Antonio Guterres, nouveau secrétaire général des Nations Unies
Alors que plusieurs grandes puissances de ce monde ont élu à leur tête un populiste, un constructeur de murs ou un prédicateur de haine, l’ONU a désigné son nouveau secrétaire général qui entrera en fonction le 1 janvier 2017. Antonio Guterres a été formé par un mouvement de jeunesse catholique dans son pays, le Portugal. Il se veut un constructeur de ponts.
Un nouveau secrétaire général pour l’ONU
Le 1er janvier prochain, Antonio Guterres, ex-Premier ministre portugais et ancien haut-commissaire pour les réfugiés, succèdera à Ban Ki-moon à la tête du secrétariat général des Nations unies.
À 67 ans, Antonio Guterres devient ainsi le 9e secrétaire général de cette institution, le premier ancien chef de gouvernement qui accède à ce poste. Fervent pratiquant, il est formé par la Jeunesse Universitaire Catholique. Mais c’est la « révolution des œillets », en 1974, qui le conduit à l’engagement et il entre au Parti socialiste. Élu député à 27 ans, il va siéger de longues années au Parlement où son talent oratoire lui vaudra le surnom de « marteau-piqueur parlant ». Premier ministre du Portugal de 1995 à 2002 et européen convaincu, il fait entrer son pays dans la zone euro et instaure un revenu minimum garanti. Pendant ses années à la Primature, Guterres s’implique dans la résolution de la crise au Timor oriental. Sa présidence du Conseil européen sera marquée par le premier sommet Union européenne-Afrique en 2000 au Caire et l’adoption de l’Agenda de Lisbonne pour la croissance et l’emploi[1] . Membre du Conseil d’État du Portugal entre 1991 et 2002, il fonde en 1991 le Conseil portugais pour les réfugiés, une ONG inspirée de la culture humaniste de tolérance et de respect pour la dignité des peuples. Les socialistes ayant été vaincus aux législatives de 2001, Guterres démissionne avant la fin de son second mandat.
Son rôle de Président de l’Internationale socialiste de 1999 à 2005 lui a permis de se constituer un réseau exceptionnel, notamment en Afrique. Parlant, outre sa langue maternelle, l’anglais, le français et l’espagnol, il est choisi en 2005 comme haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés par Kofi Annan. À ce poste, il supervise une réforme du HCR visant à réduire le personnel basé à Genève et à améliorer la capacité d’intervention d’urgence de l’organisation. Pendant son mandat, marqué par quelques-unes des crises les plus importantes (Syrie, Irak, Soudan du Sud, République centrafricaine, Yémen) le nombre de personnes déplacées sera passé de 38 millions en 2005 à presque 60 millions en 2015. Il instaure le Dialogue annuel sur les défis de protection, dialogue informel entre États, agences des Nations unies et société civile, pour discuter des questions portant sur les flux migratoires mixtes, les situations de réfugiés prolongées, les installations urbaines, les lacunes en matière de protection, la foi, les déplacés internes, la protection en mer et pour s’attaquer aux causes profondes des déplacements.
Participant en juillet dernier à un débat entre les candidats au poste de secrétaire général organisé par le quotidien britannique The Guardian, il déclare qu’il veut être la voix des opprimés et lance à propos des réfugiés syriens : « Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que de voir de tels niveaux de souffrance. »
Premier catholique pratiquant à présider l’Internationale Socialiste, chrétien de gauche dans la ligne de Jacques Delors, Guterres est une référence en matière de droits de l’homme et d’intégrité morale. Reçu en audience par le pape François comme Haut-commissaire aux réfugiés, il valorise les visites papales à Lampedusa et au centre jésuite pour les réfugiés à Rome.
Catholique convaincu et socialiste convaincu, Antonio Guterres est un passeur, qui se qualifie lui-même de démineur de dialogue. Quand il apprit le consensus qui se faisait sur son nom pour le poste de secrétaire général, il se définit comme un « bâtisseur de ponts », bâtisseurs dont il affirmait le besoin dans sa postface au livre Tender Puentes. PSOE y mundo cristiano[2] : « Lors du Concile Vatican II, l’Église Catholique a affirmé avec une force et une détermination particulières sa volonté de dialogue et d’engagement pour la liberté. À la lumière de la fidélité à la valeur de la dignité humaine, nous devons bâtir des ponts entre le socialisme démocratique et le monde chrétien, dans une logique de pluralisme et de rencontre solidaire de bonne volonté. Et si l’égalité de tous est une note distinctive du christianisme, nous ne pouvons oublier qu’il s’agit aussi de de la première note distinctive de notre tradition politique. Depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001, le dialogue entre les religions est devenu encore plus important. Seules l’ouverture et la liberté d’esprit, la coopération et la culture de la paix pourront contrebalancer le fanatisme et l’intolérance. Nous avons par conséquent besoin de nombreux ponts ».
Et dans cette même postface, écrite peu après le 11 septembre 2001 et toujours actuelle, il insistait : « S’il est vrai que le concept d’État laïc anime les sociétés démocratiques, il n’en est pas moins vrai que le dialogue avec et entre les religions apparait toujours plus comme un facteur positif de cohésion et d’enrichissement des sociétés dans lesquelles nous vivons. Ce dialogue et cette compréhension représentent de nos jours un puissant antidote à tous les fondamentalismes et un facteur positif de tolérance et de respect mutuel. Assumons donc la vocation universaliste des droits fondamentaux et la force créatrice du dialogue entre des cultures différentes ».
S’exprimant sur sa future fonction, Antonio Guterres déclare: « Unité et consensus sont absolument indispensables pour que le Conseil de Sécurité affronte les défis actuels, mais il faut de l’humilité pour reconnaitre ces défis et pour servir les peuples, surtout les plus vulnérables, comme les victimes des conflits et de la pauvreté ».
La tâche d’Antonio Guterres promet de ne pas être simple, les ONG attendent beaucoup de lui en raison de son engagement en faveur des réfugiés. Comme le dit Louis Charbonneau, responsable détaché de Human Rights Watch à l’ONU : « Le prochain secrétaire général de l’ONU sera jugé sur sa capacité à tenir tête aux puissances qui l’ont choisi, que ce soit sur la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, la crise des réfugiés ou le changement climatique[3] ».
Annie Josse
Novembre 2016
[1] visant à faire de l’UE en 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
[2] JAUREGUI OTONDO R., GARCÍA DE ANDOIN C., Tender puentes. PSOE y mundo cristiano, Bilbao, Desclée de Brouwer, 2001
[3] http://www.liberation.fr/planete/2016/10/06/pourquoi-antonio-guterres-a-mis-tout-le-monde-d-accord-pour-prendre-la-tete-de-l-onu_1519979