Mgr Portella : Je lance un cri !
Le Pool ? Un département du sud du Congo-Brazzaville, qui comptait 236 000 habitants en 2007 pour une superficie légèrement supérieure à celle de la Belgique. Le département du Pool entoure Brazzaville, dont il a longtemps été le grenier. Il y a 20 ans, l’ancien président de la République Pascal Lissouba déclarait que « le Pool est la locomotive du Congo ». Cette locomotive voit aujourd’hui son trafic ferroviaire interrompu, et connait donc une pénurie de denrées alimentaires et par contrecoup l’inflation du coût de ces produits. Les écoles ne fonctionnent plus, les infrastructures sanitaires sont dans un état déplorable, un tiers des centres de santé fermés ou détruits.
Le Pool est en crise. Les guerres civiles successives (de 1993 à 2003) l’ont particulièrement touché, et depuis un an il est secoué par des combats entre les forces de sécurité et les partisans d’un ancien chef rebelle, Frédéric Bintsamou alias le Pasteur Ntumi. À l’origine de cette nouvelle flambée de violence, la réélection contestée du président Denis Sassou N’Guesso, en avril 2016. Le pouvoir accuse Bintsamou d’avoir repris les armes et de faire régner la terreur, alors que des ONG de défense des droits de l’homme accusent Brazzaville d’avoir déployé des moyens militaires totalement disproportionnés pour mater la province. L’Onu quant à elle, s’inquiète pour les personnes déplacées par ces violences.
Il y a un an, Monseigneur Louis Portella Mbuyu, évêque de Kinkala, demandait l’arrêt des bombardements. Aujourd’hui, il « lance un cri » en faveur de la paix dans le Pool, en faveur d’« une population [qui est] ballottée, malmenée, déstabilisée, humiliée, déshonorée », pour que le Pool ne soit pas oublié.
Annie Josse
Juin 2017
« Je lance un cri ! »
Message d’exhortation de Monseigneur Louis PORTELLA MBUYU, Évêque du diocèse de Kinkala, aux Congolais pour la paix dans le Département du Pool
mardi 30 mai 2017
« Crie, hurle, Fils d’homme, l’épée sévit parmi mon peuple » (Ez 21, 17).
Depuis particulièrement le mois de septembre 2016, la partie sud du département du Pool est le théâtre d’une véritable tragédie humanitaire.
Voilà une population qui est ballottée, malmenée, déstabilisée, humiliée, déshonorée, ne sachant « à quel saint se vouer ».
Beaucoup ont été chassés de leurs villages respectifs, pour se retrouver dans des lieux d’accueil, souvent de fortune, dans l’impossibilité de subvenir à leurs propres besoins et donc réduits à la mendicité (interdiction d’aller aux plantations et difficulté de vendre les produits de leur travail antérieur), avec des cas de malnutrition déjà déclarés. Et pendant ce temps, les villages délaissés sont « proprement » pillés.
Beaucoup de jeunes sont souvent appréhendés par les forces de l’ordre, parce que facilement assimilés à des ninjas, certains sont simplement éliminés, d’autres croupissent dans des prisons, avec quelque chance de libération moyennant une rançon.
Beaucoup de militaires, au grand désespoir de leurs familles, sont en train de tomber sous les attaques-surprises des ninjas-nsiloulou, qui donnent l’impression de disposer d’un arsenal étonnant.
Bref, on pourrait continuer à présenter d’autres aspects de ce sombre tableau. Mais, là n’est pas l’urgence.
Oui, je lance un cri !
Ce que vivent, en effet, les populations de la partie sud du département du Pool est difficile à supporter : c’est cruel ! C’est inhumain ! C’est intolérable !
