, tout le monde la vit là où il est, mais il est possible de l’expérimenter ailleurs, et en tout cas, il faudra toujours sortir de soi. Paradoxalement, même celui qui décide de rester, devra toujours sortir, et puis partir !

par Pasquale Castrilli
Revue « Missioni OMI »
jan/fév 2018