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Sud Soudan : entre espoir et violence

Maria Biedrawa, membre de Église et Paix, un réseau œcuménique européen, ainsi que du Mouvement international de la réconciliation (MIR France), nous donne des nouvelles du Sud Soudan, un pays en proie à la guerre civile.

Distribution de Caritas Mongo (Tchad) aux réfugiés soudanais du camp de Metche

1) Quand êtes-vous allée au Soudan pour la dernière fois ? Quelles ont-été vos impressions ?

Mon dernier séjour au Soudan remonte à novembre 2022 pendant lequel j’ai participé à une conférence internationale pour la paix organisée à Juba, la capitale du pays, par le MIR (Mouvement international de la réconciliation). Cela n’a pas été la même immersion qu’habituellement. Juba est une ville en pleine construction-reconstruction dans laquelle j’ai senti la vie qui reprend.

Ma visite précédente remontait à avant le COVID ; j’étais rentrée par le dernier avion en de Juba. Le Sud Soudan venait de vivre quelques mois de paix et les acteurs de paix, notamment de la commission épiscopale Justice et Paix, et leurs interlocuteurs à l’université, commençaient à dire que si la paix durait encore 3 ou 4 mois, les habitants allaient goûter aux dividendes de la paix et, si ce moment arrivait, un cap, un point de non-retour aurait été franchi dans le désir et la prise de conscience que la paix apporte aussi des bienfaits et pas seulement la guerre. Je pense que ce point a été franchi.

J’ai passé beaucoup de temps avec la commission Justice et Paix de Rumbek, à 400 km au nord de Juba. Situé dans le centre du pays, la région de Rumbek regroupe d’énormes troupeaux menés par les Dinkas. C’est un des fiefs du conflit entre les deux ethnies, les Dinkas et les Nuers. En 2014, lors d’une formation, j’ai vécu une rencontre très émouvante avec des jeunes adultes qui après une semaine de formation sur la gestion pacifique des conflits m’ont dit qu’ils ne savaient pas ce qu’est la paix, la justice parce qu’aucun d’eux ne les avaient jamais connues ; pas plus que leurs parents ou leurs grands-parents.Depuis 1955, les guerres se succèdent les unes aux autres avec seulement quelques pauses par-ci par-là. Je leur parlais un langage qu’ils ne pouvaient pas comprendre.

Ces jeunes adultes m’ont alors demandé de faire un écrit expliquant ce que sont la justice et la paix pour qu’ils puissent s’en faire une idée. Finalement, nous avons décidé d’écrire ensemble. Ce projet fût passionnant ! Nous avons déterminé les sujets ensemble. Le contenu est très important mais il faut aussi une pédagogie facile à transmettre, ne nécessitant aucun matériel, juste un bâton pour dessiner dans le sable s’il n’y a rien d’autre !

Nous avons rédigé un scripte de 120 pages incluant leurs exemples mais aussi ceux d’autres pays sub-sahariens. Une relecture de la pédagogie reste à faire. C’est un projet passionnant qui a entrainé une prise de conscience progressive et qui s’est aussi inscrit dans une problématique de l’Église locale, ce pourquoi il a pris autant de temps.

La mise en place par exemple d’une justice réparatrice est impérative

En 2011, suite au décès de Cesare Mazzolari, missionnaire Comboni italien et évêque de Rumbek, un administrateur diocésain local, de l’ethnie dinka, a été nommé. Sans doute a-t-il été séduit par le pouvoir et, ensemble avec quelques-uns du clergé, a espéré qu’un membre du clergé local et de sa zone d’influence serait nommé évêque mais le conflit ethnique est tel que cela aurait entrainé un massacre. En 2021, le Vatican décide donc de nommer un autre missionnaire Comboni, italien,  comme nouvel évêque, Christian Carlassare, qui habite au Sud Soudan depuis longtemps. Victime d’un attentat, il est resté un an absent pour soigner les blessures reçues aux jambes, avant de revenir dans son diocèse et de faire part publiquement de son pardon.

Lors de sa fuite, l’auteur de l’attentat a perdu son téléphone portable, les autorités locales ont donc pu remonter toute la chaîne de commandement dont certains prêtres faisaient partie et qui sont actuellement en prison.

Je n’ai jamais rencontré Mgr Carlassare mais lors de mon dernier séjour,  j’ai pu constater qu’une dynamique pastorale est revenue. C’est magnifique mais aussi un grand défi. J’imagine le désir de vengeance et la paralysie du diocèse qui peut suivre leur libération. La mise en place par exemple d’une justice réparatrice est impérative. Je ne sais pas comment le diocèse de Rumbek a cheminé sur ce point.

