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Au Cameroun, des frères à la rencontre de frères, témoignage de Mgr Cador

ordination de Mgr Cador, évêque de Coutances

Monseigneur Grégoire Cador, est né dans la Sarthe, à Solesmes. Ordonné prêtre pour le diocèse du Mans en 1988, Il a vécu une expérience marquante au Nord-Cameroun. Rentré en France en 2016, il a été curé de paroisse, vicaire général puis administrateur diocésain du Mans, avant d’être nommé évêque de Coutances et Avranches le 5 août 2023. Il a été ordonné le 15 octobre.

Qu’évoque pour vous l’expression « mission universelle » ?

L’Église est forcément universelle puisqu’elle est catholique. Elle est tournée vers le tout, la totalité. Pendant des siècles cela se traduisait par un départ à l’étranger dans des pays où le Christ n’était pas connu. Cela a été mon cas. Elle est chez nous, aujourd’hui, la mission universelle. Dieu nous envoie vers notre société déchristianisée et la diversité des cultures qui se côtoient de plus en plus dans notre vieille Europe.

Comment concrètement l’avez-vous vécu et le vivez-vous ?

Lorsque j’étais au séminaire, j’ai décidé de faire mon service militaire en partant en coopération avec la Délégation Catholique pour la Coopération. J’avais choisi le Sénégal, parce que le monastère bénédictin de Keur Moussa est en lien avec celui de Solesmes, mais un concours de circonstances – une lettre qui n’est pas arrivée à temps – a fait que cela n’a pas été possible. Entretemps une demande était arrivée pour le Nord-Cameroun, c’est donc là que je suis parti, dans un collège de N’Gaoundéré.

C’était en 1982. J’y ai découvert une Église « toute neuve ». Les premiers missionnaires étaient arrivés en 1947. J’ai vécu deux ans avec Mgr Yves Plumey, le fondateur de l’Église au Nord-Cameroun, et j’ai rencontré Mgr Jacques de Bernon qui m’a fait découvrir la réalité des missions dont les élèves du collège étaient originaires.

J’ai été séduit, au sens fort du terme, par cette jeune Église naissante dans une population sous domination musulmane mais qui, au nom d’une appartenance encore très vivante à sa foi traditionnelle, n’avait pas adhéré à l’Islam. J’avais l’impression de vivre les Actes des Apôtres, de voir un peuple passer d’une sorte d’Ancien Testament local (les gens avaient déjà une relation avec Dieu unique, créateur et provident), à la découverte du Christ venus accomplir ce que les Semences du Verbe avaient déjà fait germer dans cette culture.

Après mes deux années de coopération, j’ai terminé le séminaire et ai été ordonné. Puis j’ai demandé à mon évêque de repartir au service de cette jeune mission. Il m’a demandé de faire d’abord des racines : « tu ne pourras t’ouvrir à l’autre que si toi-même tu as quelque chose à donner et ce n’est pas parce que tu vas vivre longtemps au Cameroun que tu deviendras un Camerounais ». J’ai donc passé quatre ans au service du diocèse du Mans, puis en 1992 mon évêque m’a envoyé comme missionnaire Fidei donum à Tokombéré, au Nord-Cameroun. J’y ai rejoint Christian Aurenche, un prêtre médecin arrivé en 1975. À la fois curé de la paroisse et médecin chef, il avait succédé à Jean Marc Ela mais surtout à Baba Simon, fondateur de cette mission, l’un des huit premiers prêtres camerounais, une très belle figure de prêtre dont la béatification est en cours. Avec lui et avec la première génération de chrétiens, j’ai découvert sur le terrain ce contact avec les populations, dans un dialogue intéressant et enrichissant avec les grands prêtres de la religion traditionnelle et avec les responsables musulmans de la région. La plus grande partie de la population était de la religion traditionnelle, s’ouvrant au christianisme ou conservant sa religion. J’ai baigné pendant tout ce temps dans une atmosphère d’évangélisation et de promotion humaine. Pour nous il s’agissait de la même démarche, ce n’est pas l’un ou l’autre ou l’un après l’autre. Je ne peux pas annoncer l’Évangile si je ne me préoccupe pas de toutes mes forces de la promotion humaine.

