Le Saint Siège et le dialogue interreligieux

Vincent Feroldi, directeur du Service national pour les relations avec les musulmans (CEF), nous propose ici une vue synthétique de l’engagement du Saint Siège pour le dialogue interreligieux au cours du premier semestre 2016.

En quelques six mois, l’activité du Vatican en matière de dialogues islamo-chrétiens a été marquées par des gestes prophétiques, des rencontres remarquées, des paroles fortes et des orientations confirmées, de la part tant du pape François que de ses proches collaborateurs que sont les cardinaux Tauran1 et Turkson2 et le Père Miguel Angel Ayuso Guixot3 .

Dès le 1er janvier, le Pape a situé son action dans la suite de Nostra aetate et Gaudium et spes et rappelé  que « Dieu n’est pas indifférent ! Dieu accorde de l’importance à l’humanité, Dieu ne l’abandonne pas ! ». Il montrait ainsi qu’il était attentif, non seulement à l’Eglise catholique, mais essentiellement à toute l’humanité, car l’Eglise se doit d’introduire à l’intérieur de l’humanité une « relation de dialogue, de solidarité et d’accompagnement ». Cette relation doit être ouverture au « dialogue avec les expressions religieuses non chrétiennes » et « dialogue avec la famille humaine sur les problèmes du monde ».

Cal-Tauran

Jean-Louis Tauran, cardinal français

Tout au long de ce premier semestre 2016, des expressions-clefs vont revenir :
• sauvegarde de la maison commune (Pape François, Laudato si’)
• cohabitation harmonieuse (Pape François, 11 janvier)
• le dialogue n’est pas une option mais une nécessité (Père Miguel Angel Ayuso Guixot, 19 janvier)
• construire des réseaux de respect et de fraternité, en défendant les pauvres et en protégeant la nature (Cardinal Peter Turkson, 6 février)
• nous devons tous faire un geste de fraternité (Pape François, 24 mars)
• créer des ponts (Pape François, 11 avril)
• l’apport du christianisme à une culture est celui du service et du don (Pape François, 9 mai)
• Travailler main dans la main4  (Cardinal Tauran, 10 juin)
• Sans oublier le message de la Secrétairerie d’Etat du Vatican lu au début du Colloque sur le dialogue interreligieux (Rome, 22 juin 2016).

Mais il faut constater que le Pape François parle plus par des gestes et par des rencontres. Au l’issue de sa rencontre avec le Grand imam d’Al Azhard, n’a-t-il pas déclaré lui-même que le message à retenir de cette rencontre entre deux hommes qui se sont donné l’accolade était la rencontre elle-même.

Peter Turkson, cardinal ghanéen

Peter Turkson, cardinal ghanéen

Or, depuis le début de l’année, il en a rencontré des hommes et des femmes, des familles, des sunnites, des chiites et des soufis, des politiques et des religieux, des riches et des pauvres, des personnes en responsabilité, des réfugiés et des demandeurs d’asile :
• des responsables musulmans d’Italie et ambassadeurs des pays arabes
• le président de la République islamique d’Iran, Hassan Rohani, religieux chiite modéré
• des responsables catholiques et musulmans engagés dans le dialogue (Algérie, Bahreïn, Égypte, Indonésie, Irak, Jordanie, Kenya, Liban, Syrie)
• des demandeurs d’asile (quatre Nigérians catholiques, trois femmes érythréennes de confession copte, trois musulmans de différentes nationalités, un Indien de religion hindoue, et une assistante italienne)
• des réfugiés musulmans (deux familles de Damas et une de Deir Azzor [Syrie])
• des Bektashis, membres albanais d’une confrérie issue de la mouvance soufie chiite fondée au XIIIème siècle en Anatolie
• le cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhard (Egypte)
• Mozah bint Nasser, une femme, mère de l’émir du Qatar et l’une des trois épouses de son père

Mais comment ne pas évoquer les deux gestes prophétiques du Pape François et son interview au journal La Croix qui ont surpris, bousculés, voire choqués un nombre non négligeable de catholiques français, ce qui montre de la difficulté du dialogue aujourd’hui.

