République centrafricaine : Cédric œuvre à la réconciliation entre communautés

Cédric Ouanekponé, médecin centrafricain, prix mondial de l’humanisme de la jeunesse en 2019, qui travaille à recréer des liens entre communautés et sensibiliser les populations à l’importance de la réconciliation, nous donne des nouvelles des projets qu’il mène, avec d’autres, dans la paroisse Notre Dame de Fatima, à Bangui, en République Centrafricaine.

Équipes médicales mobiles à Mongo

1- Nous nous étions rencontrés, en 2021, lors de l’université d’été du SNMM, et vous nous aviez présenté les actions menées au sein de la paroisse de Notre Dame de Fatima, à Bangui,comment ont-elles évolué ?

Le projet a bien avancé. Nous avons créé l’association Notre Dame de Fatima pour le développement, association de la communauté chrétienne dont le conseil d’administration est présidé par un laïc et dont le curé de la paroisse est membre de droit. L’objectif de l’association est de professionnaliser et de pérenniser les actions menées.

Le Centre des martyrs, premier volet de nos actions, concentre sept activités : l’accompagnement psychologique, la bibliothèque, la robotique, la cinématographie, la photographie, la culture et le centre de couture pour les jeunes mamans vivant seules avec leurs enfants. Le volet santé a également beaucoup évolué. A côté de la pharmacie opérationnelle depuis 2020, un laboratoire d’analyses médicales a ouvert en septembre dernier et les plans pour une maternité et un service d’urgence sont déjà prêts.

2- Qui est le personnel médical qui travaille avec vous ?

Le personnel médical est majoritairement du personnel local bien formé (c’est toute la force du projet !) mais nous bénéficions aussi du soutien d’amis en France, Espagne, Italie. L’aide reçue revêt différentes formes : donner de la visibilité à notre projet via des sites internet, don de matériels… Par exemple, nous venons de recevoir du matériel biomédical, acheté grâce à une collecte, que nous n’arrivons pas à trouver sur place.
Notre objectif reste l’accès aux soins de qualité pour tous. Nous avons aussi organisé une clinique mobile qui se déplace dans des lieux coupés de tout accès aux soins. Une équipe d’une quinzaine de médecins et d’une dizaine d’infirmiers et de techniciens réfléchissent pour faire avancer les choses.
La porte reste ouverte aux personnes qui voudraient venir nous aider.

  1. Est-ce qu’il vous arrive d’avoir des moments de découragement devant l’ampleur de la tâche à accomplir ? Qu’est-ce qui permet d’y faire face ?

Bien sûr qu’il y a des moments de découragement mais, fort heureusement, ils ne durent pas car nous revenons de loin ! Les amis qui portent ce projet se soutiennent mutuellement. Quand le projet « patine », il y a toujours quelqu’un pour apporter une petite lumière, qui reste positif permettant aux autres de se ressourcer. Tout ce que nous faisons, nous le faisons d’abord grâce à notre foi donc les moments de prière pour le projet ou les moments de retraite nous permettent aussi de faire face au découragement. Travailler ensemble est primordial et une vaccination contre le découragement !
Personnellement, je fais beaucoup de temps de ressourcement chez les Carmes, au moins 2 ou 3 jours tous les 3 mois. J’aime beaucoup l’adoration contemplative qui me permet de recharger mes batteries.

  1. De combien de personnes est constituée l’équipe avec laquelle vous travaillez sur place ?

Cela représente une vingtaine de personnes qui travaillent activement sur le projet. Nous bénéficions également de l’aide d’autres personnes comme par exemple, d’architectes membres de la paroisse qui nous aident à penser nos projets. En fonction des compétences dont nous avons besoin nous lançons des appels.
Tous nous travaillons bénévolement et nous voudrions pouvoir salarier une ou deux personnes pour s’occuper des aspects administratifs et organisationnels des projets dans un futur proche vue la dimension de plus en plus importante que prend le projet.

  1. En 2019, vous avez reçu le prix mondial de l’humanisme de la jeunesse, en Macédoine, est-ce que ce prix vous a ouvert des portes ?

Ce prix a donné de la crédibilité au projet mais aussi de la visibilité. C’est très important pour la République Centrafricaine, il sert de caution aux actions menées. Le prix en lui-même n’était que symbolique mais il revêt beaucoup d’avantages en termes de capitalisation.

  1. En 2021, vous nous aviez présenté des films réalisés par des jeunes. D’autres films ont-ils été réalisés depuis ?

Oui, le projet de cinématographie au service de la paix continue. La troisième édition du « Festipaix de Fatima » s’est tenue du 16 au 21 septembre, sur le thème « la paix et l’environnement » car pour sauvegarder la paix, il faut protéger l’environnement ! Des jeunes de toutes confessions et toutes les parties du pays viennent présenter leurs films. Cette édition était parrainée par Mgr Jesús Ruiz Molina, évêque de Mbaïki, ville qui se trouve dans une zone forestière surexploitée. Une dizaine de jeunes ont présenté des films passionnants qui permettent de penser le pays différemment et d’œuvrer pour la paix. Par exemple, des jeunes ont réalisé un documentaire mettant en valeur les initiatives locales de protection de l’environnement et, pour ce faire, ont sillonné plusieurs préfectures.