Mgr Cador au Cameroun

Comment cela se traduisait-il ?

L’extrême majorité de la population vivait dans une très grande pauvreté. Et donc avec eux, nous avons mis en place des actions dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, de la promotion féminine… Tout ce qui fait qu’une personne devient de plus en plus consciente de sa dignité d’enfant de Dieu. Sachant que notre logique était de nous appuyer sur le regard nouveau que le Christ permet en venant en ce monde : Nous regarder les uns les autres comme des frères parce que fils d’un même Père. En devenant homme le Christ nous révèle que tous les hommes sont enfants de Dieu et qu’ils sont invités à vivre comme tel. Cela m’a vraiment beaucoup touché, beaucoup marqué, et je pense façonné : ça rejaillit forcément dans ma manière d’être et de penser l’évangélisation. Ce que j’appelle facilement la « Bonne Nouvellisation ». J’ai retrouvé dans un texte de Benoit XVI adressé aux Églises d’Afrique. Africae munus que la mission de l’Église est d’annoncer la bonne nouvelle de la filiation divine de tout être humain, ce qui est vrai sous tous les cieux, dans tous les coins de la terre. En rentrant en France en 2016, j’ai pris conscience que la France était devenue un monde sans Dieu, que Dieu avait été progressivement écarté de nos préoccupations au moins sociales, publiques etc… Cela fait que beaucoup sont désorientés. Je crois franchement que notre vieille Europe est redevenue un vrai pays de première évangélisation. Il nous revient entre autres de redonner le sens de Dieu et le redonner au sens chrétien à travers ce regard porté par Dieu sur le monde : un regard aimant, un regard de Père qui aime ses enfants, qui veut « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés », c’est-à-dire l’ensemble de l’humanité. Nous sommes tous ensemble au service de cette bonne nouvelle ; par le baptême, nous recevons cette responsabilité de témoigner de la filiation divine en vivant la fraternité non pas comme un projet à construire mais comme une base sur laquelle on s’appuie et un a priori fraternel. Tout homme ou femme est mon frère ou ma sœur parce que le Christ me les donne comme tel et me donne à eux comme tel et donc à partir de là : qu’est-ce que ça veut dire de vivre cette bonne nouvelle de la fraternité dans un monde où Dieu n’a plus sa place ou dans lequel les religions cohabitent en s’ignorant bien souvent. La voilà la mission universelle.  Elle est vraiment universelle, ici comme ailleurs.

Quand on parlait de Dieu avec les grands prêtres de la religion traditionnelle, on parlait de la même réalité avec une approche différente, on n’avait pas les mêmes points de vue. Mais de toute évidence quand on parlait de Dieu, on parlait de la même réalité de qui nous venons et vers laquelle nous convergeons. Dans leur tradition, ils appelaient déjà Dieu Père, mais n’avaient pas tiré la conclusion qu’on était héritiers de Dieu. C’est vraiment le Christ qui nous permet cette audace ; je dis souvent que le Christ est venu pour apprendre de nous ce que veut dire être un homme, pour pouvoir dans notre langue, dans notre condition, nous dire ce que veut dire être fils de Dieu. C’est cela me semble-t-il le rôle de l’Église, servir cette rencontre et comme le dit bien le cardinal Aveline « servir la marche de Dieu vers les peuples du Monde ». La rencontre d’un père qui va à la recherche de ses enfants et d’un frère qui va à la recherche de ses frères pour les rassembler.

quand on accueille des prêtres, il faut absolument que les communautés qui les accueillent connaissent l’endroit d’où ils viennent

Quelle est la place de la mission universelle dans votre ministère d’évêque ?

