L’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AELF)
Interview de Frédéric Bergeret, secrétaire général de l’AELF
La mission du SNMUE est de « servir la communion et la coopération » entre diocèses français et étrangers. Mais le SNMUE n’a pas le monopole de cette mission. L’interview de Frédéric Bergeret, secrétaire général de l’AELF donne un aperçu sur une entreprise de coopération entre conférences épiscopales : réaliser des livres liturgiques et des traductions pour tous les catholiques de langue française, ce qui implique évidemment une coopération entre évêques de pays ayant en commun le français pour langue de communication.
Frédéric Bergeret est le secrétaire général de l’AELF : Association épiscopale liturgique pour les pays francophones. Il travaille dans les locaux de la CEF.
Q: Pouvez-vous nous présenter l’AELF…
AELF : cette association est chargée de coordonner les travaux de traduction des textes liturgiques officiels du latin en français. Il s’agit d’une association de droit français loi 1901, qui peut gérer des droits d’auteur, passer des contrats… Son objectif est de valoriser tout travail autour de la liturgie, la diffusion de textes… Il s’agit de coordonner et de gérer la traduction des textes liturgiques et les droits qui découlent des éditions d’ouvrages.
On avait besoin d’une structure souple, une association loi 1901, car la Commission épiscopale francophone de traduction liturgique n’a pas de personnalité juridique. AELF est le support juridique de cette activité.
Les membres de l’AELF sont les divers secrétariats nationaux de liturgie des pays francophones : France, Belgique, Suisse, Luxembourg, le Canada francophone, Monaco, et Mgr Benoit Alowonou évêque de Kpalimé au Togo qui représente La Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest (CERAO). Mgr V. Landel, archevêque de Rabat, pour l’Afrique du nord (la Conférence se nomme CERNA). Et Mgr Calvet (Nouméa) pour la zone pacifique (la conférence épiscopale se nomme CEPAC). Cela est censé représenter l’ensemble de la francophonie.
Le président de l’AELF est Mgr Guy de Kérimel, évêque de Grenoble.
Ce sont les conférences épiscopales qui sont membres de l’AELF. Pour être membre, il faut aussi pouvoir envoyer des experts actifs dans le travail de traduction.
L’assemblée plénière se réunit une fois l’an. Avec plusieurs conseils d’administration pour contrôler la bonne gestion de l’association et prendre les décisions courantes.
Le personnel administratif est composé de trois personnes. Les personnels de traduction travaillent pour les divers chantiers : lectionnaire, missel romain, Bible, ouvrage sur la confirmation… Toute la francophonie travaille en parallèle sur des chantiers qui se réunissent une ou deux fois par an. Sans doute cinq personnes, à plein temps ou temps partiel, cela dépend des chantiers. Avec des collaborateurs ou des personnels extérieurs : cela dépend aussi des chantiers. Une petite dizaine de personnes.
Q: Quels sont les chantiers en cours ?
Actuellement : la fin du martyrologe, la fin de la traduction du missel romain… Pour l’évangéliaire : il s’agit de la traduction officielle des évangiles lus durant les liturgies… Il y a un travail éditorial à accomplir pour que le livre soit beau, solide, avec une belle maquette…
Pour ces chantiers, il faut un personnel spécialisé : les personnes qui travaillent pour le martyrologe, rédigent des notices biographiques des saints, il faut maitriser le latin, cela exige une formation particulière…
Q: Comment gérer vous la diversification croissante de la langue française, entre le français de France et le français d’Afrique : les mots doivent-il avoir la même connotation partout ?
Il est difficile de trouver un consensus. Par exemple avec le Canada francophone : là-bas, certains termes religieux sont des insultes, comme tabernacle, hostie…
Des qualificatifs comme catéchètes ne sont pas partagés par tout le monde, la plupart du temps on cherche la notion la plus audible. Il faut se souvenir que le consensus, toujours recherché, est parfois vecteur de flou… Le consensus n’est pas toujours la formule miracle.
Mais l’on parvient à se mettre d’accord, puisque dans les divers chantiers, il y a des personnes de chaque pays.
Q: Pour une traduction, utilise-t-on la langue courante ou une langue technique ?
Les traductions liturgiques doivent être inattaquables, mais on a toujours l’obligation d’une traduction correcte. Comment être scientifiquement rigoureux ? Il y a diverses traductions pour divers usages. Par exemple, pour la Bible : il y a une traduction en français courant. La traduction liturgique doit être audible. Il faut veiller à l’euphonie : les textes liturgiques sont faits pour être entendues, l’auditeur doit comprendre. Et ne pas tiquer. Exemple : si on entend « Le Seigneur a bâti le mur ». C’est : Le Seigneur a bâti le mur ou abattit le mur. Veiller à l’euphonie. Il faut éviter l’ambiguïté ou le ricanement des auditeurs… Ou encore : Le Seigneur a régné, le Seigneur araignée…
Voilà un point de technicité important. Le texte est fait pour être entendu, et non lu. Il faut rester le plus proche possible du texte original, ne pas aller dans l’improvisation, dans la glose…
Q: La conférence française est-elle soupçonnée d’impérialisme ? De se croire propriétaire de la langue française ?
On fait attention, il faut montrer aux autres conférences membres de l’AELF que la CEF n’est pas impérialiste ; et comme elle ne l’est pas, c’est assez facile à prouver. Il faut aussi tenir compte du principe de réalité : 80% du marché du livre liturgique se fait en France… tous les pays s’accordent là-dessus.