Maria Biedrawa, membre de Église et Paix, réseau œcuménique européen, et du Mouvement international de la réconciliation (MIR) fait une parenthèse.
Je voudrais parler du film réalisé à Dékoa, ville située à 250 km au nord de Bangui, dans laquelle les missionnaires comboniens ont une paroisse ce qui m’a permis de m’y rendre seulement 6 semaines après la libération de la localité qui a été occupée, pendant 8 ans, par des milices, des rebelles, des militaires et des bandits en tout genre.
Après une première écoute, j’ai décidé d’y retourner, 6 mois plus tard, avec les personnes du centre d’écoute et les cinématographes. C’était incroyable ! Nous avions juste prévu un temps d’écoute des personnes traumatisées, sans discrimination d’ethnie ou de religion : le premier jour, elles étaient 120 ; le dernier jour, elles étaient 170 !
Parallèlement, une équipe de cinéastes est venue pour permettre aux personnes de raconter la vie de cette localité. Une cinquantaine de personnes ont écrit un scénario très réaliste avec une réflexion autour de la guérison de la mémoire, de justice et pardon et de comment s’articulent les deux. Elles sont les acteurs du film tourné en 5 jours sur les lieux où les évènements se sont déroulés. Des chefs de quartier ont prêté leur cours pour filmer une réunion des sages du village. Le dernier jour, une marche interreligieuse a été organisée parce qu’une femme avait avoué avoir encore peur d’aller dans le quartier arabe ce qui lui compliquait la vie parce qu’on y vend des produits introuvables ailleurs. La marche a sillonné les rues de tous les quartiers de la ville avec à sa tête les responsables administratifs et religieux. La marche s’est terminée par le visionnage du film qui a été projeté 4 fois pour 200 spectateurs à chaque fois.
Ce film a été projeté dans des villages reculés en brousse parce qu’il a été tourné non seulement en sango mais aussi dans la langue locale. Il a permis des échanges, de redonner l’espoir pour l’avenir. Un anti-balaka, ayant assisté à sa projection, a pris conscience de ce qu’il avait fait, des conséquences pour les autres et, le lendemain, est allé rendre son arme à la police.
Ce film a circulé jusqu’à Alindao, situé à plus de 200 km, sans que nous sachions comment il y est arrivé. Peu importe ! C’est un outil pour ces populations qui ont tellement souffert de libérer la parole. Commencer un travail de mémoire est précieux. C’est réfléchir et faire réfléchir et mettre les bases pour construire l’avenir.

  1. Comment fonctionne la cellule d’écoute du centre des martyrs ?

Tous les samedis matin, une équipe pluridisciplinaire reçoit les personnes pour une première écoute. Puis, si nécessaire, donne des rendez-vous personnels. Une autre dimension est venue s’ajouter à cette écoute c’est d’aller vers les personnes dans les quartiers, vers les familles pour une écoute ciblée, une écoute familiale.

  1. De quels autres aspects de ce projet, voudriez-vous nous parler ?

La formation en couture a donné beaucoup d’espoir et beaucoup d’autonomie aux jeunes femmes formées. Un volet alphabétisation est en train de se mettre en place en plus de l’accompagnement humain et spirituel proposé par d’autres femmes ou des religieuses. Lors de la rentrée diocésaine qui se fait par rotation dans les trois doyennés de Bangui et qui, cette année, s’est tenue à Notre Dame de Fatima, elles avaient cousu des sacs des pèlerins pour tous les présents ce qui a généré des ressources pour leur permettre d’avancer dans leurs projets.
Nous sommes en train de voir comment leur octroyer des microcrédits pour leur permettre de quitter l’enceinte de la paroisse et de faire face à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.
Nous avons aussi lancé un atelier de robotique pour les enfants. Cela peut sembler provocateur dans un pays où il existe autant de besoins mais cela permet de recréer un imaginaire perdu. Ce qui nous a conduit sur cette voix c’est, pendant une messe, la réponse d’un enfant à qui le curé a demandé ce qu’il voulait faire et qui a répondu, je veux être un « Com-zone » c’est-à-dire un chef antibalaka ou seleka. Comment faire pour ne pas récréer de nouveaux chefs rebelles demain ? En redonnant aux enfants un espace d’imagination ! Les jeunes ont pu participer à une compétition internationale nommée First Global Challenge qui s’est tenue à Singapour.
Maintenant leur projet est de transformer les nombreuses poubelles de Bangui en électricité. L’ambassade de France a accepté de soutenir un camp de robotique pour élèves du lycée scientifique que nous allons organiser à Notre Dame de Fatima pour susciter une émulation et changer leur façon d’envisager l’avenir.

Je voudrais également revenir sur notre projet de clinique mobile, lancé en mars dernier. L’évêque de Mbaïki, diocèse voisin de celui de Bangui, lors de ses visites pastorales, s’est vu présenter des bassines d’eau à bénir pour laver les malades et les guérir ! Leur ayant conseillé d’aller voir un médecin, il s’est lui-même demander ensuite: mais quel médecin ? D’où le projet d’une clinique mobile pour atteindre les populations peules musulmanes abandonnées dans un camp de déplacés à Boda; en trois jours, nous avons pu examiner plus de 800 personnes.
Trois mois plus tard, nous sommes allés prodiguer des soins aux populations pygmées, minorité n’ayant pas accès aux soins médicaux à Mongoumba.
L’équipe est constituée de 15 médecins formés avec le soutien de la paroisse et qui maintenant viennent soutenir le projet bénévolement. Ils sont aussi allés voir les pharmaciens pour leur demander des médicaments dont la date de péremption était proche pour mener à bien les campagnes organisées avec la clinique mobile.

Maria Biedrawa rajoute que tout cela est une diaconie de paix qui permet à des hommes et des femmes de se mettre debout. Ceux qui sont aidés et ceux qui aident se mettent debout et ensuite pourront aider d’autres entités de la société à se mettre debout. La gloire de Dieu c’est l’enfant, la femme, l’homme debout !

Propos recueillis par Maria Mesquita Castro (SNMM)
Paris, octobre 2023

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