2) Le 11 octobre 2023, l’ONU a voté une résolution établissant d’urgence une mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan. Quels sont les espoirs suscités par cette résolution ?

Je n’ai pas été en contact avec mes amis soudanais depuis le vote de cette résolution. Mais je sais qu’au Sud Soudan les populations étaient déjà au seuil de la survie. Les milliers de réfugiés qui arrivent sont un problème et, en même temps, la solidarité humaine existe car de nombreux sud-soudanais ont eux-mêmes été réfugiés au Soudan ou ailleurs pendant des décennies. Ils connaissent cette réalité. Les problèmes humains, sociaux et économiques sont inimaginables : des dizaines de milliers de réfugiés arrivent dans un pays qui vit déjà sous le seuil de pauvreté, ici au Soudan du Sud, mais aussi au Tchad. Cette solidarité humaine permet de faire face à la situation mais elle tient à un fil !

Je ne crois pas trop à la résolution de l’ONU. C’est bien de faire un rapport mais, quand sera-t-il publié ? Aura-t-il des conséquences pratiques ? Par ailleurs, le Soudan n’est pas le seul lieu de crise massive ; il faut y ajouter le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Haut-Karabakh, l’Ukraine, Israël et la Palestine… L’ONU a beaucoup de travail !

Je crois plus au recueil immédiat des preuves et des témoignages, par exemple, par les commissions Justice et Paix. Ainsi, à Bangui, dans le camp de déplacés Jean XXIII, les preuves réunies par la commission Justice et Paix avaient tout de suite été envoyées à l’étranger pour les préserver, ce qui s’est avéré essentiel par la suite.

De plus, actuellement une partie des populations africaines est très réticente vis-à-vis de l’ONU, la confiance est très limitée. Mais qui dira la vérité si la confiance n’y est pas ?

ÉCLAIRAGE

Cédric Ouanekponé, médecin centrafricain, prix mondial de l’humanisme de la jeunesse en 2019, qui travaille à recréer des liens entre communautés et sensibiliser les populations à l’importance de la réconciliation, nous partage son opinion sur le sujet, de la guerre civile au Soudan. Il était intervenu à la session d’été 2021.

Cédric Ouanekponé

Le fossé entre les résolutions prises et les résultats sur le terrain est tel que souvent les populations ne s’y retrouvent pas. Prenez l’exemple de la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine) dont la mission est de protéger les populations civiles. Pour des raisons qui bien souvent échappent à la population locale, les casques bleus présents sur le terrain sont empêchés d’agir. Les populations locales s’en prennent alors à eux parce qu’elles ont l’impression qu’ils font du tourisme.

Si cette résolution pouvait au moins contribuer à l’arrêt du cycle des violences et permettre aux populations de respirer en faisant pression sur les protagonistes pour qu’ils trouvent un terrain d’entente, elle serait déjà très utile.

Des réfugiés soudanais sont présents dans le nord de la République Centrafricaine, vers Birao. Mon père, enseignant à la retraite, à participer à des réunions avec l’UNICEF, pour encadrer les enseignants centrafricains qui ne sont pas suffisamment outillés pour intégrer ces enfants réfugiés qu’il est nécessaire de prendre en charge.

La tournure confessionnelle pris par le conflit centrafricain a essentiellement été provoquée par des musulmans venant du Tchad et du Soudan. Il faut espérer que cela n’entrainera pas des blocages dans l’accueil de ces réfugiés en détresse et envers qui, il faut faire preuve de solidarité et d’hospitalité.

Propos recueillis par Maria Mesquita Castro
Paris, octobre 2023

Résolution prise par l’ONU, le 11 octobre 2023
« Par une résolution adoptée par 19 voix pour, 16 contre et 12 abstentions, le Conseil a par ailleurs décidé d’établir d’urgence une mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan, composée de trois membres qui seront nommés dès que possible par le Président du Conseil pour une durée initiale d’un an, et dont le mandat sera en particulier d’enquêter et établir les faits, les circonstances et les causes profondes de toutes les violations des droits de l’homme, y compris celles commises contre des réfugiés, et des crimes connexes dans le contexte du conflit armé en cours, qui a débuté le 15 avril 2023, entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, et d’autres parties belligérantes. La mission aura aussi pour mandat de recueillir les éléments de preuve attestant de telles violations et d’enregistrer et conserver systématiquement tous les renseignements, documents et éléments de preuve en vue de toute procédure judiciaire future. »
Des organismes comme Human Rights Watch, Amnesty International ou la Caritas Sudan font un monitoring en temps réel. Vous trouverez des rapports actuels sur leurs sites.

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