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La gouvernance mondiale, de quoi s’agit-il ?

Dans l’encyclique Laudato Si, le pape François en appelle à une gouvernance mondiale plus efficace. Par le moyen de régulation internationale, d’institutions internationales plus « mûres », par l’émergence d’une Autorité mondiale de compétence universelle… Voir les & 174-175.Comment comprendre cette gouvernance mondiale ? comment la mettre en œuvre ? de quoi devrait-elle s’occuper ? Autant de questions auxquelles tente de répondre Dominique Chassard qui fait le point sur ces débats qui sont aussi souvent des controverses.

 

Améliorer la gouvernance mondiale » figure en bonne place dans les objectifs des Présidences successives du G7-G8 et du G20, il s’en faut pourtant que le concept soit clairement défini. Son utilisation est, du reste, relativement récente, une vingtaine d’années au plus. S’agit-il d’une expression fourre-tout avec laquelle on prétendrait résumer la concertation et l’action conjointe des États dans un monde de plus en plus interdépendant ? Veut-on désigner par là, plus précisément, une nouvelle approche de la gestion des rapports internationaux, dictée par la montée en puissance de la mondialisation ? N’a-t-on pas souvent aussi à l’esprit l’idée que cette gouvernance consiste surtout à introduire plus de fiabilité, de cohérence et de rationalité dans des processus qui échappent de plus en plus aux capacités d’intervention des gouvernements pris isolément ?

Histoire du mot

Le terme de gouvernance a d’abord été employé pour désigner simplement la gestion d’activités économiques et s’applique alors au monde de l’entreprise. On va ensuite parler, dans les années 80, de « bonne gouvernance », ce qui dans le langage des organisations internationales (FMI, Banque mondiale…) recouvre la notion de respect par un État d’un certain nombre de règles, de critères et de bonnes pratiques permettant de garantir que prêts et programmes d’assistance n’alimenteront pas un tonneau des Danaïdes. Les pays en voie de développement se voient ainsi mis en demeure, s’ils veulent bénéficier de l’aide occidentale ou surmonter une crise financière, de s’engager sur des principes de bonne administration leur permettant de s’acquitter des dettes qu’ils ont contractées et de stimuler la croissance économique. Dans un troisième stade, l’usage de l’expression « gouvernance mondiale » se répand en liaison avec le processus de mondialisation ou de globalisation que connait la planète et qui repose sur une interdépendance croissante de tous les acteurs de la vie internationale.

Une gouvernance mondiale est nécessaire.

Deux constats justifient cette proposition :

1) Le premier est qu’aucun État ne peut prétendre régler seul des problèmes qui se posent à l’échelle mondiale et dont la solution exige un effort commun. Les instruments et moyens dont dispose l’organisation étatique classique sont inadaptés dès qu’il s’agit de changement climatique, de biodiversité ou de gestion des biens publics mondiaux, pour prendre les exemples les plus souvent cités. Il faut donc changer de registre et passer à un autre mode de gestion et de régulation des mécanismes financiers, économiques et sociaux. En même temps, on met en avant le principe que l’État doit rester aux commandes dès lors qu’il paraît mieux adapté à régler des problèmes qui se posent avant tout à l’échelle nationale. Comment opérer la distinction entre ces deux niveaux ? C’est une difficulté majeure qu’illustrent bien les interminables discussions au sein de l’Union européenne à propos de la mise en œuvre de la « subsidiarité » et de la distinction entre compétences nationales et compétences communautaires.

Planète Bleue2) Le second est que cette défaillance ou cette carence du rôle de l’État s’accompagne de l’émergence de nouveaux acteurs aujourd’hui incontournables : organisations internationales dont la prolifération, la concurrence et la spécialisation empêchent souvent d’avoir une vue d’ensemble des enjeux en présence, grands groupes industriels transnationaux poursuivant leurs intérêts propres, organismes représentant la société civile qui agissent sans se préoccuper des frontières et s’opposent pour certains à cette mondialisation tout en en étant le produit. On peut ajouter, au titre de ces nouveaux intervenants, les pays en développement, jusqu’alors marginalisés dans les instances internationales de décision et qui n’acceptent plus de se voir dicter des politiques ou des normes définies par un cercle restreint de puissances grandes ou moins grandes. Par un paradoxe qui a cependant sa logique, la gouvernance mondiale apparaît comme un impératif crucial pour l’avenir de l’humanité au moment où le nombre de ceux qui estiment devoir y participer n’a jamais été aussi grand, ce qui la rend d’autant plus difficile à mettre en œuvre. Elle est en même temps  un sujet de contestation pour ceux qui y voient un moyen pour les pays riches de protéger leurs intérêts propres et ceux de leurs groupes industriels ou financiers.

