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Cameroun : le « problème anglophone » vu par les évêques

Alors que l’Extrême-Nord du pays vit dans la crainte permanente de nouvelles exactions des islamistes de Boko Haram, les régions anglophones du Cameroun sont depuis plusieurs semaines en proie à des troubles graves : grèves des avocats, des enseignants et des étudiants, manifestations, actes de violence, répression, des morts, des blessés, des bâtiments publics détruits… Devant cette situation, les évêques de la province ecclésiastique de Bamenda, qui coïncide avec les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest, ont adressé un mémorandum au chef de l’État Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 (il est le deuxième président du Cameroun indépendant depuis 1960).

Evêques de la Province ecclésiale de Bamenda

Evêques de la Province ecclésiale de Bamenda

Les évêques commencent par brosser un tableau du problème en retraçant l’histoire des régions concernées. Le Cameroun a connu une triple administration coloniale : protectorat allemand de 1884 à 1916, mandat puis tutelle franco-britannique jusqu’en 1960-61. Les 4/5e du territoire national formaient le Cameroun français et le Cameroun britannique se composait du Kamerun nord et du Kamerun sud, intégrés à la colonie britannique du Nigeria. La France et la Grande-Bretagne y ont mis en place des institutions politiques, juridiques, et des systèmes éducatifs différents. En 1960 le Cameroun sous administration française accède à l’indépendance, et en 1961 le Kamerun sud se sépare du Nigeria. Le 1er octobre 1961 a lieu la Réunification entre ces deux parties du Cameroun, qui devenait ainsi une république fédérale. Diverses modifications de la Constitution aboutissent cependant au fait que les Camerounais anglophones se sentent absorbés par les francophones.

Ce rappel historique amène les évêques à affirmer qu’il y a bien un problème anglophone au Cameroun, causé par l’échec des gouvernements à respecter la Constitution et ses modifications relatives au Cameroun du sud, aboutissant à « l’érosion délibérée et systématique de l’identité culturelle du Cameroun occidental ». La mauvaise gestion du problème par les autorités a conduit à la création de groupes sécessionnistes.

Les évêques passent ensuite en revue quelques-unes des causes évoquées du mécontentement des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun :

  • La sous-représentation des anglophones dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles, dans les ministères, dans le gouvernement
  • L’anglais (pourtant langue officielle au même titre que le français) n’est pas toujours employé dans les examens d’État, des documents publics, ou par les fonctionnaires qui se rendent dans les régions anglophones
  • Une majorité de magistrats, personnel enseignant ou sanitaire, francophones dans ces régions
  • La négligence des infrastructures de l’Ouest anglophone
  • L’incompréhension du sous-système éducatif anglophone et du système juridique par les fonctionnaires francophones
  • La marginalisation des anglophones dans l’admission à certaines grandes écoles
Carte du Cameroun

Carte du Cameroun

Selon l’analyse des évêques, ce sont des signes d’une lente asphyxie de la culture anglophone, qui va bien au-delà de l’utilisation de la langue anglaise. Il s’agit d’« un noyau de valeurs, croyances, coutumes et modes de relation à l’autre, hérité des Britanniques qui ont gouverné cette région de 1916 à 1961 ». Les Camerounais anglophones demandent que leur culture soit préservée, même s’ils représentent une minorité dans l’ensemble national, et que la Constitution reconnaisse leurs droits comme ceux de toute autre minorité.

Les évêques affirment ensuite qu’il ne s’agit pas pour eux de vouloir se substituer au gouvernement, mais qu’en tant que pasteurs d’un peuple qui souffre, il est de leur devoir de proposer des lignes d’actions. La première est l’honnêteté face au problème anglophone, qui consiste d’abord tout simplement à ne pas le nier. Il faudrait ensuite mettre immédiatement en œuvre la Constitution de 1996, avec toutes les institutions qu’elle a créées, et appliquer les résolutions de la conférence des anglophones de 1993 et 1994[i].  Une autre ligne d’action préconisée est l’instauration d’un dialogue avec les avocats et les enseignants, avec l’établissement d’une feuille de route au sujet de leurs revendications.

Les droits humains n’ont pas été respectés dans ce conflit, à commencer par celui d’exprimer son opinion. Rappelant la doctrine sociale de l’Église, les évêques invitent les forces de l’ordre au respect des droits des citoyens et le gouvernement à enquêter sur les abus commis : « Une société juste ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité transcendante de la personne humaine. (…) Il faut que tous les programmes sociaux, scientifiques et culturels, soient guidés par la conscience de la primauté de chaque être humain. (…) C’est la raison pour laquelle ni sa vie, ni le développement de sa pensée, ni ses biens, ni ceux qui partagent son histoire personnelle et familiale, ne peuvent être soumis à d’injustes restrictions dans l’exercice de ses droits et de sa liberté »[ii].

Pour que le pays puisse demeurer dans la paix, il faut que la justice soit appliquée, il faut que ceux qui se sentent victimes d’une injustice soient écoutés, il faut que l’on examine objectivement les causes du malaise dans les régions anglophones. C’est le sens de ce mémorandum des cinq évêques de la Province ecclésiastique de Bamenda, qui terminent en confiant le pays à Marie, reine de la paix et patronne du Cameroun.

 Texte du Mémorandum (en anglais)

 Annie Josse
Janvier 2017

 

[i] Ce document parle du retour au fédéralisme et d’une alternance de francophone et anglophone au pouvoir.
[ii] Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 132- 133
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