La pensée d’E. Macron sur la place des religions dans la société
Le discours du président E. Macron le lundi 9 avril 2018 devant la Conférence des Evêques est une pièce maitresse dans la réflexion sur la place des religions dans la société française. Ce discours est une réflexion de philosophie politique et ne doit pas être lu dans une perspective électoraliste étroite, comme si le président n’avait rien d’autre à dire que de se prononcer sur certains sujets à propos desquels les évêques de France sont en accord/désaccord avec le gouvernement actuel : école catholique, migrants, loi de bioéthique, futurs projets concernant tel ou tel domaine….
Le discours d’E. Macron aborde les questions fondamentales du sens dans la société, de la place des religions, du questionnement impulsé par la foi dans un monde de certitudes ou de platitudes, du rôle de la transcendance, et finalement du rôle des religions dans une société intitulée trop rapidement de sécularisée, de postmoderne, de post-chrétienne, etc…
Ce texte est à lire. Pour le comprendre, il faut le resituer dans les diverses interventions du président devant les musulmans lors du dîner de rupture du jeûne (21 juin 2017), devant les protestants (22 septembre 2017), devant les juifs lors du dîner du CRIF (9 mars 2018). On a ajouté ici le discours d’E. Macron lors du premier anniversaire de l’assassinat du P. J. Hamel à St Etienne du Rouvray. L’ensemble de ces discours constitue un petit traité de théologie politique.
Discours d’E Macron devant la CEF
La pensée de Macron sur les religions
En introduction, on a placé ici un commentaire du texte d’E. Macron devant les catholiques par A. Soupa. Anne Soupa est exégète et présidente de la Conférence des baptisés de France.
Antoine Sondag
le 12 avril 2018
Anne SOUPA nous livre ses réflexions
Après le discours du président de la République aux évêques le 9 avril…
Ah ce discours ! Philosophique ? Politique ? Exhortatif plutôt, cherchant à entrer en dialogue avec le meilleur de son interlocuteur. Mais aussi tactique car, sous les piliers gothiques du réfectoire des Bernardins, ce sont des lendemains délicats qui se sont préparés. Écoutons plutôt le propos du chef de l’État. D’abord, un bref « discours de la méthode », placé sous le signe du dialogue. « Un Président de la République qui se désintéresserait de l’Église et des catholiques manquerait à son devoir », car « la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel, ni de déraciner de nos sociétés la part de sacré qui nourrit tant de nos concitoyens ». Au même titre que d’autres talents qui font la République, le « talent du spirituel » existe – qu’on se le dise ! – et il ne doit pas être étouffé car il contribue au bien public.
La vertu de ce simple préambule est qu’il remet l’Église – et bien entendu toutes les religions – dans ce qui pourrait s’appeler une « grâce d’État ». Une sorte de grâce préalable accordée de fait par l’État à ceux pour qui le monde ne s’arrête pas au périmètre de leur personne, et pour qui la vie, leur vie même, déborde le terme physique de leur présence sur terre. Un préjugé bienveillant dont le premier bénéfice est qu’il suscite chez les catholiques, de façon presque palpable si j’en crois les très nombreux commentaires entendus, une reconnaissance dont ils avaient grand besoin.
Mais s’ils leur mettent du baume au cœur, ces propos ne flattent pas la tentation communautariste, ni ne valident les besoins identitaires actuels. Savoir louer n’est pas encourager à dresser de hauts murs contre le monde. Pas de contreculture pour contenir les assauts de la modernité ! Mais, vertu d’un discours libérateur, il donne aux catholiques un souffle que leurs dirigeants ne leur avaient pas communiqué depuis longtemps. Vient ensuite le mea culpa de rigueur. Celui-ci ne coûte pas cher puisque l’erreur vient des prédécesseurs. Honte à l’électoralisme sociologique qui a fait des catholiques une variable électorale, honte à cette instrumentalisation clientéliste. Conséquence : l’Église est rendue à ses objectifs fondamentaux. En écoutant le Président, j’ai l’impression que, malgré la posture qui affleure sous ses mots, mon Église retrouve sa chair.
Mais l’objectif de ce discours va bien au-delà de la réparation d’un lien abîmé en 2013, comme s’en inquiètent les hygiénistes de la laïcité. Ce qu’Emmanuel Macron entreprend – et mine de rien le projet est assez grandiose –, c’est de rendre aux catholiques une vision de leur propre Église qu’ils étaient eux-mêmes en train d’oublier.
Qu’on lise avec soin. Si Emmanuel Macron veut réparer un lien, ce n’est pas avec l’Église autoritaire de 2013, celle qui a sauté à pieds joints par-dessus les 40 % de catholiques favorables au mariage homosexuel, celle qui, péremptoire, a voulu imposer sa conception de « la famille », modèle unique et universel, celle qui a diabolisé les études de genre sans se préoccuper de leur contenu. Non, Emmanuel Macron n’a que faire de cette Église qui cède sur le débat, qui cède sur l’honnêteté intellectuelle, qui cède sur l’intelligence et la raison. Il n’a que faire – et il le dit en toutes lettres –, d’une Église qui sait tout d’avance, qui juge et condamne. Non, « l’Église ne peut être injonctive ». « L’Église, dit-il, est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas. » Et de rappeler, comparant les responsabilités communes du politique et du spirituel, que « notre tâche va au-delà du simple commerce de nos certitudes ». Pas de doute, l’Église que décrit Emmanuel Macron est « moderne », « en dialogue », elle est adaptée à la sécularisation. Ses sujets ne sont pas des dévots confits en formules usées, mais ils sont dotés d’une conscience éclairée qui les pousse à l’échange et à la quête. C’est avec ces chercheurs-là que le lien doit être réparé.
C’est aussi à l’Église qui sait s’engager auprès des plus faibles qu’Emmanuel Macron manifeste son estime. Que la quête de l’au-delà « se confronte tous les jours avec ce que le temporel a de plus temporel », voilà ce qui pour lui est admirable. Hommage rendu aux associations qui accueillent les migrants, assorti d’un avertissement d’une terrible clarté : si nous ne régulons pas le flot des migrants, « nous serons poussés vers des options politiques extrêmes ». En clair, gare au retour du FN.
Sans doute ce discours prépare-t-il des pilules plus amères à certains, au sujet de la PMA et de la fin de vie. Car tout ce capital reconnu à l’Église sera appelé à la barre à l’heure des choix. C’est la capacité de l’Église à écouter les personnes, avec leurs souffrances et leurs espoirs, qui sera appelée à débattre.
Pas sûr que le message soit facile à entendre par tous… Mais au moins une nouvelle chance de « sortie par le haut » aura été donnée à une institution devenue aussi fragile que du verre. Comme le roi Cyrus avait été l’instrument de Dieu en libérant le peuple juif, voilà que le président de la République offre à l’Église une sorte de libération, en lui rendant une identité heureuse, dynamique, ouverte. Qu’elle puisse en tirer profit, à propos des lois de bioéthique, mais bien au-delà, puisque ce salut lui est acquis pendant les quatre ans à venir du mandat présidentiel, serait une très bonne nouvelle.
Anne Soupa
Texte disponible sur le site de la Conférence des baptisés de France
Vidéo
Véronique Fayet, Présidente du Secours catholique-Caritas France
« Le président de la République s’est porté garant de la laïcité, c’est une bonne nouvelle. Je reste toutefois sur ma faim sur la question des migrants, puisque tout au long du discours, il a été beaucoup question de l’éloge du doute, du questionnement et surtout du dialogue. Or sur les migrants, la porte s’est refermée immédiatement, comme si ce qui est proposé actuellement allait tout résoudre. »