« Saint Romero d’Amérique » : Mgr Romero béatifié
“Romero martir por odio a la fe, Romero martir por amor“
Témoignage d’une petite sœur de l’Évangile, Maryse DUTE, qui vit au Salvador (dans les banlieues de la capitale) et qui raconte le « ressenti » de la béatification. Un beau récit, tout simple, avec de belles photos…
Encore dans la joie de ce grand évènement pour notre petit du Salvador je veux vous partager quelques échos de ce moment historique…
Ce matin en passant par la place du « Salvador Del Mundo » « Sauveur du Monde » je remarquais que tout était redevenu normal, la circulation des bus et des voitures avait repris son cours habituel, il semblerait que rien ne s’était passé il y a 3 jours et pourtant si, une page historique s’était écrite pour Le Salvador et le monde entier.
Tout a commencé quand le pape déclara Monseigneur Romero martyr le 3 février et peu de temps après l’annonce de la béatification. Les rumeurs courraient : ce sera le 15 aout, jour de sa naissance, ou bien en septembre, quand le Pape va aux États Unis il viendra jusqu’au Salvador. En mars le postulateur venait au Salvador et lors d’une conférence de presse il déclara que la béatification aurait lieu au Salvador le 23 mai. Tout d’abord des questions jaillirent pourquoi cette date ? Puis en regardant le calendrier nous remarquons que c’est la veille de Pentecôtes et c’est vraiment une nouvelle Pentecôtes qui a été vécue avec la présence de catholiques du monde entier, de toutes langues, races et nations, comme celle que vécurent les Apôtres à Jérusalem. Un même langage nous unissait tous autour de Monseigneur Romero, celui de l’amour, de la vérité, de la justice et de la paix.
La semaine qui a précédé nous a déjà fait vivre à l’unisson de ce que serait cet évènement : festival culturel, théâtre, concert, tous les journaux, radios et chaines de télévision en avaient fait un des titres principaux, tout le pays vibrait déjà d’un même cœur dans l’attente de ce grand jour.
Puis le jour est arrivé et la fête a commencé par une véritable bénédiction, une pluie battante s’est mise à tomber juste à l’heure de la procession à 17 heures, a continué lors de la messe et durant toute la veillée jusqu’à 4 heures du matin. Ce qui n’a pas empêché des milliers de fidèles de se réunir dans la rue où tout était installé pour vivre ce moment.
Certains sont restés toute la nuit dans le froid et la pluie. Nous avions pensé, nous aussi, passer la nuit dehors mais, après la messe, mouillées comme des canes nous décidions de rentrer à la fraternité pour un temps de repos et repartir, aux aurores, sèches et prêtes pour la célébration.
A 5 heures du matin les abords de la place étaient déjà remplis d’une foule bigarrée, certains les yeux bouffis de sommeils avec les vêtements qui attendaient le lever du soleil pour sécher, des groupes avec des pancartes indiquant le lieu d’où ils venaient, chantant les laudes ou autres chants de louanges et les chants propres de Mgr Romero et tout le monde unissait leurs voix. Tous les visages étaient inondés de la joie de pouvoir participer de ce moment unique. Il y avait une grande fraternité entre tous, chacun et chacune partageant ce qu’avait été Mgr Romero avec ses voisins et voisines durant les heures d’attente. Puis le soleil a fait son apparition et la chaleur commença à se faire sentir. Les gens continuaient à arriver, à flot, vers la place, des différentes rues de la ville et se pressaient autour du lieu préparé pour la messe.
Ce sont plus de 300 000 personnes qui se sont agglutinées autour de l’espace réservée pour la cérémonie.
A 10 heures le chant d’entrée a retenti pour accueillir le millier de prêtres et d’évêques venus de toute l’Amérique Latine et autres continents précédant l’Archevêque de San Salvador, le postulateur Monseigneur Vincenzo Paglía et le délégué du Pape le Cardinal Angelo Amato.
