Le dialogue entre cultures et religions, un thème à l’ordre du jour.

La promotion du dialogue entre cultures et civilisations sous tous ses aspects, y compris religieux, est aujourd’hui une composante  incontournable de tout discours sur la vie internationale, qu’il émane d’un homme politique, d’une institution internationale, d’une ONG et même d’une autorité religieuse…

La promotion du dialogue entre cultures et civilisations sous tous ses aspects, y compris religieux, est aujourd’hui une composante  incontournable de la vie internationale et un thème universellement mis en avant par les dirigeants de la planète. Il n’est pas d’organisation internationale, gouvernementale ou non,  même lorsque son objet est étroitement spécialisé, qui n’affirme son ambition de jeter un pont entre les cultures et de contribuer au rapprochement des peuples ainsi que sa volonté de respecter les valeurs de l’autre. A cela deux raisons essentielles : d’abord le sentiment que les conflits et violences entre groupes ethniques ou religieux ne font que s’aggraver dans le monde actuel  et touchent des régions et des continents jusqu’alors préservés. Qu’il s’agisse  d’une perception plus subjective qu’historiquement fondée n’entame pas la conviction de ceux qui croient à une résurgence et à une radicalisation  d’affrontements que l’on pensait, à tort, appartenir à un autre âge. L’autre facteur est l’importance que prend le phénomène migratoire, un des corollaires de la mondialisation, qui amène beaucoup de pays à s’interroger sur les obstacles et difficultés d’une intégration en leur sein de populations aux cultures et modes de vie très différents.

Deux organisations ont tenté une approche globale et spécifique du problème : l’ONU avec le lancement de l’ « Alliance des civilisations » et le Conseil de l’Europe qui s’est penché plus particulièrement sur  « la dimension religieuse du dialogue interculturel ». On trouvera ci-après un résumé de ces deux initiatives.

1- L’Alliance des civilisations.

L’Alliance des civilisations (connue aussi sous son sigle anglais NUAOC) est un projet né en 2004 dans le cadre des Nations-Unies pour « améliorer la compréhension et les relations de coopération entre les peuples et nations de cultures et de religions différentes » et contribuer à  « combattre les extrémismes et la polarisation ». Le lancement officiel  par le Secrétaire général de l’époque, Kofi Annan, a eu lieu le 14 juillet 2005.

L’initiative en revient au Premier Ministre espagnol, Jose Luis Zapatero, qui la présente devant la 59ème Assemblée générale de l’ONU et qu’appuie ensuite, au titre de co-fondateur, le Premier Ministre turc, Erdogan. Le projet vise à développer le dialogue interculturel et à s’attaquer ainsi aux origines mêmes des affrontements politiques et militaires dans le monde : intolérance, fanatisme, refus de la diversité, marginalisation et oppression des minorités, xénophobie. L’accent est mis sur la prévention des conflits mais aussi sur la reconstruction de la société à l’issue d’une guerre civile. Les préoccupations liées à la lutte contre le terrorisme, à la suite des attentats du 11 septembre ne sont pas absentes : parallèlement à la riposte de nature militaire menée sous l’impulsion des Etats-Unis, on veut aussi apporter une réponse fondée sur le dialogue et la compréhension réciproque.

SolidaritéL’aspect religieux est également très présent dans l’esprit des promoteurs du projet : on imagine sans toujours le dire explicitement pouvoir offrir une plate-forme, voire une tribune, à ceux qui prônent un Islam modéré, ouvert aux autres confessions et refusant les outrances radicales et intégristes de la nébuleuse djihadiste. On pense aussi à la contribution que pourrait apporter ce forum à un  rapprochement israélo-palestinien ainsi qu’à la problématique de l’intégration des migrants dans les pays où ils se sont réfugiés, souvent sans perspective de retour. L’engagement fort  de la Turquie est révélateur à cet égard, compte tenu du rôle de pont qu’elle entend jouer entre le monde occidental et le monde musulman.

L’UNAOC,  dans un premier temps, a confié à un groupe d’experts le soin de tracer les objectifs et les conditions de son fonctionnement. Composé d’une vingtaine de membres (dont l’archevêque Desmond Tutu, le Président iranien Khatami et l’ancien Ministre français H. Védrine), il s’est réuni à cinq reprises en 2005/2006. Le rapport final de ses travaux a servi de base à la mise sur pied d’une structure permanente qui s’est vu reconnaître le statut d’agence de l’ONU. Elle comprend :

      • Un Haut-Représentant. Au portugais Jorge Sampaio a succédé en mars 2013 un diplomate qatari Nassir al Nasser.
      • Un Secrétariat basé à New York composé d’une équipe de 16 collaborateurs
      • Un « groupe des amis » qui compte aujourd’hui 130 membres (108 Etats et 22 Organisations internationales parmi lesquelles le HCR, l’UNESCO, l’OIT, le Conseil de l’Europe, l’OIM)
      • Un réseau de points de contact, relais situés dans des capitales candidates pour accueillir les réunions de l’Alliance
      • Un forum annuel rassemblant tous les acteurs. Les derniers ont eu lieu à Vienne et Bali (août 2014).