Les contacts avec les éditeurs se font en France. Le Président de l’AELF est français, tout le monde le comprend. Je n’ai jamais eu le sentiment que tel ou tel pays nous en voulait, nous reprochait cette position dominante.
Q: Comment l’AELF est-elle perçue, comme une succursale de la CEF ?
AELF : la CEF en est membre. Mais c’est indépendant. Les évêques étrangers ne considèrent pas que l’AELF est une succursale de la CEF. On est content de travailler ensemble. Les conférences épiscopales se sentent bien à l’AELF. Mais attention : les pays autres que la France ne doivent pas avoir l’impression que l’AELF est gérée par la CEF, elle est seulement abritée. Il y a systématiquement une collaboration dès le départ. On décide ensemble le principe de la traduction, on cherche ensemble les traducteurs.
Pour la traduction officielle liturgique de la Bible, le travail a pris 17 ans. Entreprise de longue haleine. On aboutit à un objet commun. Avec un but commun, les conflits se règlent facilement.
Q: Frédéric, vous consacrez 80% de votre temps pour l’AELF. Et 20% pour le service de la pastorale liturgique. Un travail international, assez méconnu !
Il existe une CEFTL : Commission épiscopale francophone de traduction liturgique. Le Secrétaire exécutif en est Bruno Mary. Le président en est Mgr Aubertin. L’AELF est une association, loi 1901. Et moi, je suis secrétaire général de cette AELF. Il faut défendre les droits d’auteur, c’est une partie de mon travail.
Pour les contacts internationaux, nous n’avons pas de problèmes de langue, mais les différences culturelles existent.
Les partenaires africains sont toujours intéressés par les productions, avides de chercher les productions, et ils se demandent toujours comment insérer le contexte africain dans la publication. Les prêtres d’Afrique sont toujours intéressés de recevoir les productions d’un service, cela nous incite à nous dire qu’une revue, cela peut représenter un outil de travail et d’animation.
Autre intérêt : les canadiens francophones ont un fonctionnement plus anglo-saxon, c’est un plaisir de travailler avec eux…
Le souci démocratique est très fort dans certains pays. Les travaux doivent être approuvés par des votes formels des conférences épiscopales ; ensuite le résultat du vote est soumis à Rome, les Suisses y sont très attachés… il faut comprendre la culture des Suisses en matière de vote !
Ces assemblées sont une occasion de s’intéresser à ces divers pays, on ne parle pas que de liturgie.
Derrière les représentants de telle ou telle conférence, il y a des personnes. Pour le travail quotidien, ils répondent présents si on leur demande un service. Par exemple, pour le travail sur l’évangéliaire, on doit se mettre d’accord sur la couverture. Si je sollicite tout le monde, j’ai plus de légitimité auprès des éditeurs en leur parlant. Si la réponse vient de deux Français et deux Belges, la légitimité sera faible.
Cela me parait naturel de ne pas se comporter en « impérialiste ». Quand on travaille dans un service, on fait attention à tous ses collaborateurs… c’est naturel d’associer tout le monde.
Q: Avez-vous une image positive de ce travail ?
Image négative : une des difficultés, c’est la collaboration quotidienne avec des services étrangers disposant parfois de moins de moyens, de moins de personnels. La France est un moteur, elle dispose de la logistique la plus fournie, mais il est difficile d’être le moteur si les moyens diminuent chez nous comme dans certains secteurs ou pays…
J’aimerais que les autres conférences soient aussi bien dotées en termes de personnel et de budget, on aurait des relais, une amplification du travail fait à Paris. Paris est souvent la locomotive pour des raisons de moyens alloués à ce travail. Les services de liturgie ont trop souvent des moyens trop faibles.
Q: Qu’en est-il des traductions vers des langues vernaculaires ?
On a le projet de Bible liturgique pour l’Afrique. A ce titre, j’ai rencontré les évêques qui chapeautent ce dossier. La volonté d’aller au bout existe. Même si à l’arrivée, le projet sera un peu différent de celui de départ.
Le projet initial a évolué. Finalement nous n’aurons qu’une version moins chère et du texte liturgique uniquement. Cette version actuelle ne se trouve pas en Afrique, car le réseau de diffusion des livres n’y est pas toujours optimal. C’est pour cela qu’il faut faire un partenariat avec des éditeurs diffuseurs en Afrique.
Q: Qu’en est-il d’un site internet ? Internet est plus répandu en Afrique que les librairies classiques !
Le site AELF existe. On y trouve les textes liturgiques, le bréviaire. On y trouve aussi le calendrier liturgique. C’est un excellent vecteur de communication…
Beaucoup d’auteurs et compositeurs passent par ce site. Il reçoit beaucoup de visites. On peut s’inscrire pour recevoir les lectures du jour, l’abonnement est gratuit. C’est très utile pour réaliser des feuilles de messe. Le flux RSS permet aux paroisses de recevoir les lectures de la messe.
Sur le site internet, beaucoup de demandes viennent d’Afrique : comment utiliser vos textes, demande d’autorisation d’utilisation des textes, on est ravi quand on voit la difficulté d’avoir accès aux livres en Afrique… Cela est réjouissant, nous recevons des mails d’Afrique, des mails de remerciement…Cela nous motive pour continuer.
Autres projets ? pour le moment, nous n’avons pas de Facebook ni périscope, ni tweeter… cela viendra peut-être.
Frédéric Bergeret
Novembre 2016
Ceux qui s’intéressent à la francophonie pourront consulter le site de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF.