Année jubilaire de la miséricorde
Le 8 décembre 2015 s’ouvre l’année jubilaire de la miséricorde, décidée par le pape François.
Lire la bulle d’indiction du pape annonçant ce Jubilé.
On pourra également lire l’encyclique du pape Jean-Paul II «Dives in misericordia » (Riche en miséricorde) de 1980 qui reste un texte fondamental sur ce thème.
Sur le sujet de l’année jubilaire, on lira divers articles parus sur ce site :
Le pardon, un processus fragile
Cette année jubilaire invite au pardon. Mais peut-on pardonner après des massacres de masse, après un génocide ? Le pardon suppose-t-il un processus judiciaire préalable ou le remplace-t-il ? et que signifie pardonner dans un tel contexte ?
Bien des questions se posent au sujet du pardon, qui ne se limite pas à une démarche simplement individuelle ou « religieuse ».
Mais comme le rappelle Benoît Guillou, auteur de « Le pardon est-il durable », une enquête au Rwanda (Ed. F. Bourin), le pardon est un processus vagabond et fragile.
On lira dans l’article l’interview que Benoît Guillou a accordée au journal La Croix les conclusions qu’il tire de sa longue enquête sur le pardon pratiqué au Rwanda : pardon spontané ou imposé ? pardon : catégorie politique ou religieuse ou les deux ? pardon, réalité politique ou réalité intime ? pardon accordé par la victime, et sinon, par qui d’autres ?
La lecture de ce livre évitera de faire de l’année jubilaire de la miséricorde un évènement purement intimiste. Réfléchir sur le pardon ouvre des perspectives nouvelles sur la vie de nos sociétés.
Antoine Sondag,
septembre 2015
Lire l’interview de Benoît Guillou : entretien La Croix
La miséricorde est une vertu politique
Le pape François a décidé que l’année du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016 serait une année de jubilé consacrée à la miséricorde. Dès que l’on prononce ce mot, on s’imagine une attitude intérieure faite de reconnaissance de ses péchés, de pardon, ou un univers religieux fait d’intériorité et de qualités du cœur. Ce contenu affectif du mot miséricorde, l’imaginaire associé à cette expression, l’iconographie utilisée en général pour en parler risque de nous induire en erreur. La miséricorde n’est pas enfermée ou limitée à notre intériorité ou au bon vouloir de notre esprit plus ou moins religieux. Dans nos sociétés contemporaines, la miséricorde est devenue une vertu politique, indispensable si nous voulons survivre dans notre monde fracturé.
Afrique du Sud en 1994 : des décennies d’apartheid odieux. Pouvait-on faire passer en justice tous ceux qui s’étaient rendus coupables d’exactions contre les Noirs ? Pouvait-on laisser impunis tous les criminels du pays ? Que faire de tous ceux qui avaient souffert dans leur chair de l’apartheid : leur demander de tourner la page ? Le génie politique de Mandela a été d’inventer une Commission Vérité et Réconciliation. En disant la vérité (des crimes), le coupable obtenait le pardon. Et l’impunité. Dire la vérité était aussi une manière, parfois la seule, d’honorer la souffrance de ceux qui avaient été torturés ou avaient vu l’un des leurs disparaître. La vérité concernant le passé est une condition préalable à toute réconciliation : entre les composantes de la société, entre victimes et bourreaux, entre passé et avenir. Les séances de cette Commission Vérité et Réconciliation, vaste psychodrame collectif, sont devenues l’évènement fondateur de la nouvelle société sud-africaine.
Rwanda après le génocide : est-il possible d’envisager la question du pardon ? Beaucoup de tueurs n’avouent pas et ne demandent pas pardon. Ils s’abritent derrière le déni, le mensonge ou l’argument de la soumission à l’autorité. D’ailleurs, peut-on admettre qu’un homme qui a tué des familles entières puisse s’en laver les mains et demander pardon en offrant une chèvre ?
