Cameroun : Pourquoi je n’ai plus peur ?
Au Cameroun, le père Jean de Dieu TAGNE, père piariste, fait entendre la voix de sa conscience devant les résultats des élections présidentielles du 7 octobre 2018 : « j’ai pris la décision de vaincre ma peur, d’assumer mon devoir de résistance contre l’injustice et de participer à la construction d’un meilleur vivre ensemble ».
Le père Jean de Dieu TAGNE, Sch. P., est membre de l’Ordre des Écoles Pies (Pères Piaristes). Né en pays Bamileke à l’Ouest du Cameroun 6 ans après la guerre d’indépendance, il a fait ses études dans les zones francophone et anglophone du pays. Il a été missionnaire en Guinée Équatoriale avant de se spécialiser en exégèse biblique à Rome et Jérusalem. Enseignant à l’Université Catholique d’Afrique Centrale et à l’École Théologique Saint Cyprien de Ngoya. (Cameroun). Après avoir servi dans la fondation des Écoles Pies en RDC, il est actuellement Supérieur des Écoles Pies en Autriche et délégué du Supérieur Général pour l’Institut Calasanz du Droit à l’Éducation. Il est le coordinateur général de l’association BLAS in Africa pour l’éducation pour tous.
Crise politique au Cameroun : Pourquoi je n’ai plus peur ?
Aujourd’hui, libre devant moi-même et mon Dieu, je veux faire entendre la voix de ma conscience : j’ai pris la décision de vaincre ma peur (…)
Vaincre la peur
La dictature fait régner la peur et la peur rend violent ! (…)
j’ai eu peur d’être insulté…
j’ai eu peur d’aller en prison ou en exil…
j’ai eu peur d’être tué…
Personne n’est épargné ! La main qui fait peur, qui insulte, enferme et tue les Camerounais pèse sur la tête de tous. Alors, je me dois d’exorciser ma peur, car tout peut arriver à tout moment, à n’importe qui, n’importe comment et n’importe où.
Maintenant, je n’ai plus peur !
Quand je lis l’histoire de l’Allemagne, ce qui me fait le plus mal n’est pas la méchanceté d’Hitler comme individu. Quand je lis l’histoire de l’Allemagne, ce qui me trouble le plus est le silence, l’indifférence, la peur et l’inaction de celles et ceux qui ne pensaient pas comme Hitler.
Résister face à l’injustice
Nous sommes en train de vivre des jours tendus, où une page importante de l’histoire de notre pays est en train de s’écrire sous nos yeux. La campagne électorale, l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 et le contentieux électoral public ont révélé un nouveau dynamisme du peuple camerounais.
Le verdict du Conseil Constitutionnel est-il recevable ?
Après avoir suivi les débats, beaucoup de zones d’ombres que j’aurai voulu voir clarifier pour mieux situer ma conscience persistent :
– Le Conseil Constitutionnel qui n’a prouvé ni son impartialité ni son indépendance (…)
– Le Conseil Constitutionnel n’a pas pris tout le temps qu’il fallait pour écouter et réécouter ceux qui avaient des raisons de se plaindre (…)
– Et que dire des 32 Procès Verbaux qui représenteraient 1.300.000 électeurs…
– La validation de larges scores en faveur du candidat Paul Biya dans les 3 régions du pays en conflit fait réfléchir : je pense au Nord Ouest, au Sud Ouest et à l’Extrême nord où des villages entiers sont vides …
– Pourquoi le silence complet sur les faux observateurs pris en flagrant délit d’usurpation d’une identification à l’ONG international Transparency International ?
Malgré les intimidations que connaissent celles et ceux qui s’interrogent sur le verdict de ce Conseil Constitutionnel, ma conscience n’arrive pas à prendre pour vraie et fiable, la décision d’un tribunal à la légitimité douteuse. Je n’ai pas le sentiment que la justice a été rendue.
Que dois-je faire face à cette situation ?
Je dis Non au hold-up électoral ! (…)
Le peuple s’est exprimé et a porté son choix sur M. Kamto d’après les chiffres révélés par le MRC. Le 8 octobre 2018 marque un tournant décisif de l’histoire du Cameroun (…)
La voix de ma conscience me demande de résister à l’injustice :
– Car, le devoir de résistance est une impérieuse nécessité quand les structures censées rendre justice produisent l’arbitraire et l’injustice. La célèbre phrase de Thomas Jefferson, très connue au Cameroun grâce au courageux député Wirba doit inspirer tous les Camerounais : « quand l’injustice devient loi, la résistance devient un devoir » Camerounais, nous avons le devoir de résister !
– Car, je ne veux pas être, par mon silence, complice du malheur du peuple opprimé. La dictature, le braquage et le viol ont ceci de commun qu’ils ont besoin du silence de la victime (…)
– Car la résistance est l’unique manière de faire lever le jour de l’alternance pacifique sur notre pays… Camerounais du monde entier : résistons !
Résistons, car la vraie prison que nous devons craindre est la prison de notre conscience.
Construire un meilleur vivre ensemble
Confiant qu’est proche le jour où notre résistance portera du fruit et que la souveraineté du choix du peuple sera respectée : J’associe ma voix à celle de nombreux Camerounais pour appeler de tous mes vœux à un dialogue national inclusif, facilité par des médiateurs internationaux acceptés par les grandes forces politiques et civiles exerçant au Cameroun. Ce dialogue national donnera la possibilité aux enfants de ce pays de s’écouter, de se parler et de poser ensemble les bases de la construction de la paix et de la prospérité pour tous. Ce sera l’occasion pour les Camerounais de réfléchir et de débattre librement sur les questions importantes comme : le nom de l’Etat, la forme de l’Etat, la nationalité, le bien commun, la révision constitutionnelle, le code et calendrier électoral consensuel, etc…
Je demande de tout faire pour que cesse immédiatement les situations de violences dans les régions anglophones et de l’Extrême nord. Ces situations de violences produisent de la souffrance, de la désolation et des morts qu’on aurait pu éviter. On ne construit rien avec la violence.
Je milite pour une commission vérité et réconciliation
J’appelle à la mise sur pied d’un large programme national d’éducation au développement durable, à la paix et au vivre ensemble.
Crise politique au Cameroun : Pourquoi je n’ai plus peur – Texte complet
Jean de Dieu TAGNE
4 novembre 2018