Si on l’entend comme ouverture à l’étranger, je pense à l’accompagnement des prêtres qui viennent de l’extérieur, et au lien avec leurs communautés d’origine. Dans le diocèse il y a six prêtres qui viennent d’Afrique : quand on accueille des prêtres, il faut absolument que les communautés qui les accueillent connaissent l’endroit d’où ils viennent. Je suis en train de relancer et de préciser un projet qu’avait déjà mon prédécesseur, d’un voyage au Cameroun où des chrétiens pourraient, avec leurs nouveaux pasteurs camerounais, aller à la rencontre des communautés camerounaises dont ils sont originaires, pour permettre une vraie connaissance mutuelle des missionnaires qui viennent chez nous.  Les missionnaires ne sont pas des pions qu’on envoie pour boucher les trous mais des frères qu’on envoie à la rencontre des frères. Il faut qu’on fasse connaissance et qu’on accueille ceux qui viennent d’ailleurs pour porter ensemble la mission universelle. Pour moi la mission universelle est aussi bien à Coutances qu’au Cameroun et partout. La mission qu’il faut vivre de manière universelle et non pas chacun chez soi. Cela permet d’édifier, au sens étymologique du terme, de construire la maison, d’édifier le Corps du Christ. Baptisés, nous sommes membre les uns des autres. Il n’y a qu’un Christ dont nous sommes les membres et qui est la tête du corps. Dans toutes mes interventions je répète que par le baptême nous sommes devenus le Christ présent dans le monde aujourd’hui. Ce n’est pas symbolique, c’est vrai. C’est-à-dire que c’est par nous que le Christ est présent aujourd’hui. Dieu agit aussi au-delà, l’Esprit Saint nous précède mais si le Christ a rassemblé dans son Corps qui est l’Église un certain nombre de gens qui ont accepté de vivre cette mission et demandé à être intégrés par le baptême au Corps du Christ, nous avons la lourde responsabilité d’en témoigner. Si nous ne le faisons pas, non seulement nous ne sommes pas crédibles mais nous sommes occasion de scandale pour ceux qui ne connaissent pas Dieu, et nous devenons illisibles. Le message du Christ au lieu d’être porté et servi en nourriture à nos contemporains risque alors de devenir occasion de chute.

C’est un vrai choc pour les prêtres venant de l’extérieur de voir l’état dans lequel est l’Église ici. Parce que ce sont des missionnaires de chez nous qui sont allés leur annoncer l’Évangile, ils s’attendent à trouver une Église florissante et ils trouvent une Église pauvre qui n’a plus de personnel, vieillissante, avec moins de moyens financiers, des scandales à répétition etc… Une Église qui est humiliée par elle-même. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est probablement un temps de grâce qui nous est donné car on rejoint l’humilité vraie, si nécessaire à l’annonce de l’Evangile. Nous sommes contraints à l’humilité quand nous n’avons pas réussi à le devenir nous-mêmes. Si on a pu, autrefois, prétendre regarder les gens de haut, maintenant on ne peut plus et c’est une bonne chose. Dieu nous donne l’occasion, si on est réaliste et honnête, de nous remettre à notre juste place. Parce que c’est dans cette humilité que nous prenons conscience que c’est l’œuvre de l’Esprit que nous servons et non notre œuvre personnelle. C’est l’évangile de la miséricorde. C’est au cœur de sa trahison que Pierre prend conscience que Jésus le regarde et l’aime. Il comprend alors que ce n’est pas sur ses forces qu’il doit s’appuyer mais sur la force qui vient d’en haut. Redevenus humbles grâce en quelque sorte à ces humiliations, peut-être aurons-nous alors la chance d’annoncer l’Évangile en vérité !

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Cette interview est aussi à retrouver dans le dernier numéro de Courrier Mission et migrations « La mission universelle ».

Courrier mission et migrations - la mission universelle

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