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Le livre du pape

Couverture du livre d'entretien du pape et D. Wolton

Couverture du livre d’entretien du pape et D. Wolton

Le pape s’est laissé interviewer assez longuement – douze séances de deux heures – il vaudrait mieux dire un dialogue tant l’interviewer est actif et présent, avec des questions parfois plus longues que les réponses ! Le résultat est un livre : Pape François, Rencontre avec Dominique Wolton, Politique et société, Paris, Editions de l’Observatoire, 425 p, 21 €

L’interviewer est très connu dans le milieu : il s’agit du sociologue Dominique Wolton qui a déjà produit de semblables livres, grands succès de librairie : avec le cardinal Lustiger, Le choix de Dieu (1986 déjà), avec Raymond Aron ou Jacques Delors. Comme l’indiquent justement le titre du livre et la bande annonce, il s’agit plus d’une rencontre ou d’un dialogue que d’une banale interview. Dominique Wolton est très présent, avec ses intérêts de sociologue de la communication. Ce qui fascine Wolton chez le pape, c’est précisément cette formidable capacité à communiquer « en vérité », sans donner le sentiment d’être influencé par un communicateur caché dans les coulisses, comme on le voit dans la vie politique. D. Wolton part à la recherche des secrets de communication chez le pape. Le pape ne semble pas trop intéressé par les centres d’intérêt de Wolton. L’initiative du livre revient à D. Wolton, selon qui la vraie communication suppose la liberté et l’égalité des partenaires. Communiquer, c’est parfois partager, mais le plus souvent, c’est négocier et cohabiter, dans un monde de pluralité des cultures. Le pape semble, aux yeux de D. Wolton, un expert dans cette communication, et Wolton voudrait que le pape donne son avis sur ces points, et nous donne des leçons de bonne communication. Le pape répond à côté des questions et poursuit son propre projet. Un livre sur la communication marqué par beaucoup d’in-communication entre l’interviewé et l’interviewer !

Grand public : c’est à lui que le livre est destiné, public pas forcément catholique, et pas forcément très cultivé en matière religieuse. Mais Wolton vient au secours du lecteur et explique en note beaucoup de choses, comme la théologie de la libération, et aussi les Béatitudes ! Grand public ! Pas de jargon, pas de référence érudite à des auteurs (qu’on n’a pas lus). Dans ce livre, le pape parle comme il parle ailleurs et comme il parle tous les jours. Style oral, simple et compréhensible. Il parle en pasteur (« Jean-Paul II était un professeur d’université » remarque-t-il malicieusement, et Benoit XVI aussi).

D.Wolton, en bon Français, estime que son appartenance religieuse relève de sa vie privée et n’est pas très loquace sur ce sujet. Tout au plus révèle-t-il qu’il a reçu une éducation catholique et aujourd’hui, il est un chercheur agnostique. Nous n’en saurons pas plus. Ses questions sont celles d’un sociologue, d’un homme intéressé par la politique, par la communication… A peu près rien sur la vie intérieure, sur la vie spirituelle, pas de question, et pas de réponse.

Contenu du livre. Les centres d’intérêt du livre sont listés ainsi : les question politiques, culturelles, religieuses qui traversent le monde et sa violence ; l’Eglise dans la mondialisation ; la diversité culturelle, religion et politique ; les fondamentalismes et la laïcité ; culture et communication ; l’Europe comme territoire de cohabitation culturelle ; tradition et modernité ; le dialogue interreligieux ; le rôle des chrétiens dans un monde laïc marqué par le retour des religions ; l’incommunication du discours religieux… Huit chapitres donc sur la place de l’Eglise (catholique) dans le monde, dans la politique, à partir du premier pape jésuite, premier pape latino-américain. D. Wolton est très français, et le pape très pape. Il entre parfois difficilement dans les catégories utilisées, répond à côté des questions… Gauche-droite, tradition-modernité : le pape se coule mal dans ces petits casiers (et certains casiers sont très français). Le pape suit son chemin… ce faisant, ce pape se montre très humain, enraciné dans sa propre vie, dans son expérience, dans ses lectures aussi dont il ne fait pas étalage. De l’humour aussi.