Au nom de Dieu, dont nous tenons tous « la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28), qui nous aime tous sans exception, qui est « riche en miséricorde » (Ep 2, 4), qui « dit la paix pour son peuple et ses fidèles » (Ps 85, 9) ;
Au nom de son Fils Jésus qui « a donné sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 28), qui nous a laissé et donné sa paix (Jn 14, 27) ;
Au nom de nos ancêtres qui, dans toutes les situations de tension ou de dissension, ont toujours su les surmonter grâce à une démarche communautaire de « l’otwere » ou du « mbongui »
En vertu de notre coeur humain qui, normalement ne peut rester insensible à la souffrance humaine ;
En vertu de la fraternité qui nous lie tous, fils et filles du Congo, « du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest » et qui nous fait proclamer notre devise : « Unité, Travail, Progrès » ;
Je lance un cri à l’adresse de nous tous :
Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, nous n’avons pas le droit de laisser se perpétrer un tel drame si inhumain.
Aucun humain digne de ce nom ne peut se permettre de se tenir à distance par rapport à une telle tragédie.
Je m’adresse donc :
À tous les croyants : mobilisons-nous dans la prière. Que partout, des supplications incessantes montent vers le Seigneur, pour que la paix revienne et que la réconciliation prévale.
À nos chers responsables politiques, administratifs et militaires à quelque niveau que ce soit, à nos chers parlementaires et ministres, de quelque origine régionale ou ethnique que ce soit : je vous prie et vous supplie de manifester plus fortement votre préoccupation solidaire, dans la recherche efficace d’une solution de paix définitive mettant fin à la souffrance d’une population.
À nos vénérés sages, vous êtes les porteurs de nos belles traditions de paix, de réconciliation, de consensus : nous comptons sur votre mobilisation générale, dans tous les départements, pour apporter votre précieuse et indispensable contribution dans la recherche d’une paix définitive.
À Monsieur Frédéric BINTSAMOU : certains vous considèrent comme un envoyé de Dieu ou de l’un de ses anges. Comme nous l’a dit le Pape François : « Tuer au nom de Dieu est satanique… La violence au nom de Dieu est un blasphème ». Il est difficile de comprendre que vous laissiez un peuple que vous défendez, être cruellement malmené par ses propres enfants et être exposé à des traitements inhumains. C’est pourquoi, si vraiment vous aimez ce peuple, j’en appelle à votre conscience humaine : il ne tient, en partie, qu’à vous pour que ce drame prenne fin. Pour l’amour de Dieu et de votre peuple, osez donc sortir ; osez expliquer, de manière transparente, la cause que vous défendez.
Aux Ninjas-nsiloulou : je prie pour que vous preniez conscience de la tragique impasse dans laquelle vous vous trouvez. Ce sont vos propres parents qui souffrent et qui meurent, en partie, à cause de la manière dont vous les traitez. Quelle est donc la cause exacte pour laquelle vous combattez ? Et vos propres vies, que deviennent-elles, dans un tel cycle interminable de violences et de cruautés ? Non ! Sortez et tournez la page en cherchant à reprendre une vie normale où vous pouvez vous rendre utiles aux autres.
Quant à vous, mamans, papas, grands-parents, jeunes, qui vous trouvez profondément meurtris par cette situation, le message, le voici : pas de désespoir, pas de haine, pas de rancoeur, mais l’amour, le pardon. En effet, le mal n’est jamais vaincu par le mal. Au contraire, comme le dit l’Apôtre Paul, « sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21).
Que cette conviction soit forte en vous : c’est Dieu qui a le dernier mot de notre histoire. Gardons donc ferme notre espérance en notre Dieu, source de la paix ; gardons inébranlable notre assurance d’être capables de relever ce département en souffrance.
Pour conclure, je relis avec vous cette exhortation de l’Apôtre Paul :
« Au reste frères, tout ce qu’il y a de vrai, tout ce qui est noble, juste, pur, digne d’être aimé, d’être honoré, ce qui s’appelle vertu, ce qui mérite l’éloge, tout cela, portez-le à votre actif (…). Et le Dieu de la paix sera avec vous » (Ph 4, 8-9).
Donné à Kinkala, le 25 mai 2017 En la solennité de l’Ascension du Seigneur
† Mgr Louis PORTELLA MBUYU
Évêque de Kinkala