Paradis fiscaux, évasion et optimisation fiscale !
Avril 2016 : le scandale des « Panama papers » est mondial et secoue de nombreux milieux politiques, financiers, sportifs… c’est l’occasion de porter attention aux institutions et organismes qui luttent depuis longtemps, et parfois dans l’indifférence, contre l’évasion fiscale et autres trafics, légaux ou illégaux. Ce qui prive les États de rentrées fiscales… et donc de moyens pour mettre en œuvre leurs politiques, par exemple les politiques de lutte contre la pauvreté.
Parmi ces organismes, on trouve des ONG comme le CCFD-Terre solidaire ou le Secours Catholique qui ont publié récemment un rapport qui a fait grand bruit : Sur la piste des banques françaises dans les paradis fiscaux.
Parmi les institutions internationales qui traitent ces questions et luttent contre les paradis fiscaux et les malversations financières : l’OCDE, le G20, et le Parlement européen.
Parmi les principales ONG actives sur ce champ, en plus du CCFD et du Secours Catholique déjà nommés, on citera : Transparency international, Finance Watch, et Oxfam France.
Le 23 septembre 2016, le Saint Siège a ratifié la convention de l’ONU contre la corruption, voir l’article de l’agence Zénit.
La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales,
des avancées à confirmer.
L’évasion et l’optimisation fiscales auxquelles se livrent nombre de multinationales, et non des moindres, sont de plus en plus l’enjeu d’une lutte associant institutions internationales, ONG et gouvernements directement concernés. Le combat ne date pas d’hier mais les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Certes, évasion et optimisation ne se situent pas sur le même plan : l’évasion est par nature une pratique frauduleuse appelant des poursuites pénales par-delà les frontières et nécessitant une étroite coopération judiciaire alors que l’optimisation n’est en théorie que la mise en œuvre de procédures légales et le produit de montages plus ou moins opaques utilisant les disparités de législation entre états et des mécanismes bien connus : sociétés écrans, filiales-boîtes à lettres, comptabilité biaisée. Un exemple ancien et souvent cité de cette optimisation est celui des pavillons de complaisance, une pratique contre laquelle la lutte ne semble guère avoir eu de succès marquant. Dans la réalité toutefois, évasion et optimisation reviennent largement au même : elles faussent la concurrence en avantageant abusivement ceux qui y recourent mais aussi et surtout elles privent l’état dans lequel les bénéfices des activités économiques d’une entreprise ont été générés, des rentrées fiscales qui devraient en découler. Les victimes se trouvent d’abord bien évidemment parmi les pays les plus industrialisés qui voient certains de leurs partenaires passer des accords fiscaux (les célèbres «rulings », rescrits en français) octroyant des substantiels cadeaux aux firmes qu’ils souhaitent attirer chez eux. Les plus touchés sont toutefois sans doute les pays en développement qui se trouvent privés de recettes budgétaires par de grands groupes internationaux et qui sont d’ailleurs souvent contraints d’accepter de conclure avec eux des arrangements fiscaux désavantageux voire léonins. Plus un état est fragile dans ses structures, plus il est touché par le chômage et plus nombreuse est sa population vivant en dessous du seuil de pauvreté, plus il risque de devoir passer par les fourches caudines des multinationales. Une large part des bénéfices que ces dernières retirent de cette situation, aggravée par le processus de mondialisation, échappe ainsi à ceux qui en ont le plus besoin pour sortir de leur sous-développement. Pour les experts de l’OCDE qui ont chiffré cette évaporation fiscale entre 100 et 240 milliards de dollars annuellement et estimé qu’elle représentait 4 à 10% de l’impôt sur les sociétés perçu dans le monde, les sommes en jeu sont considérables.
Où en sont les efforts de la Communauté internationale pour encadrer ces pratiques et les soumettre à des règles d’équité et de transparence ? Une avancée vient de se produire grâce aux travaux menés dans le cadre de l’OCDE mandatée par le G 20, en coordination avec le FMI et la Banque mondiale. Ils ont abouti au début d’octobre 2015 à la mise au point d’un plan d’action dénommé «érosion de la base fiscale et transfert de bénéfices» (acronyme anglais BEPS). Sans entrer dans les détails de ce document difficilement accessible pour qui n’est pas familiarisé avec les techniques comptables et fiscales, on en retiendra les principaux points. L’objectif est de faire en sorte que les multinationales paient leurs impôts là où leurs activités économiques ont lieu et là où la valeur est réellement créée. Le plan prévoit :
- un mécanisme de partage de la TVA collectée lors des transactions transfrontalières.
- une harmonisation de la réglementation des produits dits hybrides, notamment des obligations convertibles en actions.
- une limitation dans une fourchette de 10 à 30%, des déductions fiscales dont bénéficient les intérêts versés.
- un encadrement du mécanisme des sociétés écran ou fictives et de l’octroi abusif d’avantages fiscaux (le «chalandage» pratiqué par certains pays). Les conventions particulières passées à titre bilatéral entre états seraient remplacées par un accord multilatéral valable pour tous.
- un contrôle plus strict sur les régimes de taxation de la propriété intellectuelle.
- une obligation pour les multinationales de communiquer des informations sur l’ensemble de leurs activités commerciales où qu’elles se déroulent: actifs, chiffre d’affaires, bénéfices, lieux d’imposition
Les critiques contre ces mesures, préparées et négociées à l’OCDE, et que le G 20 doit endosser, portent surtout, non sur le fond, mais sur la manière dont elles ont été élaborées. Certains pays en développement qui regardent l’organisation avec méfiance et la considèrent comme un club de riches, se sont plaints de ne pas avoir participé sur un pied d’égalité aux travaux. Des ONG leur ont emboîté le pas en relevant qu’une soixantaine de pays seulement avaient été impliqués ce qui fragilisait le dispositif. Il reste que les règles qui ont été actées devraient couvrir 90% de l’économie mondiale et leur adoption par un large consensus représente une avancée notable dans un processus de longue haleine.
D’autres organisations apportent également une contribution notable. C’est le cas de l’Union européenne dont le Parlement vient, le 26 octobre 2015, de rendre public le rapport de la Commission TAXE. Cette dernière travaille depuis un an sur les politiques fiscales de certains pays européens et a mis en évidence l’existence d’accords abusifs passés entre gouvernements et multinationales et les disparités de législation permettant de bénéficier d’avantages dommageables. La Commission recommande notamment une définition commune de la masse imposable et des procédures de «reporting» pays par pays de l’activité des multinationales et de leurs bénéfices, filiale par filiale. Au même moment, Bruxelles a décidé de déclarer illégaux deux accords conclus, l’un entre les Pays-Bas et Starbuck, l’autre entre le Luxembourg et Fiat. Amazon et Apple sont également dans le collimateur et une directive européenne sur l’échange automatique et obligatoire des rulings entre administrations fiscales a été complétée et revue. On ajoutera les travaux menés depuis 1998 par le groupe «Code de conduite» créé par le Conseil européen.
Il existe aujourd’hui une réelle prise de conscience des conséquences négatives et injustes que provoquent les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales. Les procédés et mécanismes couramment utilisés sont désormais bien connus et un travail important d’analyse et d’investigation a été accompli en dépit de l’opacité comptable et financière derrière laquelle s’abritent les acteurs et de la complaisance dont certains gouvernements bénéficiaires font preuve. Les solutions sont, elles aussi, répertoriées et les moyens d’action identifiés. Le problème est moins d’ordre technique que politique dans un domaine où l’absence de coopération de quelques-uns suffit à ruiner les efforts de la majorité des autres et où la moindre faille est aussitôt repérée et exploitée. Certains économistes considèrent qu’après l’avancée réalisée par l’OCDE et le G 20, il n’est plus possible de pratiquer l’évasion fiscale à grande échelle. Encore faudra-t-il que les engagements pris, parfois du bout des lèvres et dans un but d’affichage, se traduisent en une législation nationale ou internationale contraignante et assortie de sanctions effectives.
Dominique Chassard
bénévole SNMUE
ONU: le Saint-Siège adhère à la Convention contre la corruption
Le Saint-Siège a officiellement adhéré à la Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC) : le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin a en effet déposé l’instrument d’adhésion le 19 septembre 2016 au siège de l’ONU à New York. Par cette initiative, le Vatican affirme davantage sa lutte contre la corruption, que le pape François a définie comme une « plaie puante de la société », « un péché grave qui crie vers le ciel, car il mine jusqu’au fondement de la vie personnelle et sociale ».
Le Saint-Siège a adhéré à la Convention en son nom et au nom de l’État de la Cité du Vatican, a précisé une note du Bureau de presse du Saint-Siège publiée le 23 septembre. Mais il a aussi formulé deux réserves et trois déclarations interprétatives, qui font partie intégrale de l’instrument d’adhésion.
La Convention contre la corruption – ou Convention de Mérida – a été approuvée par l’Assemblée générale de l’ONU le 31 octobre 2003, pour prévenir et lutter contre les crimes commis dans la fonction publique.
Dans un article publié sur L’Osservatore Romano, Mgr Paul R. Gallagher, secrétaire pour les relations avec les États, explique cette adhésion à la lumière du Jubilé de la miséricorde : ainsi le pape François, dans la bulle d’indiction de l’Année sainte Misericordiae Vultus, a dénoncé la corruption comme une plaie de la société et a appelé à la combattre activement (cf. n. 19). Cette invitation, estime Mgr Gallagher, interpelle « aussi l’Église et la Curie romaine ».
Le pape, ajoute-t-il, a donc souhaité « que le Saint-Siège et l’État de la Cité du Vatican s’ajustent aux paramètres internationaux qui font le plus autorité pour prévenir la corruption, aussi bien dans l’exercice de fonctions publiques que dans le cadre économique ». Et l’archevêque de souhaiter que cette adhésion permette au Saint-Siège de contribuer « aux efforts de la communauté internationale pour garantir la transparence et la bonne gestion des affaires publiques ».
Les États qui ont ratifié la Convention, souligne-t-il, « sont tenus de poursuivre et de punir la corruption active et passive des agents publics nationaux, la corruption active des agents publics étrangers et la corruption dans le secteur privé ». Ils doivent aussi « déclarer passables de poursuite judiciaire l’appropriation indue, l’abus de pouvoir, le recyclage d’argent et le faux témoignage ». Autres questions réglementées par la Convention : la responsabilité des personnes juridiques, le séquestre de biens, la protection des témoins et des victimes, le secret bancaire, et la coopération internationale.
Nombre de dispositions ont déjà été réglementées au Vatican par les Motu proprio et les lois de ces dernières années, a fait observer Mgr Gallagher. En ce sens le « Réviseur général » dont les statuts ont été approuvés le 22 février 2015, est chargé de cette lutte contre la corruption. Mais « il sera nécessaire qu’à l’avenir, les bureaux compétents de la Curie romaine et de l’État de la Cité du Vatican revoient leurs procédures administratives à la lumière des paramètres contenus dans la Convention, afin d’en assurer la conformité nécessaire ». La Convention entrera en vigueur dans le petit État le 19 octobre.
Anne Kurian
23 septembre 2016 (Rome)