Où sont les scoops ? On découvre que le pape est favorable à un pacte d’union civile (et non un mariage religieux ou civil) pour les personnes de même sexe souhaitant légaliser leur vie commune. Il préconise l’accueil des migrants et il ramène des réfugiés musulmans dans son avion depuis Lesbos. Il parle à des prostituées un 15 août et lave les pieds de migrants clandestins un Jeudi saint. Il dénonce « l’argent qui tue » et la « mondialisation de l’indifférence et de l’égoïsme». Il ne décolère pas contre les ravages du cléricalisme dans les séminaires et les paroisses. Il rappelle que les laïcs sont les protagonistes de l’évangélisation. Il appelle des femmes aux responsabilités. Il déclare « irréversible » et très bénéfique la réforme liturgique du concile Vatican II (et toc pour le cardinal Sarah !). Il invoque souvent Paul VI, le pape du dialogue et d’Evangelii Nuntiandi. Il demande la miséricorde pour les divorcés remariés. Il a consulté pendant six mois une psychanalyste juive à Buenos-Aires dans les années 70.

Il fait furieusement penser à un certain François (d’Assise) qui devait « réparer » l’Eglise du Christ. Pour le pape du même nom, ce n’est pas le Crucifié qui le lui a demandé mais le consistoire des cardinaux réunis à Rome. D’où peut-être le choix du nom.

On pourra dire que ce pape est de gauche, ainsi que l’indique le Figaro Magazine. Cela fait vendre la presse. Il est plus pertinent de remarquer que le pape n’entre pas dans nos catégories trop françaises ou trop classes moyennes distinguées. Le pape est calé sur l’Evangile[1].

Résumé. Le pape pourfend la rigidité, le cléricalisme, l’argent, le manque de cœur. Ses mots favoris sont la joie, la proximité, la prière. D. Wolton aimerait savoir comment on gère une Eglise multiculturelle, dans le monde fragmenté qui est le nôtre. Comment on communique à l’âge de l’immédiateté et du déluge de communication tous azimuts. Le pape ne répond guère à ces interrogations légitimes. Il se cale sur l’Evangile, c’est sa réponse aux questions. Accueillir, accompagner, discerner, intégrer. Ces quatre verbes résument Amoris Laetitia. Ils résument aussi le programme de gouvernement du pape. Et les conseils qu’ils donnent aux politiques qu’il rencontre. Et ces quatre verbes ressemblent furieusement aux quatre verbes à mettre en œuvre pour la politique migratoire : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer.

Lacunes du livre. Ce livre, ainsi qu’il est indiqué et que le titre le laisse à penser, est très politique. Il traite des sujets qui concernent les relations entre l’Eglise et la société. La gestion de notre planète. Et pourtant il n’y a quasiment rien sur l’Asie et l’Amérique du nord. Il me semble que le mot Chine n’apparait pas. Tout se passe entre l’Amérique latine, l’Afrique et l’Europe (assimilée à l’Europe occidentale). Limites du pape ou limites de l’interviewer ?

On sent que la théologie du peuple est très importante pour le pape François. Mais l’interviewer semble ne pas la connaitre et la confondre avec la théologie de la libération. Donc on n’en saura pas plus. Pourtant, selon le pape, « le peuple est une catégorie mythique ». D. Wolton a peur que cela ne conduise à un éloge du populisme.

A la lecture, on pressent aussi que D. Wolton a fort envie d’écrire le texte d’une encyclique sur la communication (c’est très important dans notre monde, donc une réflexion éthique s’impose), un éloge de la lenteur, et ainsi faire apparaitre les limites de la modernité. Ce texte existe déjà, il suffit de lire les livres de D. Wolton. Mais il faudrait que ce soit signé par le pape, dont le prestige moral est bien plus grand que celui de D. Wolton. La réponse à cette intéressante question sera donnée dans les années à venir.

Conclusion. Un livre à lire. A offrir à vos amis, plus ou moins chrétiens. Surtout à ceux qui sont décontenancés par le pape (« qu’il retourne dans sa pampa » peut-on lire sur facebook, sous la plume de gens très distingués). Pour saisir la cohérence d’une pensée, d’une action plus que d’une pensée. Enracinée dans l’évangile et la tradition de l’Eglise.

 

Antoine Sondag,
7 septembre 2017

 

[1] Le pape dit que le document Gaudete Domino du pape Paul VI est une encyclique, non, c’est une exhortation apostolique (p 227). Le pape se trompe, il n’est pas infaillible.
CCFM
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