Carmel de la paix à Mazille : revisiter la mission !
Sr Juliana de la communauté du Carmel de la paix à Mazille (Saône et Loire) a été interviewée par Antoine Sondag le jour de Pâques 2018. Que signifie mission lorsqu’on est carmélite ?
Le Carmel commence au XIIe siècle lorsque des ermites se mettent à vivre sur les pentes du Mt Carmel en Palestine, au moment des croisades. Ils se retirent en Europe lorsque les Sarrazins récupèrent les lieux. L’ordre est ensuite réformé et devient aussi un ordre féminin. La grande réforme est celle du XVIe siècle sous l’impulsion de Ste Thérèse d’Avila et de St Jean de la Croix.
Question à Sr Juliana : Comment présenter ce Carmel de la paix à Mazille ?
La réforme décisive de l’ordre a été impulsée par Thérèse d’Avila au XVIe siècle, elle a mis l’accent sur l’atmosphère familiale qui doit régner dans les monastères, sur les petites communautés. Toutes les religieuses doivent êtres amies. Thérèse d’Avila a montré comment la relation à Dieu et la prière sont inextricablement liées à la vie fraternelle. Elle a formulé l’intuition que notre manière d’agir pour atteindre ce monde en feu, c’est de vivre le plus sérieusement possible ce que nous avons compris de l’évangile avec quelques compagnes, une intuition mise en œuvre à petite échelle mais qui a des répercussions dans le monde entier.
Q : Ce carmel de la paix existait depuis fort longtemps….
Il existait depuis 1610 à Chalon sur Saône, il a été déplacé à Mazille en 1970-71, la communauté en entier a décidé le transfert par un vote unanime. Cela a beaucoup changé le visage de la communauté.
Dans le rural, avec des voisins paysans, le monastère a lancé lui-aussi une exploitation agricole ! Un carmel s’adapte toujours à l’environnement, on y fait ce que font les voisins.
L’activité « Accueil » a aussi commencé, parce que des personnes et des groupes ont demandé à partager la prière de la communauté, on a donc consacré des bâtiments de ferme à l’accueil, ils ont été aménagés. L’accueil est important ici.
Les « activités » du Carmel ont évolué : accueil toujours important, œcuménisme, dialogue inter religieux… en général, cela commence par une demande de l’extérieur, avec une réponse de la communauté !
En réaction à la demande externe, on a donc créé un accueil, des amitiés se sont nouées avec des pasteurs protestants, surtout de Genève. Et très vite, on a éprouvé une grande proximité, beaucoup a pu être partagé… Cette amitié a joué un rôle pour notre compréhension de la liturgie, c’est une liturgie en chantier, marquée par la sobriété, la volonté d’actualiser la Parole… Tout cela est bien dans l’esprit du concile Vatican II…
Sr Marie Thérèse, l’ancienne prieure décédée maintenant, avait le souci de donner un visage à cette ouverture. Cette ouverture se manifeste aussi dans l’architecture et dans l’agencement intérieur : une clôture, mais sans grille. Et comment signifier un seul peuple de Dieu ? Cela doit être manifesté dans la disposition à l’église, nous sommes tous à la même hauteur, nous sommes le Corps du Christ… pour la liturgie, on a cherché une forme qui ne choque pas nos amis protestants.
Pour le dialogue inter religieux, il y avait une demande au niveau départemental : des chrétiens de diverses dénominations, des juifs, des musulmans et des bouddhistes cherchaient un lieu « neutre » pour se réunir… et ils sont venus ici. Nous avons accueillis ce mouvement qui s’est ainsi mis en route. Cette rencontre inter religieuse se tient tous les deux ans, depuis 2006. Elle rassemble deux cents personnes environ de tout le département. Des amitiés fortes se sont nouées avec le secrétariat.
Q : Et ton itinéraire personnel ?
En 2007 je suis entrée ici au Carmel, j’ai prononcé les vœux définitifs en 2015. Je suis allemande : pourquoi ne pas entrer dans un Carmel en Allemagne ? Je n’en connaissais pas, on ne choisit pas sur catalogue. Je n’étais venue qu’une seule fois ici rendre visite à une amie qui était entrée sept ans avant moi. En rencontrant la communauté, cela m’a paru une évidence : c’était ce lieu-là, j’avais cherché cela pendant des années, mais sans le trouver. La vie religieuse était une question que je me posais, mais c’est devenu concret en rencontrant ce lieu. La question « quel Carmel » ne se pose pas, c’est lié à une expérience concrète.
Q : Quand on est carmélite, que veut dire : être missionnaire ?
Vivre derrière une clôture, être enracinée quelque part, ce n’est possible et cela n’a de sens que si c’est pour la multitude, en vue de quelque chose d’universel. C’est une particularité du Carmel de vivre même les petites choses du quotidien, et dans la foi, on sait que cela ne va pas rester sans écho. Du coup, on est atteint par tout ce qu’on entend, les nouvelles de nos amis, des informations du monde… Notre seule manière d’agir, c’est de réussir la vie fraternelle, ainsi on peut concrétiser le désir de paix qui anime tous les peuples, et apporter notre petite pierre à cette aventure.
