Quatre attitudes pour vivre le dialogue interreligieux
Vincent Feroldi, directeur du Service pour les relations avec les musulmans (CEF) nous propose ici quatre attitudes (spirituelles) à pratiquer par ceux qui veulent s’engager sur le chemin du dialogue interreligieux.
Quatre attitudes pour vivre le dialogue interreligieux
• L’empathie
Écoutons les paroles du Pape François, le 4 mai 2016, paroles adressés aux participants du colloque organisé par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux : « Le travail que vous accomplissez est un travail de construction. Nous vivons une époque où nous nous sommes habitués à la destruction que provoquent les guerres. Et le travail du dialogue, du rapprochement nous aide toujours à construire. Dans une réunion de ce genre, le mot le plus important est dialogue. Et le dialogue signifie sortir de soi-même, par la parole, et écouter la parole de l’autre. Les deux paroles se rencontrent, les deux pensées se rencontrent. C’est la première étape d’un chemin. Après cette rencontre de la parole, les cœurs se rencontrent et commence un dialogue d’amitié, qui finit par une poignée de main. Paroles, cœurs, mains. C’est simple ! Un enfant sait faire cela… Pourquoi ne le ferions-nous pas ? Et ceci est — petit, petit, petit — le pas de la construction, de l’amitié, de la société. Nous avons tous un Père commun : nous sommes frères. Marchons sur cette voie, c’est beau ! » L’empathie est de l’ordre de la fraternité vivante entre les humains.
• Une posture théologique d’enrichissement mutuel
Rappelons-nous quelques phrases-clés de la déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra Aetate (28 octobre 1965) :
§1 : « …Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous, jusqu’à ce que les élus soient réunis dans la Cité sainte, que la gloire de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière… ».
§ 2 : « …L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses [4]. Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux ».
Après avoir reconnu au début du § 3 que l’Église regarde avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes, le texte conclut en ces termes : « Le saint Concile les [chrétiens et musulmans] exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».
Il faudrait également citer la totalité du § 11 du décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes (7 décembre 1965), intitulé « Le témoignage de la vie et le dialogue » :
« Il faut que l’Église soit présente dans ces groupes humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. Car tous les fidèles, partout où ils vivent, sont tenus de manifester, par l’exemple de leur vie et le témoignage de leur parole, l’homme nouveau qu’ils ont revêtu par le baptême et la force du Saint-Esprit qui les a fortifiés par la confirmation, afin que les autres, considérant leurs bonnes œuvres, glorifient le Père (cf. Mt 5, 16) et perçoivent plus pleinement le sens authentique de la vie humaine et le lien universel de communion entre les hommes.
Pour qu’ils puissent donner avec fruit ce témoignage au Christ, ils doivent se joindre à ces hommes dans l’estime et la charité, se reconnaître comme des membres du groupe humain dans lequel ils vivent, avoir part à la vie culturelle et sociale au moyen des diverses relations et des diverses affaires humaines ; ils doivent être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses, découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées ; ils doivent en même temps être attentifs à la transformation profonde qui s’opère parmi les nations, et travailler à ce que les hommes de notre temps, trop appliqués à la science et à la technique du monde moderne, ne soient pas détournés des choses divines ; bien au contraire, à ce qu’ils soient éveillés à un désir plus ardent de la vérité et de la charité révélées par Dieu. Le Christ lui-même a scruté le cœur des hommes et les a amenés par un dialogue vraiment humain à la lumière divine ; de même ses disciples, profondément pénétrés de l’Esprit du Christ, doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin qu’eux aussi apprennent dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations ; ils doivent en même temps s’efforcer d’éclairer ces richesses de la lumière évangélique, de les libérer, de les ramener sous la Seigneurie du Dieu Sauveur ».
Nous avons aussi ce passage de la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes (7 décembre 1965) qui rappelle que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal :
4. Devenu conforme à l’image du Fils, premier-né d’une multitude de frères [34], le chrétien reçoit « les prémices de l’Esprit » (Rm 8, 23), qui le rendent capable d’accomplir la loi nouvelle de l’amour. Par cet Esprit, « gage de l’héritage » (Ep 1, 14), c’est tout l’homme qui est intérieurement renouvelé, dans l’attente de « la rédemption du corps » (Rm 8, 23) : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts demeure en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous (Rm 8, 11). Certes, pour un chrétien, c’est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l’espérance, il va au-devant de la résurrection.
5. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal.
Sans oublier la constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium (21 novembre 1964) et les § 16 et 17 qui parlent de « tout ce qu’il y a de germe de bien dans le cœur et la pensée des hommes ou de leurs rites propres et leur culture » et de la nécessité devoir en ce bien « comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie ».
Il s’agit dès lors de prendre en compte l’analogie de la foi qui permet de prendre au sérieux les croyances des « autres », et mieux, de leur adresser une véritable estime théologale. D’une entre-connaissance et d’une profession de foi partagée en amitié et en fraternité pourra grandir une connaissance mutuelle de Celui vers qui, ensemble, nous nous tournons par-delà la diversité de nos chemins.
• Une foi professée paisiblement et en confiance
Sortons d’une posture de combat ou de conquête pour vivre celle d’une annonce et du témoignage. Souvenons-nous de « Dialogue et Annonce. Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Évangile », signé le 19 mai 1991 par le cardinal Arinze, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et par le cardinal Tomko, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.
Le § 83, intitulé « L’amour désire partager », déclare : « Dans cette approche du dialogue, comment [les chrétiens] n’éprouveraient-ils pas l’espoir et le désir de partager avec les autres leur joie de connaître et de suivre Jésus Christ, Seigneur et Sauveur ? Nous sommes ici au cœur du mystère de l’amour. Dans la mesure où l’Église et les chrétiens ont un amour profond pour le Seigneur Jésus, le désir de partager avec d’autres est alors motivé non seulement par leur obéissance au commandement du Seigneur, mais aussi par cet amour même. Que les membres des autres religions aient un désir sincère de partager leur foi, cela va de soi et ne saurait surprendre. Tout dialogue implique la réciprocité et vise à bannir la peur et l’agressivité ».
Mais c’est à Dieu seul de savoir quel est le chemin que doit parcourir celui qui veut suivre Jésus Christ, Seigneur et Sauveur.
• Une citoyenneté affirmée et assumée
Dernière attitude évoquée, celle liée à la citoyenneté. Dans un Etat laïc, il est important que le croyant n’oublie pas sa condition de citoyen car cette citoyenneté qui va régir ses relations avec ses concitoyens. Il est dans un espace où, ensemble, hommes et femmes de toutes convictions ont établi les règles de la vie commune.
En effet la citoyenneté est la manifestation d’une identité commune. Si nous prenons les informations données par le site de la Direction de l’information légale et administrative , il nous est dit que la citoyenneté est le lien social établi entre une personne et l’État qui la rend apte à exercer l’ensemble des droits politiques attachés à cette qualité sous réserve qu’elle ne se trouve pas privée de tout ou partie de cet exercice par une condamnation pénale (privation de droits civiques).
Ce lien juridique, qui lie une personne à un pays, est commun à l’ensemble des citoyens, quelle que soit la façon dont ils ont acquis la nationalité (par naissance ou naturalisation). Il est le signe que nous faisons partie d’un groupe particulier.
La citoyenneté manifeste aussi le rattachement à une même communauté politique, la Nation. Elle permet de voter et d’être élu. Il faut toutefois mettre à part le cas des ressortissants d’États membres de l’Union européenne qui peuvent voter aux élections municipales et européennes, bien que ne possédant pas la nationalité et donc la citoyenneté française.
Enfin, la citoyenneté française est la manifestation d’une identité culturelle et d’une histoire commune. Ainsi, en France, les citoyens partagent l’héritage de moments essentiels tels que la Révolution de 1789, les deux guerres mondiales du XXe siècle, l’Occupation et la Résistance, les guerres coloniales et les mouvements d’émancipation des anciennes colonies. Chaque citoyen n’a pas à assumer, à titre personnel, les fautes ou les crimes commis par l’État dont il a la nationalité. La citoyenneté va de pair avec la construction de la mémoire d’épisodes marquants d’une histoire nationale.
Vincent Feroldi
Directeur du Service National pour les relations avec les musulmans (CEF)