Il y eut d’abord ce Jeudi Saint 2016 où, comme l’année précédente, le pape lava les pieds non seulement à des femmes, mais aussi à des musulmans, à savoir onze jeunes demandeurs d’asile : quatre Nigérians catholiques, trois femmes érythréennes de confession copte, trois musulmans de différentes nationalités, un Indien de religion hindoue, et une assistante italienne. Aussi, le pape déclara : « Ce soir, nous sommes tous réunis, ensemble, musulmans, hindous, catholiques, coptes, évangéliques, tous différents mais tous frères, tous enfants du même Dieu, qui veulent vivre en paix » et d’ajouter que ce geste était « un geste de fraternité que nous devons tous faire, car nous voulons tous vivre en paix ». Ce geste ne se voulait donc pas tant un acte sacramentel ou un sacramental qu’un geste de fraternité, un geste de paix, un geste de charité infinie.

Deuxième geste retentissant : le fait de ramener trois familles musulmanes de Lesbos, le 16 avril 2016. L’absence de chrétiens fut très mal perçue par cette partie des catholiques très engagés au côté des chrétiens d’Orient, persécutés par l’État islamique et autres groupes djihadistes, et par ces autres catholiques très inquiets devant une « islamisation » de la société française. Les explications données tant par le pape que son entourage furent quelque peu confuses. Avec le recul, nous pouvons dire que ce geste réellement prophétique avait plusieurs dimensions :
• Interpeler l’Europe – et tout catholique – dans sa capacité à accueillir tout homme et toute femme en danger ;
• Ne pas contrecarrer l’action des évêques du Proche-Orient qui ne cessent de rappeler que l’avenir des chrétiens d’Orient est de rester au Proche-Orient ;
• Signifier aux musulmans fondamentalistes ou terroristes que l’Église catholique est attentive aux minorités religieuses et accueillent, sans contrepartie, hommes et femmes, adultes et enfants de religions différentes.

Miguel_Ayuso-Guixot

Miguel Ayuso Guixot, évêque espagnol

Mais le pape François n’allait pas en rester là. Il décida de s’adresser directement au peuple français au cours de ce printemps 2016, à travers une longue interview de laquelle nous retenons un passage. Aux journalistes qui lui faisaient remarquer que, dans ses discours sur l’Europe, il évoquait les « racines » du continent sans jamais les qualifier de chrétiennes, parlant plus de « l’identité européenne » comme « dynamique et multiculturelle », il répondit : « Il faut parler de racines au pluriel car il y en a tant. En ce sens, quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-Paul II en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds. Le devoir du christianisme pour l’Europe, c’est le service. Erich Przywara, grand maître de Romano Guardini et de Hans Urs von Balthasar, nous l’enseigne : l’apport du christianisme à une culture est celui du Christ avec le lavement des pieds, c’est-à-dire le service et le don de la vie. Ce ne doit pas être un apport colonialiste ». Cette remarque nous sort d’une compréhension de l’Europe comme d’un pays exclusivement chrétien. L’Europe a été façonnée au fil de son histoire par l’apport de multiples influences qui ne doivent pas être niées ou oubliées en une période où les peuples sont dans des quêtes identitaires. Il nous pousse donc à prendre en compte cette interculturalité que nous évoquions précédemment.

Vincent Feroldi
Directeur du Service national pour les relations avec les musulmans (CEF)

1 Président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux 
2 Président du Conseil Pontifical Justice et Paix
3 Secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux
4 Message du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux aux musulmans pour le mois du Ramadan 2016 : « … C’est donc une source de grand espoir d’apprendre que des musulmans et des chrétiens travaillent main dans la main pour aider les nécessiteux. Ainsi, nous obéissons à un commandement important dans nos religions respectives; nous manifestons, de la sorte, la Miséricorde de Dieu et nous offrons, en tant qu’individus et en tant que communautés, un témoignage plus crédible de nos convictions ».