RD-Congo : 60 ans d’indépendance
À l’occasion de la fête nationale, réquisitoire sévère de l’archevêque de Kinshasa.
Même si quelques pays d’Afrique sub-saharienne, l’Éthiopie, le Libéria, le Ghana et la Guinée, étaient déjà des États souverains, c’est bien 1960 qui marque l’accès à l’indépendance de la majorité des pays africains. Cette année-là, quatorze territoires de l’Afrique française[1], le Congo belge, la Somalie et le Nigeria ouvraient la voie au reste du continent. C’est la fin de l’empire colonial français, et bientôt de l’empire belge.
60 ans plus tard, de nombreuses manifestations contre le racisme ont eu lieu aux USA après la mort de George Floyd, de même qu’en France et dans d’autres pays européens. Et dans leur sillage, des statues ou monuments liés à l’histoire coloniale ou à l’esclavage sont déboulonnées ou endommagées. En Afrique, si certains voient cela d’un regard positif, d’autres estiment que déboulonner une statue n’efface rien de ce qui a été vécu et subi, et que « détruire les éléments du passé empêche les générations futures d’avoir une bonne compréhension de ce qu’il s’est passé »[2]. Il ne s’agit pas nécessairement de faire tomber des statues, cela ne fait pas oublier les dommages, il s’agit plutôt d’expliquer, de contextualiser, d’arriver à faire la paix avec son histoire. Mais pour cela, encore faut-il la connaître. Ces monuments participent-ils d’une bonne connaissance de l’histoire ? C’est en tout cas ce que pensent Dominique Taffin, de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage : il ne faut pas « abolir le passé, mais s’y confronter », ou Dorcy Rugamba, dramaturge et acteur rwandais, qui estime qu’ « il ne faut pas déboulonner ces statues tant que l’histoire esclavagiste et coloniale ne sera pas correctement et largement enseignée en Europe comme en Afrique »[3].
Le 30 juin, jour anniversaire de l’indépendance de la RD-Congo, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, sans faire œuvre d’histoire, prononçait une homélie dans laquelle il revient sur le devoir de mémoire, mémoire du 30 juin 1960 et des années qui ont suivi, avant d’analyser la situation actuelle du pays. Son bilan est sévère lorsqu’il parle de l’indépendance elle-même et du sens qu’elle avait pour les Congolais de 1960, et tout autant lorsqu’il jette un « regard rapide sur les soixante ans qui viennent de se passer » : régimes autocratiques qui accèdent au pouvoir par la guerre, la fraude et la ruse, et qui ne se sentent pas redevables devant le peuple ; culture de l’impunité pour les grands. Le regard sur les 60 années écoulées aboutit à l’actualité, avec la question de l’indépendance de la CENI[4], de la Justice, de la Magistrature. Avant d’attirer l’attention sur la situation à l’est du pays et le risque toujours présent de balkanisation de la RDC, avec la présence d’armées étrangères sur son sol.
Que devons-nous faire ? demande Mgr Ambongo ? S’appuyant sur la parabole des talents – Mt 25, 14-30 – proclamée pendant la célébration, le cardinal insiste sur la responsabilité : celle du peuple pour « sortir le pays de la détresse », car tout montre que la classe politique n’exerce pas sa responsabilité, et que la coalition au pouvoir en RDC est plutôt une rivalité pour le pouvoir.
Revenant ensuite sur la CENI, il clarifie la position de l’Église : elle ne veut pas du président désigné pour la CENI, présenté comme le candidat des Églises, alors que les deux Églises majoritaires dans le pays, catholique et protestante, ne l’acceptent pas.
Pour conclure son homélie, Mgr Ambongo lance un appel au peuple et aux Églises, « à s’élever, à redresser le front pour faire barrage à ces velléités », à « se tenir en ordre de marche » car « On ne peut pas continuer, après 60 ans de l’indépendance du pays, à gouverner par défi, par mépris du peuple, par mépris de l’Église Catholique et de l’Église Protestante ».
Ceux qui ont en mémoire les interventions du cardinal Malula, du cardnal Etsou, du cardinal Monsengwo, reconnaîtront que Kinshasa garde un archevêque dans la droite ligne de ses prédécesseurs, ne mâchant pas ses mots et s’engageant dans la vie politique du pays. Engagement, on s’en doute, diversement apprécié par les uns et les autres…
Annie Josse
8 juillet 2020
[1] Cameroun, Sénégal, Togo, Madagascar, Bénin, Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Tchad, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Mali, Mauritanie. [2] Henry Bundjoko Banyata, directeur du nouveau Musée national de la RDC. [3] Le Monde Afrique Débats, 28-06-2020. [4] Commission Électorale Nationale Indépendante, créée en 2006, organe chargé d’organiser les élections et dont le président est choisi par les confessions religieuses.
Le clergé catholique de Kinshasa partagé la vision et le message du Cardinal.
Message de soutien des prêtres de Kinshasa au cardinal à la suite d’attaques après son homélie du 30 juin.