Nord du Cameroun : une étape nouvelle dans la lutte contre Boko Haram !

L’ONG International Crisis Group (ICG) vient de publier un rapport sur l’extrême-nord du Cameroun, sous la menace du groupe Boko Haram depuis des années. On trouvera ici un résumé de ce rapport subtil qui conseille à l’Etat camerounais de manier le bâton et la carotte : réintégrer les membres de Boko Haram qui n’ont pas commis des crimes de sang, contrôler et désarmer les milices privées qui les ont combattus, de peur qu’elles ne versent dans la criminalité, redonner confiance aux populations en assurant le bon fonctionnement d’un Etat de droit, etc…

Boko Haram - Cameroun

Des soldats de Boko Haram

Résumé

Qu’y a-t-il de nouveau ? Alors que le conflit entre les forces de sécurité camerounaises et Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun, deux enjeux sont essentiels pour une paix durable : le devenir des anciens membres, y compris combattants, du mouvement djihadiste, et celui des comités de vigilance (milices établies par la population).

En quoi est-ce significatif ? Une politique adéquate à l’égard des anciens membres de Boko Haram pourrait pousser les combattants camerounais encore actifs à se rendre. De leur côté, certains membres des comités de vigilance pourraient se tourner vers des activités criminelles après la fin du conflit s’ils ne sont pas encadrés.

Comment agir ? Le gouvernement camerounais devrait poursuivre en justice les militants les plus dangereux et préparer la réinsertion dans leurs communautés des anciens membres de Boko Haram considérés comme un moindre risque. Il devrait aussi dissoudre certains comités de vigilance et en maintenir d’autres comme auxiliaires des forces de police.

 Synthèse

Alors que le conflit contre Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun, le mouvement constitue toujours une menace et la situation humanitaire reste précaire. Pour construire une paix durable, le gouvernement camerounais doit se saisir de deux enjeux sécuritaires majeurs : le devenir des anciens membres, y compris combattants, du mouvement djihadiste, et celui des comités de vigilance. Pour les anciens membres de Boko Haram, le gouvernement devrait distinguer les militants dangereux, pour lesquels une procédure judiciaire formelle et probablement une incarcération s’imposent, d’autres individus pour lesquels des travaux communautaires et des confessions publiques semblent plus appropriés, et soutenir les communautés prêtes à réintégrer ces derniers. Concernant les comités de vigilance, il devrait mieux assister ceux qui sont encore nécessaires pour lutter contre Boko Haram, intégrer certains au sein de la police municipale et démobiliser les autres. Les membres des comités accusés d’abus devront faire l’objet d’enquêtes et les décisions de justice devront être rendues publiques.

Des milliers de Camerounais ont rejoint Boko Haram entre 2012 et 2016, parfois par conviction idéologique, souvent par opportunisme ou sous la contrainte. Certains ont été tués dans des combats, d’autres arrêtés par les forces de sécurité et un nombre inconnu, sans doute des centaines ou un millier, font encore partie du mouvement djihadiste. Début 2017, quelques-uns ont essayé de se rendre, mais ont été rejetés par leurs communautés ou abattus par les forces de sécurité. Depuis octobre 2017, le gouvernement se montre plus ouvert sur la question de leur retour, mais n’a pas encore défini de politique claire. A ce jour, près de 200 membres du mouvement se sont rendus. Une prise en charge cohérente de ces individus pourrait pousser d’autres membres à se rendre et fragiliser davantage Boko Haram.

L’absence de politique ou une politique inadéquate risquent en revanche de provoquer des frustrations parmi les combattants encore en activité et de les conforter dans l’idée que seul le mouvement est en mesure d’assurer leur protection.

Depuis 2014, les comités de vigilance, qui comptent à ce jour environ 14 000 membres à l’Extrême-Nord, jouent un rôle essentiel dans la lutte contre Boko Haram. Ils renseignent les forces de défense et servent d’éclaireurs ou de guides. Ils affrontent parfois directement le mouvement djihadiste et protègent les communautés, notamment contre les attentats-suicides. Toutefois, les autorités publiques les soutiennent peu. Certains comités voient leurs membres se décourager et les quitter. Les comités de vigilance suscitent aussi des critiques. Certains membres officiaient auparavant comme voleurs de bétail, contrebandiers ou coupeurs de route. Plusieurs ont été arrêtés pour collusion avec Boko Haram, tandis que d’autres sont suspectés de violations de droits humains. A mesure que le conflit baisse en intensité, une réflexion sur leur avenir se fait de plus en plus pressante. Sans cela, le risque est élevé que des comités continuent de se déliter hors de tout contrôle, voire que certains membres retournent à leurs activités criminelles passées.

Le gouvernement camerounais devrait élaborer une politique visant à susciter davantage de redditions de membres camerounais de Boko Haram et préparer la démobilisation des comités de vigilance. Pour les premiers, il devrait :

  • Annoncer publiquement que les membres de Boko Haram qui se rendent bénéficieront d’une forme de protection et auront accès à un procès équitable…
  • Elaborer un programme de soutien aux communautés dans lesquelles d’anciens membres de Boko Haram seront réintégrés, comprenant éventuellement un appui aux activités pastorales, agraires et commerciales dans les communautés d’accueil et des subventions aux petites entreprises qui emploient des jeunes ;
  • Affiner les procédures pour faire la distinction entre les membres combattants de Boko Haram, ceux qui prônent la violence et qui ont commis des atrocités, d’une part, d’autre part les membres non combattants, ceux qui ont renoncé à la violence…
  • Adopter une approche sur-mesure… Pour certains membres de Boko Haram, une procédure judiciaire formelle s’impose, voire, dans certains cas, une incarcération et un suivi rigoureux. Pour d’autres, des travaux communautaires, des confessions publiques, des cérémonies symboliques… semblent plus appropriés…
  • Amender la loi antiterroriste de 2014 et le Code pénal pour donner aux juges et aux communautés un degré de flexibilité dans le traitement des anciens membres de Boko Haram.

Le gouvernement camerounais devrait par ailleurs préparer l’avenir des comités de vigilance après Boko Haram, et pour ce faire :

  • S’abstenir de créer de nouveaux comités de vigilance…
  • Dans les localités toujours exposées à Boko Haram, maintenir les comités de vigilance opérationnels …intégrer certains membres dans la police municipale ; proposer à leurs membres des formations…
  • Démobiliser les comités dans les zones où Boko Haram n’est plus une menace… organisant la réinsertion dans la vie civile des membres démobilisés…
  • Mener des enquêtes transparentes sur tous les membres des comités de vigilance accusés d’abus, de crimes, et rendre publiques les décisions de justice.

Le soutien international sera essentiel pour relever ces deux défis, étant donnés le manque d’expertise locale et le fait que les finances publiques sont sous tension, avec une élection présidentielle en octobre et la coupe d’Afrique des nations à organiser en janvier 2019. Les partenaires étrangers (en particulier les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon) devraient soutenir ces efforts…

Si les niveaux de violence à l’Extrême-Nord ont diminué, le gouvernement camerounais a encore beaucoup à faire pour trouver des réponses aux causes structurelles qui ont facilité l’implantation de Boko Haram : déficit de légitimité de l’Etat, pauvreté, sentiment de marginalisation de certaines communautés, fractures entre l’élite locale et les jeunes.

 

Nairobi/Bruxelles
14 août 2018

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