Les thèmes à traiter par une gouvernance mondiale.

Il existe de nombreuses classifications des thèmes considérés comme relevant de la gouvernance mondiale. Ils se recoupent souvent et on recense en général dans ce contexte :

a) La gestion de l’environnement : changement climatique, pollution marine et atmosphérique, risques nucléaires, réduction des ressources naturelles, biodiversité, entre autres.

b) La gouvernance de l’économie et de la globalisation : remèdes aux carences de l’économie de marché et à son incapacité à assurer équitablement la redistribution des richesses qu’elle produit, régulation des mouvements spéculatifs de capitaux, coordination des politiques monétaires, stabilisation des marchés des matières premières… On peut y ajouter les politiques d’aide au développement et la mise en œuvre du concept de « biens publics mondiaux »

c) La gouvernance politique et institutionnelle. On insiste dans cette rubrique sur la nécessité d’une légitimité démocratique des organes chargés à tous les niveaux de traduire concrètement cette gouvernance : transparence des processus, limitations et partages de souveraineté, représentation des citoyens, participation de la société civile à la prise de décision, responsabilisation des corps intermédiaires.

d) La gouvernance de la paix, de la sécurité et de la solution des conflits. On entend par là les moyens de prévenir les conflits, qu’il s’agisse de guerres civiles, d’actes de terrorisme ou autres menaçant la sécurité internationale. Le désarmement et la réduction des budgets militaires en font partie de même que les actions visant, sur un plan mondial ou régional, à mettre sur pied des forces d’intervention rapide ou de maintien de la paix dans les zones de tension latente ou ouverte.

e) La gouvernance de la science, de l’éducation, de l’information et de la communication. Il s’agit de domaines dont on considère de plus en plus qu’ils devraient relever d’une logique de mutualisation et de partage et non d’une logique marchande ou d’intérêts privés dans laquelle les critères de compétitivité et de concurrence avec leur corollaire, l’abandon par l’Etat de ses missions de service public, alimentent la spirale de l’appauvrissement et de la précarisation. Les intérêts des laboratoires pharmaceutiques passent ainsi avant ceux des malades, ceux de l’« agrobusiness » avant ceux des agriculteurs… On pourrait multiplier les exemples : si 80 millions d’enfants dans le monde ne vont pas à l’école, la cause principale n’en est-elle pas le choix, délibéré ou contraint, des gouvernements concernés d’affecter leurs ressources à des entreprises plus lucratives, au détriment d’une justice sociale qui consisterait à partager et non à accroître la richesse nationale au seul profit de quelques-uns ?

C’est un raisonnement que l’on peut évidemment contester et juger plus  émotionnel que fondé sur des réalités incontournables, il met cependant le doigt sur une question fondamentale : l’humanité a-t-elle le droit d’entretenir et même souvent d’aggraver la paupérisation et la marginalisation de centaines de millions de personnes alors qu’il existe globalement les moyens d’améliorer leur sort en mettant en commun ce qui reste aujourd’hui inaccessible à de nombreux laissés pour compte ? Dans cette optique, la gouvernance mondiale se présente comme l’instrument transposant à l’échelle planétaire les exigences de justice et de solidarité qui ne peuvent plus être satisfaites dans un cadre national.

Les principes de base d’une éventuelle gouvernance mondiale.

Une autre manière d’aborder la question de la gouvernance mondiale consiste à définir non ses thèmes mais les principes sur lesquels elle doit reposer. C’est par exemple l’approche adoptée en 2001 par la Commission européenne dans son « livre blanc sur la gouvernance européenne » ou par les fondations Bertelsmann ou Charles-Léopold Mayer. Là aussi, il y a consensus pour retenir quelques règles de bon sens :

a) Exigence d’une légitimité de l’exercice du pouvoir et d’une profonde adhésion des peuples sur les conditions dans  lesquelles ils sont gouvernés, ce qui comporte nécessairement transparence et lisibilité des interventions de la puissance publique.

b) Conformité à l’idéal démocratique et à l’exercice de la citoyenneté qui implique que chacun se sente concerné et participe à son niveau aux décisions.

c) Compétence et efficacité qui supposent une définition claire de ce qui revient à la puissance publique et de ce qui relève du marché et des intérêts particuliers ainsi qu’une reconnaissance de la capacité des dirigeants à répondre de façon tangible aux besoins de la société.

d) Coopération et partenariat. Ils appellent l’approfondissement d’une relation d’interdépendance entre l’organisation des services publics et les acteurs de la société civile ainsi que la mise en œuvre de systèmes de solidarité et de distribution.