Qui pardonne ? et à qui ? Le pardon est-il lié à l’arbitraire d’une liberté individuelle ? Pour être accordé, doit-il être demandé au préalable ? Est-il possible de demander pardon à titre collectif ? Quels sont les liens entre pardon et politique, entre pardon et justice ? L’Etat peut-il imposer le pardon ? Une conférence épiscopale (du Rwanda par exemple) peut-elle imposer aux catholiques de pardonner ? (surtout si certains évêques ou prêtres ont été complices ou silencieux sur les crimes commis) ?
Avec beaucoup d’autres, je pense que le pardon peut devenir le médiateur d’une reprise du lien social. Le pardon a sa place dans le champ politique. Le langage du pardon s’impose comme une « grammaire » qui structure les débats sur la justice et amène les protagonistes à modifier leurs argumentaires. La repentance, le pardon demandé et reçu, la miséricorde sont en fait à titre collectif au centre d’un dispositif visant à réinstaurer le lien social.
Il n’y aura pas de sentiment de commune appartenance, de solidarité entre les couches de la société si les souffrances de ceux qui ont souffert ne sont pas reconnues. Si les criminels ne sont pas jugés. A défaut, s’ils ne reconnaissent pas leurs crimes en contrepartie du pardon accordé. Les commissions Vérité et réconciliation ont été souvent imitées, plus souvent encore caricaturées. Dans de nombreux pays d’Amérique Latine, les commissions Vérité et réconciliation n’ont été qu’une rhétorique pour permettre à des militaires criminels ou tortionnaires d’échapper à leurs juges, d’échapper à la vérité.
Comment réconcilier deux peuples, deux mémoires blessées, deux imaginaires contradictoires : Russes et Ukrainiens, Serbes et Albanais, Catholiques et Protestants en Irlande du Nord, Sunnites et Chiites, Israéliens juifs et Palestiniens, Japonais et Coréens, Indiens et Pakistanais, Japonais et Chinois, Dalits et Brahmins en Inde, Musulmans et Coptes en Egypte, … Purifier la mémoire historique est un geste éminemment politique. Demander pardon pour les oppressions infligées, pour les crimes commis, pour les souffrances causées… Accorder un pardon « historique » même si on n’est soi-même que l’héritier de ceux qui avaient été opprimés… Dans le monde actuel saturé de conflits d’identité, d’affrontements historiques récurrents, de chocs de civilisation, rien n’est plus urgent que de purifier les mémoires collectives (et individuelles), de maitriser les imaginaires belliqueux à l’œuvre dans nos passions guerrières… Repentance et pardon sont devenus des vertus politiques majeures dans notre monde. La miséricorde est devenue une vertu politique indispensable au vivre ensemble dans notre monde pluriculturel et pluri religieux.
Le devoir de mémoire, tant célébré de nos jours, suppose un devoir de conversion et de réconciliation. C’est ce que l’Eglise appelle dans son langage de jubilé : la purification de la mémoire, la miséricorde. Revenant d’Ukraine, de Syrie ou d’Inde, on a pu toucher du doigt les haines et les guerres enracinées dans l’esprit des hommes, plus exactement dans leur imaginaire. C’est dans l’esprit des hommes, leurs mémoires et leurs imaginaires que doivent être élevées les défenses de la paix.
Antoine Sondag
Juin 2015
Eglise de Bossangoa, sois témoin de miséricorde et réconciliation
Dans le contexte difficile de la République de Centre Afrique (RCA), l’évêque de Bossangoa a ouvert la nouvelle année pastorale, qui sera aussi l’année du jubilé sur la miséricorde, et l’a placée sous le signe de la réconciliation et de la miséricorde. On trouvera ci-dessous le texte de base pour cette année pastorale. Il faut souligner l’opportunité de placer l’année nouvelle sous le signe de la réconciliation, le pays en a besoin. Il reste à trouver les gestes justes qui rendront cette réconciliation contagieuse, il reste à trouver les personnes et institutions pour exercer ce ministère de réconciliation et de miséricorde, etc…