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Soigner le traumatisme de l’exil

Psychologue-psychanalyste et coordinatrice du Pôle santé de la Maison Bakhita du diocèse de Paris, Florence Périfan fait le point sur la santé des personnes migrantes et réagit au thème du Dimanche de la Santé 2022 : « Heureux ».

Que dire de la santé des migrants en France aujourd’hui ?

Lors de la grande consultation des partenaires pour la programmation de la Maison Bakhita est remontée la nécessité de proposer un suivi psychologique et de santé spécifique aux migrants. Et pourtant, il y a encore très peu de demandes de consultation. A L’EPOC, association où je travaille aussi, je reçois moins de migrants que d’habitude, ce qui ne veut pas dire qu’ils aillent mieux. Au contraire, les migrants vont moins bien : depuis deux ans et avec toutes les restrictions liées à la pandémie de Covid-19, tout s’est vraiment tendu. Nous recevons notamment des personnes qui viennent de lointaines banlieues. Or se déplacer était compliqué ; toutes les associations qui les prenaient en charge pour le suivi social, les cours de FLE et autres, du fait des restrictions et des jauges dans les salles, ont arrêté ou fortement diminué leurs activités. Déjà isolées et fragiles, les personnes migrantes se sont retrouvées sans soutien. Leur invisibilité s’est accentuée. Une des particularités de ces personnes est que la demande de soin vient très rarement d’elles-mêmes. Elle est souvent portée par un tiers – assistante sociale, conseiller juridique etc. Parce que cela ne fait pas partie de la culture ou que ce n’est pas connu, la personne migrante n’a pas l’idée qu’elle peut être aidée pour mieux dormir ou parler à quelqu’un de ce qui l’angoisse.

Quelle est la proposition du Pôle santé à la Maison Bakhita ?

Pour l’instant, l’équipe est composée de quatre psychologues, une médecin généraliste et trois ostéopathes. La « clinique des migrants »1 est spécifique, avec des symptômes particuliers. L’idée est de proposer des soins adaptés à ces personnes dont les maux sont l’écho de leur parcours migratoire avant d’arriver en France. Ces personnes ont souvent traversé de grandes violences. C’est une clinique du traumatisme.

Certaines personnes ont des problèmes de concentration, des troubles du sommeil (cauchemars), des images qui font irruption, de l’angoisse et des somatisations diverses. L’objectif est de traiter médicalement ces troubles pour pouvoir libérer l’esprit de ces pensées obsédantes et, par une écoute bienveillante et par la parole avec un psychologue, pouvoir mettre en mots ce récit. Nombre d’entre elles ont connu des violences qui ne peuvent être ni dites ni pensées, élaborées. Dans la consultation avec un psychologue, on ne leur veut rien, contrairement aux diverses démarches auxquelles elles sont tenues pour leur régularisation. Leur parole peut s’y déployer librement, à leur rythme, pour qu’elles puissent se réapproprier leur histoire. Nous constatons aussi que ces personnes sont malmenées dans leur corps. Prises par la souffrance psychique, elles peuvent être dans un déni de douleurs corporelles. Les ostéopathes sont aussi là pour débloquer ce qui est bloqué.

Le thème du Dimanche de la Santé est « Heureux ». Pourtant nombre de migrants culpabilisent d’être arrivés en vie en France…

L’erreur serait de croire qu’une fois arrivés ici, c’est terminé. Beaucoup de migrants passent des mois à la rue, connaissent la prostitution, la violence, le froid et la faim ici en France avant d’être pris en charge. Il s’agit d’un autre départ vers quelque chose, à nouveau. La France n’est d’ailleurs pas forcément leur pays d’élection : certains arrivent ici parce que refusés de pays en pays. Ils ne sont donc pas tous heureux d’être en France ! La séparation d’avec la famille peut être mal vécue ; le sentiment de culpabilité vis-à-vis des autres restés au pays peut recouvrir différentes choses : il y a ce que certains appellent « syndrome du survivant » parce que l’on est en sécurité ici mais il y a aussi beaucoup qui se joue dans l’exil : il est question de l’identité, de la compréhension des règles d’ici, etc. Il peut y avoir de la colère, le sentiment d’abandonner une culture et de devoir en intégrer une autre qu’on n’aime ou ne comprend pas forcément, de s’y sentir obligé parce que « c’est ça ou rien » pour s’intégrer, ce que les discours des accompagnants font parfois entendre. Face à tous ces sentiments contradictoires, le travail des associations et des professionnels de santé est surtout de les accueillir et de les écouter.

Quels signes doivent alerter les personnes qui accompagnent les migrants ?

Le premier signe est l’isolement, le repli sur soi. Il y a évidemment beaucoup de raisons, dont la honte. Je pense à un jeune Irakien qui ne voulait absolument pas parler à ses compatriotes réfugiés de peur qu’ils découvrent son homosexualité. Avec l’isolement, le manque d’appétit et la perte du sommeil, les cauchemars, sont des signes que la personne ne va pas bien. Au-delà d’un questionnaire, il est important d’écouter la personne, sans lui dire ce qu’elle doit faire ou pas. Elle a été maltraitée dans sa subjectivité, souvent réduite à l’état d’objet dont on a disposé. Entrer dans une relation de confiance prend du temps. Il faut l’accueillir dans sa singularité, l’écouter, lui dire qu’une aide est possible avec des professionnels formés et qui peuvent entendre son histoire.

L’exil est donc un traumatisme spécifique ?

Oui. En psychanalyse, le traumatisme désigne quelque chose qui est impossible à penser, qui fait trou. Le traumatisme des migrants, leur histoire, est quelque chose de singulier qui demande une prise en charge spécifique. Il n’y a pas que la question de la violence. Se posent aussi celles de la solitude, de la mort, du deuil, de l’identité. Certains ont vu des personnes mourir en mer ou pendant leur voyage. Ces questions sont particulièrement présentes chez les personnes migrantes.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

1 Ce que nous appelons « clinique » n’est pas un lieu mais ce que l’on observe dans le suivi des patients, ce qui s’y joue.
Écouter comme Jésus pour "aider la personne à accéder à la vérité" 
« Je ne suis pas là pour juger la personne ni lui dire comment il faudrait qu’elle fasse. Mon regard chrétien est toujours d’accueillir une personne unique, avec une histoire singulière et de l’écouter avec une grande charité. Et en même temps lui tendre la main, c’est-à-dire ne pas tomber dans l’apitoiement ou dans la commisération devant ce qui a été vécu mais l’aider à en prendre conscience, à se positionner dans ce qui lui est arrivé. Comme fait Jésus avec la Samaritaine (Jean 4). Il n’exprime pas de la compassion mais nomme la réalité : « Celui que tu as maintenant n’est pas ton mari » (v.18). D’où la réaction de la Samaritaine : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » (v.29). Mon travail de psychologue-psychanalyste est d’aider la personne à accéder à la vérité d’elle-même ». La vérité vous rendra libres ! (Jean 8, 32)

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