Le Haut-Représentant publie chaque année un rapport présenté à l’Assemblée générale de l’ONU et définit un plan d’action pour les années à venir. L’actuel couvre la période 2013/2018. On peut trouver sur le site www.unaoc.org un exposé détaillé des projets menés par l’Alliance. Ils sont regroupés sous 4 chapitres : éducation, jeunesse, médias et migrations. Parmi les orientations retenues pour les prochaines années figurent notamment :

    • La recherche d’une synergie avec les « objectifs du millénaire » en matière de développement.
    • La mise en œuvre de stratégies régionales à l’image de ce qui a été entrepris pour l’Europe du Sud-Est.
    • Le renforcement des liens avec la société civile et les ONG qui sont associées de plus en plus aux réunions du forum annuel.

Rencontre San EgidioLes critiques envers l’UNAOC n’ont pas manqué et encore aujourd’hui l’initiative a de solides détracteurs. Le bien fondé de ses objectifs n’est en soi pas contestable et le fait que les événements les plus récents mettent en évidence une montée des intégrismes et de l’intolérance religieuse vient conforter l’idée qu’il est important de combattre un déficit de contacts et de connaissance mutuelle en agissant notamment par l’éducation et les médias. La question que certains posent est en fait de savoir si ces bonnes intentions ne servent pas d’abord à renforcer et justifier la politique de pays dans lesquels existe précisément un problème d’acceptation de l’autre et qui n’ont aucune intention de faire un pas en avant. Colloques, séminaires, conférences, échanges, académies d’été, se déroulent largement en vase clos et rassemblent des participants. Ces réunions serviraient d’alibi à des régimes peu enclins à s’ouvrir vers l’extérieur. Ces détracteurs voient ainsi dans l’UNAOC un trompe l’œil fonctionnant à sens unique, une machine à distribuer des visas, un instrument de promotion de l’Islam et de propagande anti israélienne. Ils citent par exemple une déclaration du premier Ministre turc lors du forum de Vienne pour qui le sionisme devait être assimilé à un crime contre l’humanité et s’inquiètent des orientations politiques que la Turquie et les monarchies du Golfe cherchent à imposer.

D’autres s’en prennent au déficit de moyens dont souffre le projet. L’Espagne, principale contributrice au départ, s’est mise en retrait après le départ de Zapatero et les ambitions initiales ont été sérieusement revues à la baisse. On ne peut que constater aujourd’hui un manque de visibilité de cette agence de l’ONU, plutôt discrète et mal connue, et dont le rôle n’est pas à l’abri des polémiques en dépit de la modestie de son audience en dehors des milieux onusiens. L’UNESCO ne serait-elle pas un cadre plus approprié ? On peut se poser la question.

2- Le Conseil de l’Europe et le dialogue interculturel

La promotion du dialogue interculturel sous toutes ses formes et de la gestion démocratique de la diversité est une préoccupation apparue assez récemment dans les activités du Conseil de l’Europe. Plusieurs réunions au niveau ministériel et notamment le 3ème sommet des chefs d’Etat et de gouvernement réuni à Varsovie en mai 2005, ont jeté les bases de la « Déclaration de Saint-Marin », document de référence adopté le 24 avril 2007, sous le titre « la dimension religieuse du dialogue interculturel ».

Préoccupés par les « actes de violence à connotation d’intolérance religieuse qui se sont produits récemment », les représentants des 47 Etats membres appellent à un « dialogue ouvert et transparent avec les communautés religieuses et la société civile » dans le respect de l’autonomie de l’Etat et des religions. Ils soulignent le rôle de la dimension religieuse du dialogue interculturel : « les religions peuvent élever ou enrichir les objectifs du dialogue et contribuer à ce que celui-ci s’établisse dans le respect de conditions essentielles, protéger la dignité de chaque être humain, renforcer la cohésion sociale, favoriser la compréhension et l’harmonie entre les cultures présentes sur notre continent ». Ils expriment le souhait que « la dimension religieuse de nos cultures soit reflétée  d’une manière adéquate dans les systèmes éducatifs et les débats publics, y compris dans les médias ». Ils relèvent enfin le  « rôle des croyances et des convictions dans l’affirmation de l’identité individuelle et la place des religions dans la culture contemporaine et le patrimoine culturel ».

Cette déclaration de principe a été suivie de la publication en juin 2008 d’un livre blanc intitulé « vivre ensemble dans l’égale dignité » et dont  l’objet va évidemment au-delà du rôle des différentes religions. La décision a été prise alors par le Comité des Ministres de tenir chaque année des rencontres associant les différents acteurs du dialogue dont les représentants des principales religions. Les dernières ont eu lieu en Albanie en 2012 (le rôle des jeunes), en Arménie en 2013 (la liberté de religion dans le monde d’aujourd’hui), en Azerbaïdjan en 2014 (interaction entre culture et religion). Les prochaines sont prévues en septembre 2015 à Sarajevo sur  « le rôle et la place du religieux dans l’espace public ». Leur impact est difficile à apprécier comme celui, du reste, de beaucoup d’activités du Conseil de l’Europe menées en direction de pays parfois encore éloignés des standards des sociétés occidentales.

 

Dominique Chassard
(Bénévole au SNMUE)