Foi chrétienne et religion indienne : supériorité ou dialogue ?
La situation de l’inculturation en Bolivie
La Bolivie comporte 36 peuples indigènes reconnus par la Constitution avec autant de langues officielles. Cette Amérique n’est donc pas que latine. La prise en compte de cette réalité interroge la rencontre entre le christianisme et la religion de ces populations « autochtones ». La situation actuelle est plus de concurrence que de dialogue. Nous évoquons ici un chantier qui sera à reprendre.
Dureté de la nature dans laquelle il faut survivre
La route de La Paz au lac Titicaca est dominée par la cordillère royale, avec ses sommets enneigés sur une cinquantaine de kilomètres. Pas étonnant qu’ils semblent être les esprits protecteurs (Achachilas) de tout ce qui est alentour. Pour aller au cœur de ce pays de la Pachamama, j’ai marché des heures sur les sentiers de l’altiplano accrochés à la montagne, le souffle court, l’esprit vide. On ressent la nécessité d’entretenir une relation privilégiée avec la « terre mère », et de se chercher des protecteurs contre tout ce qui menace l’équilibre précaire de la (sur)vie.
Mais il y a aussi la peur de la relation à l’autre, le différent, qui est venu il y a cinq cents ans et qui a tout emporté sur son passage. Cette « non rencontre » du peuple indigène, de sa culture, de son âme, de sa spiritualité a provoqué une résistance qui est une des caractéristiques de la spiritualité indigène. Résister pour conserver son identité à travers ses croyances…Avoir accepté la provocation de l’altérité et constater qu’ici on parlait, pensait, croyait, vivait de façon « autre » m’a interpellé sur l’inculturation.
Le défi de l’inculturation
Je dois reconnaître que cette démarche n’est pas commune aux agents de pastorale étrangers. Ceux qui se sont laissé interpeller par la réalité du monde andin se comptent sur les doigts d’une main. Dès le début de la colonisation, les relations avec les indigènes ont été l’objet de polémiques. À la controverse de Valladolid (1550), il ne faisait aucun doute que les indigènes devaient être convertis. C’est sur les moyens à employer que porte la controverse : par l’exemple et sans la force, pour Bartholomé de Las Casas ; et pour Sepúlveda, les indigènes devaient être mis sous tutelle des espagnols pour leur propre bien. C’est le rapport à l’autre qui est en jeu : ou bien l’on considère qu’une culture est supérieure à l’autre ou bien on tente la rencontre sur un pied d’égalité. Les agents de pastorale étrangers continuent d’avoir une attitude condescendante vis à vis des indigènes. Le rapport ne se fait pas sur un pied d’égalité.
Dans la réflexion menée autour des 500 ans de résistance lors de l’anniversaire de 1992, l’inculturation était alors au centre des débats, parfois enflammés. On acceptait bien de mettre des signes extérieurs sur les autels, comme des tissages, mais sans remettre en cause une approche de l’indigène faite de supériorité et surtout sans chercher à connaître et à comprendre leur cosmovision et leurs croyances, leur approche de Dieu. Bien sûr, une autre approche, basée sur un dialogue interreligieux, remettait en cause tant de choses que cela faisait peur. De leur côté, les indigènes catholiques, prêtres et laïcs, s’efforçaient de s’exprimer de façon à être toujours plus romains que Rome. Aujourd’hui, l’inculturation est tombée en désuétude. C’est un mot qui n’est presque plus employé. Il a été encadré de telle façon qu’il a été vidé de sa substance : la rencontre avec l’autre et la rencontre du Christ.
Situation socio – politique
Cette culture indigène est née et s’est développée dans un monde rural. En ville elle est mise à rude épreuve. La communauté indigène n’est plus là pour gérer les valeurs. La délinquance n’est plus endiguée et se multiplient les vols, les viols et autres délits. La société bolivienne est au prise avec un changement d’époque et donc de valeurs culturelles. Il y a d’abord l’essor de l’économie en lien avec le narcotrafic qui change les paradigmes des valeurs. L’argent facile devient la valeur dominante en ville et dans les lieux de culture de feuille de coca et de production de drogue. L’Église catholique n’est plus une référence en ce qui concerne les valeurs. Elle s’indigne pour l’avortement et le mariage homosexuel, mais reste muette sur la production de drogue, la délinquance, la corruption.
La Vierge de Copacabana réunit culte catholique et religion andine
Et pendant ce temps le diocèse d’El Alto a entrepris de grandes manœuvres avec la Vierge de Copacabana. Aujourd’hui le site est une des expressions les plus emblématiques du syncrétisme religieux. Les cultes qui ont lieu à Copacabana sont un mélange savant de culte catholique et de sacrifices aymaras. Dans la basilique, a lieu le culte catholique. Mais tout le long du calvaire et sur le sommet, ce sont des cultes de la religion andine qui sont célébrés. Les « croyants » en la Vierge se font bénir, et à la basilique et par les yatiris. Cette vierge est symboliquement au carrefour de la rencontre de deux peuples, de deux cultures. Taillée par un indigène, on reconnaît à la Vierge de Copacabana des traits indigènes. Les indigènes la considèrent souvent comme l’expression de la « Pachamama ». Mais, pour l’Église catholique, comme Vierge, elle est la mère du Christ. Tout cela sans que la question de l’inculturation soit clairement posée.
François Donnat
Prêtre Fidei donum du diocèse de Lyonen Bolivie
Juin 2012