Covid-19 : écouter le message du virus
Le jésuite catalan Javier Melloni invite à écouter le message de la terre, à revoir le style de vie que nous avons créé. Théologien et anthropologue d’origine italienne, spécialiste du dialogue interculturel et interreligieux, et des relations entre les différentes mystiques, Javier Melloni a été interviewé par le quotidien espagnol El País sur la crise du coronavirus.
Question : Comment a commencé votre cheminement spirituel ?
Réponse : Nous avons tous une expérience fondatrice, qui marque un avant et un après, et j’ai vécu mon étape mystique à l’âge de 14 ans. J’en ai connu d’autres, mais c’est celle qui a déterminé le sens de ma vie, et c’est une présence permanente qui m’inspire toujours.
Q : Pourquoi avez-vous choisi les jésuites ?
R : Je suis entré chez les jésuites à 18 ans, mais j’ai réfléchi longtemps parce que saint François m’attirait davantage. Ce qui m’a décidé, c’est que les jésuites n’ont pas la nostalgie du passé, mais de l’avenir : ils considèrent que l’être humain doit encore se réaliser et qu’il faut l’accompagner.
Q : Cette foi, a-t-elle vacillé dans ce monde en feu dont vous parlez ?
R : Ce monde en feu m’enflamme davantage. Le défi est encore plus grand, parce qu’il y a des flammes destructrices et des flammes transformatrices. Qu’elles soient l’un ou l’autre dépend de notre manière de les appréhender. Nous pouvons voir le coronavirus comme une force destructrice, annihilatrice, qui paralyse le système, ou au contraire comme une épreuve initiatique.
Q : Initiatique, pourquoi ?
R : Elle arrive au bon moment pour que nous opérions un changement de conscience qualitatif et a quelque chose d’inédit : elle est planétaire. Jamais auparavant nous n’avions vécu une telle expérience. Même la Seconde Guerre mondiale n’en est pas devenue une. Et comme toutes les épreuves d’initiation, c’est un voyage qui nous conduit vers les limites. Nous ne devons cependant pas voir le virus comme un ennemi, mais plutôt comme un adversaire porteur d’un message sévère que nous devons savoir interpréter.
Q : Selon vous, quel est ce message ?
R : « Arrêtez-vous pour penser où vous voulez aller. Il en est encore temps. Vous êtes dans un train en marche, vous êtes sur le point de prendre un virage, et si vous ne vous arrêtez pas, tout va sauter. » Le risque écologique est le plus visible, mais l’avertissement fait également référence à notre activité frénétique, à un mode de vie qui nous oblige à produire de plus en plus et nous rend dépendants de la consommation.
Q : Vous ne craignez pas qu’après le virus nous ne revenions au paradigme d’avant ?
R : C’est pourquoi le virus ne nous abandonnera pas. Il ne partira que lorsque nous aurons tiré les leçons. Et si celui-ci s’en va, un autre viendra. Nous vivons une époque difficile mais extraordinaire. Nous sommes de plus en plus conscients que la conscience que nous avons de nous-mêmes affecte la réalité dans laquelle nous vivons. Et cela nous permet d’être co-créateurs de la réalité. Mais pour cela, nous avons besoin de nous connaitre nous-mêmes. Le coronavirus nous confronte à des problèmes non résolus dont nous pensions que nos enfants devraient les résoudre, et nous voyons maintenant que nous devons les résoudre nous-mêmes. Ce qui est beau, c’est que nous pouvons le faire d’une manière plus solidaire au niveau planétaire qu’à d’autres époques.
Q : Pourquoi davantage maintenant ?
R : Parce que nous sommes plus connectés. Et parce que pour la première fois, nous partageons une conscience planétaire. Nous sommes dans la même tempête, même si nous ne la vivons pas dans le même bateau, puisque certains sont sur un paquebot et d’autres dans un canoë. La crise de 2008 a été provoquée par l’insolence et l’égoïsme de quatre prédateurs, ce qui ne suscite guère la solidarité. Or, cette absence de défense collective produit de la tendresse et de la solidarité. Toute crise est un accélérateur de processus. La question est de savoir si nous pourrons vivre en travaillant et en consommant moins et de manière plus égalitaire. Dans des conditions normales, nous ne choisirions guère le renoncement. Mais cette crise peut donner naissance à de nouvelles formes de solidarité qui nous amèneront à vivre avec plus d’austérité, à savourer une moindre quantité et une plus grande qualité.
Q : Vous soutenez la décroissance ?
R : Oui, mais avec une dimension spirituelle, sinon c’est intenable. Nous pensons qu’en ayant plus, nous serons plus, alors qu’en ayant plus, nous sommes moins. Ce changement ne peut se faire qu’à partir de la spiritualité.
Q : Le philosophe Comte-Sponville parle du besoin de communion de tout être humain, même le plus athée. Mais la spiritualité a été monopolisée par les religions qui ont longtemps pratiqué l’imposition. Ensuite, il y a eu la négation de Dieu et la sécularisation. Où en sommes-nous ?
R : À une époque post-religieuse et post-séculière. Les religions institutionnelles, si elles continuent à fonctionner sous le registre de l’obéissance, finiront par être résiduelles. Mais la sécularité n’a pas non plus d’avenir si elle vit dans un narcissisme sans remise en cause. Entre ces deux effondrements, émerge l’idée que nous faisons partie d’un tout. Dans la post-sécularité, il est admis qu’il peut y avoir une relation avec la transcendance. Il s’agit de découvrir cette dimension spirituelle, intérieure, constitutive de la personne et de la réalité. Cela ne peut se faire que par l’écoute. Nous avons besoin du silence comme pratique spirituelle. Dans la société future, les architectes concevront des maisons avec un espace de méditation.
Q : Lorsque vous prônez un dialogue entre les religions, vous ne voulez pas dire un dialogue entre les Églises, n’est-ce pas ?
R : Je fais référence au dialogue entre les différentes expériences du sacré. La rencontre entre les religions est l’occasion de se compléter. Le temps est venu d’embrasser la totalité de l’héritage spirituel de l’humanité.
Interview parue dans El País, le 23 décembre 2020
Traduction Annie Josse