Soudan du Sud : un Etat encore et toujours dans les douleurs de l’enfantement

Secrétaire général de Justice et Paix France, Michel Roy analyse la situation au Soudan du Sud, pays dans lequel le pape François avait prévu de se rendre début juillet 2022.

Le 9 juillet 2011, les Soudanais du sud fêtaient leur indépendance. C’était une immense fête populaire sans grande sécurité, une fête où s’exprimait la liesse de tout un peuple heureux d’en avoir fini avec une guerre civile de « cent ans ». Onze ans plus tard, alors que le pape François, si ses problèmes de santé ne l’en avaient empêché en dernière minute, l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse allaient se rendre à Juba pour témoigner ensemble dans ce pays à majorité chrétienne de leur sollicitude et de leur engagement répété à oeuvrer à la paix, le pays est à feu et à sang. La paix n’a malheureusement duré que deux ans et les conflits inter-ethniques, alimentés par la soif de pouvoir et de possession et les intérêts de l’ancien pays-mère, le Soudan, n’ont fait que rebondir au fil des ans, empêchant toute initiative de paix basée sur la reconnaissance et la dignité de tous de se développer en plénitude.

Ce ne sont pourtant pas les initiatives qui ont manqué. L’une qui nous a tous marqués, et qui visait les dirigeants du pays, s’était déroulée au Vatican à Pâques 2019 : une retraite au terme de laquelle le pape François avait embrassé les pieds des dirigeants du Soudan du Sud, les suppliant de faire la paix.

Lors d’un message commun à Noël 2020 destiné aux dirigeants du Soudan du Sud, les trois responsables chrétiens catholique, anglican et presbytérien écrivaient : « En cette saison de Noël, nous nous souvenons que notre Seigneur Jésus-Christ est venu au monde parmi les plus petits – dans une étable poussiéreuse avec des animaux. Plus tard, il a appelé ceux qui souhaitent être grands dans son royaume à être les serviteurs de tous. »

Ils évoquaient leur future visite en disant : « Quand nous viendrons vous rendre visite, nous aspirons à témoigner d’une nation changée, gouvernée par des dirigeants … qui se tiennent par la main, unis … comme de simples citoyens pour devenir des Pères (et des Mères) de la Nation ». Ils disaient leur fidélité aux engagements de 2019 : « Nous restons attentifs dans la prière aux engagements pris au Vatican en avril 2019 – les vôtres pour amener votre pays à une mise en oeuvre harmonieuse de l’accord de paix, et les nôtres pour visiter le Soudan du Sud en temps voulu, alors que les choses reviennent à la normale. »

Malheureusement, les tensions augmentent à nouveau à l’approche de la fin de la période de paix transitoire du pays et des élections prévues en février 2023, risquant un retour au type d’atrocités généralisées qui ont tué plus de 380 000 personnes depuis 2011. La violence, les déplacements et la faim risquent d’augmenter au cours de l’année à venir.

La mission de maintien de la paix des Nations unies au Soudan du Sud (UNMISS) vient heureusement d’être renouvelée. Mais elle aura besoin d’un soutien bien plus important que prévu si elle veut réussir à équilibrer les demandes accrues pour soutenir la mise en oeuvre tardive de l’accord de paix de 2018 dans le pays avant les élections, telles que la rédaction d’une nouvelle constitution ou la formation d’une armée unifiée, avec le besoin plus immédiat de protéger les civils. Le monde ne doit pas non plus ignorer la crise humanitaire croissante, où un tiers de la population (12,4 millions au total) reste déplacé et où deux tiers ont besoin d’une aide humanitaire.

L’accord dit « revitalisé » de 2018 jette les bases d’une société unie, pacifique et prospère, fondée sur la justice, l’égalité, le respect des droits de l’homme et l’État de droit. Mais les retards continus dans la mise en oeuvre de l’accord ont des conséquences, comme en témoignent les récents incidents de défections militaires et les affrontements violents qui y ont été associés. Le gouvernement de transition qui doit le mettre en oeuvre ne joue finalement pas le jeu. La volonté politique manque et la pression internationale n’arrivera pas à résoudre ce problème fondamental qu’est la création d’un État de droit, où chacun soit respecté, ait voix au chapitre, soit entendu et promu.

Une petite lumière brille à l’horizon. Près de la frontière éthiopienne se trouve le village de la Paix, à Kuron, fondé par l’évêque émérite de Torit, Mgr Paride Taban. À 86 ans, il continue d’animer ce qui est devenu au fil des ans un signe d’espoir que la paix est possible entre les communautés, les Toposa, Jie et Murle pour cette région. Auparavant, elles se battaient pour capturer du bétail et enlever des enfants. Aujourd’hui, ils sont réunis par des initiatives communes gérées ensemble comme des écoles et un centre de santé et se réunissent dès qu’une tension apparaît afin de la régler avant qu’elle ne s’envenime. Kuron donne l’idée de ce que pourrait être le Soudan du Sud si les armées venaient à en disparaître.

La visite du pape François et des responsables religieux anglican et presbytérien est toujours attendue ardemment. Puisse-t-elle enfin avoir lieu et insuffler un autre esprit que celui de la violence comme solution à tous les problèmes.

Cet article est extrait de La Lettre de Justice & Paix - n°281 Juillet-Août 2022, et reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur.

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