Le rite de Béatification a commencé par un court historique de Monseigneur Romero par le postulateur qui a rappelé publiquement le témoignage lumineux de l’archevêque martyr, tué pendant la célébration eucharistique par les escadrons de la mort liés au gouvernement militaire, parce qu’il dénonçait les violences du régime. Il a mis en évidence Monseigneur Romero comme figure emblématique d’une Église persécutée parce que défenseuse des pauvres et qui dénonçait avec force les injustices sociales, les assassinats et les violences commises impunément par les escadrons de la mort. Ses paroles étaient accueillies par des applaudissements. Ensuite le Cardinal Angelo Amato a lu le document papal qui déclarait Bienheureux l’Archevêque Oscar Arnulfo Romero y Galdamez . C’est un tonnerre d’applaudissements qui a retenti à la suite de la lecture en latin puis en espagnol. Puis ce fut le moment de dévoiler le cadre du nouveau Bienheureux et à ce moment un signe est apparu dans le ciel un halo de lumière autour du soleil voilé par des nuages. Comment expliquer cette coïncidence ? Quelle signification lui donner ?
Ensuite ce fut la procession du reliquaire qui contient la chemise ensanglantée de Monseigneur Romero qui prit place prés de l’Autel.
L’acte de béatification prenait fin et la messe a suivi son cours normal dans la joie et l’allégresse.
Maintenant Il nous reste le plus difficile, Monseigneur Romero nous invite à suivre son exemple, á vivre comme lui les valeurs de l’Evangile et à être des témoins (martyrs) pour que le pays vive dans l’unité et la paix.
« ¡Qué viva Monseñor Romero! ¡Qué viva!” Que vive Monseigneur Romero ! Qu’il vive !
Par Maryse, Petites sœurs de l’Évangile
De Mejicanos, San Salvador
Mai 2015
Lire les paroles prononcées par l’ambassadeur du Salvador à Notre-Dame de Paris le 7 juin 2015 lors de la messe en l’honneur de la béatification de Mgr Romero…
Interview de A. Sondag sur la béatification de Mgr Romero
A l’occasion de la béatification de Mgr Romero, au Salvador, le samedi 23 mai 2015, père Antoine Sondag, directeur du SNMUE, a été interviewé dans le cadre de l’émission « Religions du monde », qui traite de l’actualité religieuse et de sujets de société, présentée par Geneviève Delrue, sur RFI.
La béatification samedi 23 mai au Salvador du défenseur des petits paysans salvadoriens, assassiné en mars 1980 par un commando d’extrême droite, marque définitivement la fin d’une querelle entre le Vatican et la frange du clergé latino-américain qui s’était engagée dans la contestation sociale. Monseigneur Romero devient le patron d’une Église qui a payé le prix du sang pour s’être opposé aux dictatures militaires, mais aussi le symbole des milliers d’anonymes disparus dans les décennies noires de l’Amérique latine.
Béatification de Mgr Romero : ce samedi 23 mai 2015
Celui qui pour le peuple latino-américain était devenu le jour de son assassinat, le 24 mars 1980, « Saint Romero d’Amérique » et dont on voyait la photo dans beaucoup de maisons et d’églises, va être béatifié à Rome, grâce au pape François. Archevêque de Buenos Aires, le cardinal Bergoglio avait déjà affirmé que : « si j’étais le Pape, j’aurais canonisé Mgr Romero ».
De formation classique et traditionnelle, Mgr Romero, d’abord évêque dans le rural en 1974, avait vu la misère de son peuple et immédiatement dénoncé un massacre de paysans dans son diocèse de Santiago de Maria. Il s’engage définitivement en faveur des pauvres suite à l’assassinat de son grand ami, le jésuite Rutilio Grande le 12 mars 1977, prêtre dont il connaissait la qualité du travail d’évangélisation.
« Une Église qui ne se solidarise pas avec les pauvres pour dénoncer à partir des pauvres les injustices que l’on commet envers eux n’est pas la véritable Église de Jésus-Christ » a-t-il écrit.
