La liturgie dans la mission universelle de l’Église

Dans une première approche assez superficielle, liturgie et mission s’opposent, ou pour le moins, constituent deux temps bien différents de la vie de l’Église. C’est ce que pensent beaucoup de chrétiens. La liturgie serait une activité ad intra de l’église, et la mission consisterait à annoncer la Bonne Nouvelle vers l’extérieur : ad extra. P. Prétot, moine bénédictin et enseignant à la Catho de Paris, nous montre que cette opposition est erronée et assez vaine, la liturgie exprime et réalise au plus haut point la mission de l’Église.

La mission de l’Église à la lumière de l’Évangile de Matthieu

Il est assez habituel d’aborder la mission de l’Église à partir de l’idée de l’annonce du salut apporté au monde par le Christ sauveur et qui trouve son fondement dans l’ordre même du Christ ressuscité figurant dans la finale de l’Évangile de Matthieu :

Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé (Mt 28, 19-20a).

vezelayOn ne peut oublier cependant que cette formule évangélique est comme encadrée par deux autres affirmations. Le verset 18 note que « Jésus s’approcha d’eux, et il leur adressa ces paroles ». La mission se fonde donc sur l’initiative du Christ : c’est lui qui vient à nous. Plus encore, l’ordre repose sur le don qu’il a lui-même reçu du Père : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ». Le terme grec exousia (traduit par le mot pouvoir) désigne l’« autorité » (cf. Mt 7, 28-29) du ressuscité qui lui vient du Père. Car Dieu a ressuscité son Fils par la force de l’Esprit-Saint comme le proclame Pierre à la Pentecôte : « Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez » (Ac 2, 32-33). Et l’envoi en mission est assorti d’une promesse : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20b). La mission ne se réduit pas à l’annonce, au risque de la penser comme une propagande : elle est la manifestation même de la présence du ressuscité et de la force agissante de son Esprit dans la vie du monde.

La liturgie comme œuvre missionnaire

C’est là qu’apparaît la place de la liturgie (avec la martyria et la diakonia, la leitourgeia est l’une des trois fonctions essentielles dans l’Église) mais plus encore, la dimension missionnaire de la liturgie chrétienne. C’est ce qu’affirme Vatican II au début de la Constitution sur la liturgie dans un passage qui se présente comme une quasi-définition :

En effet, la liturgie, (…) contribue au plus haut point à ce que les fidèles, en la vivant, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église (n. 2).

A ceux auxquels s’adresse la mission, la liturgie montre que l’Église n’est pas d’abord une institution qui défendrait un discours et des valeurs, mais le mystère d’une présence qui la dépasse et dont elle essaie de témoigner : celle du ressuscité agissant par son Esprit (« je suis avec vous tous les jours… »).

Par-là, on voit apparaître en quoi la liturgie est missionnaire par nature. C’est en elle, en effet, que se réalise pour nous, le mystère de l’unité du Christ et de l’Église, qui est en même temps le mystère de la présence du Christ ressuscité dans notre monde. Il n’y a pas, d’un côté la mission, c’est-à-dire l’annonce explicite de la foi (qui se manifesterait en priorité dans la liturgie de la Parole et surtout dans l’homélie) et de l’autre, la liturgie (qui se réduirait à des pratiques rituelles ayant une valeur esthétique ou spirituelle). Lorsqu’elle est réduite à des cérémonies, la liturgie perd son sens le plus profond qui est de révéler, et plus encore de réaliser, l’unité entre le Christ tête et son corps ecclésial. La liturgie est donc à vivre comme une expérience communautaire de rencontre et surtout de communion avec le Christ. Ceci ne se réalise pas seulement à travers la communion eucharistique mais aussi dans l’écoute communautaire de la Parole et dans la prière partagée. La prière eucharistique et le Notre Père sont par conséquent le plus haut point de la mission de l’Église.

Pour comprendre cela, il est intéressant de regarder le tympan roman de la basilique de Vézelay, qui représente précisément l’envoi en mission des apôtres. La tête du Christ est dans une échancrure : la voute des cieux se déchire. Selon une belle formule de St Léon le Grand (Pape au 5e siècle) : « notre tête est déjà dans les cieux en attendant que le corps y passe tout entier » (sermon pour l’Ascension). Le Christ ressuscité entraîne son corps vers le Père, tout en envoyant l’Esprit pour que, nous, qui sommes les membres de son corps, devenions les acteurs de la mission universelle de l’Église. Dès lors, sans la liturgie, la mission de l’Église perdrait sa saveur qui est, par l’Esprit-Saint, de faire connaître à tous les hommes, le Christ sauveur qui nous conduit vers le Père.

F. Patrick Prétot, osb
Theologicum/ Institut Catholique de Paris
Directeur de la revue La Maison-Dieu