Les moyens nécessaires à une gouvernance mondiale.

Le consensus est en revanche moins évident dès qu’il s’agit d’inventer les instruments supposés mettre en place cette gouvernance mondiale. Les idées ne manquent pas : une « Charte des responsabilités humaines », une « Constitution mondiale », un « Plan Marshall global », des projets de « salaire universel » et de « plan de retraite global ». Certains se veulent pragmatiques et moins visionnaires et s’en prennent à l’anachronisme et à l’inefficacité des grandes organisations crées au lendemain de la deuxième guerre mondiale : Nations-Unies et la myriade d’institutions qui s’y rattachent, Banque mondiale, FMI. Ils préconisent une réforme complète de leurs structures et de leur mode de fonctionnement (le principe un pays, une voix, quel que soit son poids dans le monde, est souvent présenté comme un obstacle majeur) ainsi qu’un regroupement autour de quelques pôles. La création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement a fait l’objet de nombreuses études sans pour autant déboucher sur un projet viable.

Le G7 et le G20.

Pour l’instant deux regroupements incarnent cette ambition de rechercher les moyens d’une gouvernance mondiale mais traduisent aussi l’impuissance à la mettre en œuvre au-delà de déclarations dont chacun reste libre de tirer les conséquences. Le G8, redevenu G7 après la suspension de la participation de la Russie, et le G20, à la représentativité  bien imparfaite, sont des instances utiles de concertation et de  mise en commun mais elles ne débouchent que sur des constats et des manifestations d’intention sans portée opérationnelle. Exprimer des inquiétudes, lancer des avertissements, appeler à la mobilisation des opinions, ne sauraient  tenir lieu de plan d’action.

La gouvernance mondiale : indispensable mais peu probable ?

Qu’en conclure ? Le débat sur la gouvernance mondiale, sa pertinence, ses enjeux et ses carences, est une bonne illustration de l’écart et même du fossé qui sépare la réalité de la théorie économique. Que les problèmes qui se posent à l’échelle de la planète et sont communs à tous ses habitants appellent des solutions globales, que ces solutions doivent être envisagées comme un tout, l’une en liaison avec l’autre, et non chacune pour elle-même, que les structures actuelles sont trop nombreuses, insuffisantes et inadaptées pour répondre à ce qu’il est convenu d’appeler les défis de la mondialisation, nul n’en disconviendra. C’est un postulat répété à l’envie dans toutes les instances internationales.

Penser en revanche que ce dernier amènera nécessairement les États à changer radicalement leur vision et leur politique relève de l’illusion. On peut discuter à l’infini de ce que devrait être dans l’abstrait, sur le plan mondial, une gouvernance cohérente et capable de régir efficacement et en concertation avec tous les acteurs en présence, on n’aura pas pour autant progressé dans un domaine où les États-nations incarnent et défendent des intérêts qui leur sont propres et à qui ils donnent, en fait, la priorité. L’hypocrisie avec laquelle certains d’entre eux réclament plus de régulation à l’échelle mondiale tout en cherchant, quand il s’agit de passer aux actes, à préserver leur pré carré et à protéger leurs économies, leur industrie, leur agriculture, leur commerce ou leur monnaie, montre bien le chemin qui reste à parcourir.

Qu’un mouvement soit enclenché avec une prise de conscience croissante de ce qui menace l’avenir et l’équilibre de la planète, c’est indéniable mais qu’on soit encore loin de pouvoir traduire sur le terrain les principes sur lesquels les économistes fondent leurs théories l’est tout autant. Ce n’est certes pas une raison pour baisser les bras mais donne une justification à une démarche et à une approche par étapes qui ne produiront des résultats positifs que si les opinions publiques poussent en ce sens. Sans l’engagement de la société civile, la gouvernance mondiale restera au mieux un vœu pieux, au pire un slogan destiné à sacrifier à une mode.

Dominique Chassard (SNMUE)

Résumé et commentaire de l’encyclique