En béatifiant cet évêque, l’Église reconnait ainsi les centaines de martyrs chrétiens d’Amérique latine qui dans les trente dernières années, au nom de leur foi, ont donné leur vie pour faire vivre leurs frères dans la dignité : d’autres évêques comme Mgr Angelelli en Argentine, des prêtres comme Gabriel Longueville et André Jarlan, des religieuses comme Alice Domon et Léonie Duquet, mais aussi des milliers de paysans et paysannes inconnus. En France, on connait le nom des Français assassinés, certaines de nos rues portent leur nom, mais qui se souviendra des milliers de paysans illettrés, de leaders de communautés indigènes, de sans grade, morts pour leur engagement au service de leurs concitoyens ?
Mgr Romero osait dire les choses : la pauvreté des uns est la conséquence de la richesse éhontée des autres. « Je fais un appel à l’oligarchie. Je vous répète ce que j’ai dit la dernière fois : ne me considérez pas comme un juge ou un ennemi. Je suis simplement le pasteur, le frère, l’ami de ce peuple, qui connait ses souffrances, ses faims, ses angoisses. Et en leur nom, j’élève ma voix pour vous dire : n’idolâtrez pas vos richesses, ne les sauvez pas en laissant mourir de faim les autres. »
La veille de son assassinat, Mgr Romero lance un appel aux soldats face aux exactions de l’armée : « Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter. Il est temps de revenir à votre conscience et d’obéir à votre conscience plutôt qu’à l’ordre du péché. Au nom de Dieu, au nom de ce peuple souffrant, dont les lamentations montent jusqu’au ciel et sont chaque jour plus fortes, je vous prie, je vous supplie, je vous l’ordonne, au nom de Dieu : Arrêtez la répression ! ».
Dénonciation de l’idolâtrie, pratique de l’amour du frère et du Père : « Celui qui dit j’aime Dieu et qui n’aime pas son frère est un menteur » (St Jean). Oscar Romero est un martyr chrétien assassiné par haine de la foi chrétienne : à l’offertoire de l’eucharistie qu’il célébrait il a offert sa vie au Père pour que vivent ses frères.
Bertrand Jégouzo (SNMUE)
Quatre leçons d’une béatification
La béatification de Mgr Romero est importante dans la situation actuelle de l’Eglise pour plusieurs raisons que je vais évoquer rapidement ici.
- Cette béatification marque la fin de la querelle autour de la théologie de la libération. Cette querelle avait absorbé beaucoup d’énergie dans les années 80 et 90 du siècle passé. Béatifier Mgr Romero signifie que cette querelle est dépassée. La théologie de la libération a mis en exergue l’option privilégiée pour les pauvres, devenue depuis patrimoine de toute l’Église.
- Romero devient un patron de l’Église persécutée. Des chrétiens persécutés, c’est une réalité de notre temps. En Amérique latine il y a 30 ou 40 ans… et en beaucoup de lieux aujourd’hui. La violence anti-chrétienne est devenue une question de droits de l’Homme au plan planétaire aujourd’hui.
- La béatification de Romero pose de nouveaux critères pour le martyre. Il n’est plus nécessaire de mourir « in odium fidei, par haine de la foi » pour être martyr, les assassins (jamais jugés) de Romero étaient chrétiens. On peut être martyr par « odium caritatis », par haine de la charité, comme victime de ceux qui ne supportent pas que l’on s’engage au service du prochain, au service de la justice et de la solidarité. Donner sa vie pour la justice, par amour du peuple persécuté…
- Romero symbolise l’Église que le pape François entend promouvoir : une Eglise pauvre au service des pauvres. De même que le nom choisi –François- était une indication sur le programme du pape, la béatification de Romero donne une indication de l’Église que le pape désire promouvoir, et le type de pasteur qu’il veut voir au service de l’Eglise. Cette béatification est un programme de gouvernance !
Pour aller plus loin : The Archbishop Trust "Le témoignage de Mgr Romero" par Gustavo Gutiérrez
Antoine Sondag (SNMUE)