Quand je suis entrée, j’en entendu dire : notre première mission, c’est de réussir notre vie fraternelle. Chaque disciple de Jésus est missionné parce qu’il a envie de faire connaitre ce qu’il a connu lui, cet amour plus fort que la mort ; la fraternité qui devient possible parce qu’on découvre qu’on est enfants du même Père. En ce moment, la société se découvre connectée dans l’immédiat, nous nous rendons compte que nous avons le devoir de rester un ferment pour une autre manière de vivre… Dans la vie spirituelle, tout est dans la durée, cela évolue petit à petit, cela avance lentement… Nous sommes là, comme des résistants face à la vitesse du monde…
Q : Comment entendez-vous le discours du pape sur notre vocation à être disciple-missionnaire ?
Cela nous conforte dans notre mission. On devient disciple-missionnaire, chaque jour un peu plus… Cela nous conforte dans notre intuition, sur notre colline, colline circonscrite, petite certes, mais c’est quand même avec des répercussions ailleurs…
Q : Pourquoi y a-t-il tant d’Allemandes parmi les moniales ?
On n’a pas choisi, cela nous a été donné avec l’arrivée de la première sœur allemande. Ensuite sont venus les amis et les familles, des groupes d’Allemands sont venus, provenant de paroisses, d’aumôneries d’étudiants, peut-être après un passage à Taizé qui est à une dizaine de kilomètres d’ici… Et ainsi, ce Carmel est connu par des Allemands et des Allemandes… et certaines entrent ici.
Petite anecdote : en clôture, il y a une statue qui date d’avant le monastère. Cette statue a été érigée par les habitants du village, pour remercier d’avoir été épargnés des bombardements durant la seconde guerre…En arrivant ici sur la colline, nous avons trouvé cette statue, on l’a gardée, on a accueilli des sœurs allemandes. Au sein de notre vie communautaire, il y a un dialogue franco-allemand…
Le père de ma maitresse des novices avait été en camp de concentration. J’ai posé la question à cette maitresse des novices : ton père a été en camp, et tu accompagnes une sœur allemande… L’amitié franco-allemande est devenue concrète sur le terrain.
Presque chacune de nous dans nos familles a quelqu’un qui a été à Verdun, des deux côtés, des morts des deux côtés, dans chaque famille… C’est notre petite pierre que nous apportons à la construction de l’Europe, on essaie d’intégrer les Allemands de passage dans notre liturgie, dans la prière… nous faisons des lectures en allemand, et donc chacun a sa place.
Dans la communauté, il y a aussi une Chinoise de Hong Kong, et Sœur Marie Thérèse venait de l’Espagne. Il n’y a personne de l’Afrique !
Q : Il n’y a pas d’Africaine sub-saharienne dans ce Carmel, alors qu’on en voit dans beaucoup de monastères en France ?
Mais nous avons un lien spécial avec le Carmel de Figuil, au Cameroun parce que notre Sœur Bénédicte (qui était ici) est partie dans ce carmel : la communauté là-bas venait de se fonder et avait besoin d’aide, aussi la communauté de Mazille a laissé partir Bénédicte…
Sœur Marguerite est partie à la Réunion au Carmel des avirons. Ces deux départs créent un lien spécial entre notre carmel et leur carmel. C’était des appels, on y a répondu…
Il y a aussi les carmels de France, ils sont réunis dans des fédérations, une fédération au nord, et deux au sud. Il y a des rencontres en assemblée fédérale, ce sont des structures qui apportent de l’aide là où cela est requis. Les réunions se passent au niveau des prieures.
Q : Quel est le lien du Carmel avec le diocèse ?
Lien avec le diocèse : l’évêque du lieu a un rôle de « protecteur », il est présent pour toutes les célébrations de vœux. Il n’y a guère de réunions diocésaines au carmel, car il y a la maison diocésaine pour cela. Nous avons participé au synode diocésain, plutôt par la prière, cela nous a fait réfléchir… Les prêtres diocésains nous rendent service, il y a pas d’aumônier en titre pour le carmel, nous mettons à profit le passage de prêtres ici.
Q : Les liturgies sont très belles au carmel. Des gens y participent. N’y a-t-il pas le risque d’écrémer une élite chrétienne qui vient chez vous au lieu de dynamiser les paroisses environnantes ?
Je ne crois pas, aux messes du dimanche, il n’y a pas beaucoup de paroissiens de Cluny. D’ailleurs nous avons le souci de les renvoyer vers leurs paroisses, les horaires des messes du carmel sont affichés dans les églises autour, nous faisons partie de la communauté de paroisses du lieu…
Il n’y a pas de concurrence. Certains groupes de partage biblique se tiennent ici, en présence d’ailleurs de deux Sœurs. Le P. Aucourt propose des initiatives sur la paroisse et nous y participons…
Nous sommes proches de la Mission de France, avec ses intuitions pastorales : rencontrer l’autre, accueillir ce qui est déjà là, reconnaitre l’Esprit de Dieu à l’œuvre… On sent cela très fort nous aussi, c’est lié à la fonction de l’accueil… On ne rencontre pas que des pratiquants, on ouvre ce lieu, et chacun peut participer comme il veut, pour se poser ou se reposer… C’est une approche fondée sur l’accueil.
La Mission de France nous apprend beaucoup de choses… Nous partageons ce souci : comment dire Dieu à notre monde ? Trouver les mots qui parlent ? Cela habite notre liturgie… nous tentons de poser des antiennes avant les psaumes, pour éclairer le psaume par une phrase actuelle, pour que cela apporte une lumière à chacun…
Interview réalisée par Antoine Sondag
01 avril 2018