Déclaration des Evêques des Antilles sur le changement climatique
Alors que l’opinion catholique et plus largement l’opinion internationale attend pour le 18 juin la publication de l’encyclique du pape François sur les questions écologiques, la Conférence des évêques des Antilles (voir la liste des évêques et des pays représentés à la fin de la déclaration) vient de publier un texte important sur le changement climatique. Important parce que ce changement affecte plus les pays inter tropicaux que les pays tempérés comme la France, important parce qu’en France, on n’entend que rarement la voix de la conférence des évêques des Antilles dont font pourtant partie les évêques des trois DOM situés dans cette région. Important parce que cette déclaration nous rappelle que l’Enseignement social de l’Église ne se limite pas aux enseignements du pape, les déclarations des divers épiscopats enracinés dans des contextes économiques et culturels si divers en font aussi partie.
1. Nous, Évêques de la Conférence Épiscopale des Antilles, reconnaissons l’importance d’une démarche de réflexion avec les Catholiques et toutes les personnes de bonne volonté, sur les questions qui concernent le bien commun. Une de ces questions est le changement climatique, considéré comme le « défi majeur de ce siècle » et qui a et aura de sérieux effets dans notre région.
2. Cette déclaration anticipe l’encyclique du Saint-Père sur l’Écologie, attendue dans l’année. Nous voulons vous encourager à la lire et à l’étudier en groupe, en recherchant des actions concrètes nous permettant de devenir de meilleurs intendants de la création.
3. Dieu a béni l’humanité avec cette création, qui nourrit et nous maintient en vie. Tout ce que nous faisons, nous le faisons dans le monde que Dieu a fait et nous a confié (Genèse 1:27-31). Le Pape Benoît le dit de la façon suivante : “La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. La nature est à notre disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard », mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires pour « la garder et la cultiver » (Gn 2, 15)”. La vérité est que les hommes et les femmes sont appelés à être des intendants, les intendants du don de Dieu qu’est la Création, le sacrement premier de Son amour. Accepter avec gratitude la responsabilité de l’intégrité de la création est une part importante de ce que signifie être fait à l’image de Dieu. Nous avons constamment besoin que l’on nous rappelle et que nous proclamions au monde : “A l’Éternel la terre et ce qu’elle renferme, le monde et ceux qui l’habitent” (Ps 24:1). Nous sommes tous dans le monde non pas comme des propriétaires, mais comme des locataires et des intendants. La dimension spécifiquement chrétienne d’intendance doit inclure cette responsabilité de l’intégrité de la création, pour notre environnement”.
4. Cependant, l’humanité a changé et continue de changer l’ordre créé, et le changement climatique est la manifestation de l’interaction humaine avec l’ordre de la nature et de son dérèglement. L’activité humaine – principalement la façon dont nous utilisons l’énergie, gérons l’industrie, cultivons la terre et utilisons les arbres – a modifié la composition de l’atmosphère, causant des changements dans la rétention par la terre de l’énergie solaire. Ce simple changement conduit à des changements profonds et complexes comme le changement des systèmes climatiques météorologiques et le monde dans lequel nous vivons change devant nous. Les changements de température et de pluviométrie modifient la productivité de l’agriculture, les tempêtes deviennent plus fréquentes et plus dévastatrices, comme Katerina, Ivan, Sandy et les pluies dévastatrices qui ont frappé l’Est des Caraïbes en 2013. Comme les glaciers et le permafrost (couche de sol gelée depuis des milliers d’années) fondent et des trous apparaissent dans les pôles, le niveau des mers monte et fait disparaître la terre. Les modèles de migration animale et de maladies changent, entraînant des résultats surprenants. Les coraux meurent et les écosystèmes sont modifiés définitivement. Les modèles météorologiques deviennent plus accentués plus chauds en certains endroits et plus froids dans les pointes de l’hiver.
5. Tout le monde est affecté mais ce sont les pauvres qui le sont le plus. Et cela parce que les pauvres sont ceux qui ont le moins de ressources leur permettant d’absorber ces événements et de s’y adapter. Ce sont eux qui sont affectés quand ils sont privés de logement par une tempête, ou quand il n’y a pas de récolte, ou quand la maladie frappe. Conformément à l’option préférentielle de l’Évangile pour les pauvres, nous avons systématiquement et étroitement travaillé avec les communautés les plus vulnérables et les exclus et savons ainsi exactement comment le problème du changement climatique les affecte. Notre message aux responsables politiques et à toutes les personnes de bonne volonté est enraciné dans l’expérience et la souffrance de ces communautés de pauvres.
6. La triste réalité est que ceux qui sont le plus affectés, les pauvres, sont ceux qui sont les moins responsables de cette réalité. La douzaine de petits États insulaires à travers le monde, par exemple, n’a ni taille, ni le parcours en développement qui leur auraient permis d’êtres des contributeurs majeurs au changement climatique actuel. Pourtant ces petits États insulaires sont les plus facilement dévastés par des niveaux de mers montants et des tempêtes plus fortes. Déjà, quelques villages ont disparu après des désastres, aussi bien orageux que ceux démarrant de façon lente et rampante. Nos frères et sœurs qui habitent ces endroits seront en danger, sans aucune faute de leur part.
7. Nous reconnaissons que le changement climatique représente une menace significative pour la durabilité de la vie dans les Caraïbes, telle que nous la connaissons. Nos pays sont déjà impactés par la forte pluviométrie inhabituelle, des températures plus chaudes, des niveaux montants de la mer et la perspective d’événements cycloniques plus intenses. Bien que nous nous concentrons sur la région des Caraïbes, nous ne perdons pas de vue le fait que nous faisons partie d’une planète. Les scientifiques nous disent que la nature a été endommagée à un degré sans précédent. Le Pape Jean-Paul II a mentionné “ la crise écologique comme un problème moral “. Nous reconnaissons que beaucoup de bien est survenu sur la Terre grâce à l’intelligence légitime et responsable, la technologie et l’industrie de l’homme, sous le regard aimant et paternel de Dieu. Et pourtant, durant les récentes décennies, beaucoup de graves adversités comme le changement climatique, avec son impact dévastateur sur la nature elle-même, sur la sécurité alimentaire, la santé et les migrations, ont multiplié le nombre de personnes en souffrance dans le monde.
8. Parlant de la crise, le Pape François déclare : « Nous vivons un moment de la crise ; nous le voyons dans l’environnement, mais nous le voyons surtout dans l’homme. L’être humain est en jeu : c’est cela l’urgence de l’écologie humaine ! Et le danger est sérieux parce que la cause du problème n’est pas superficielle, mais profonde : ce n’est pas juste une question d’économie, mais d’éthique et d’anthropologie. L’Église a souligné cela à plusieurs reprises ; et beaucoup disent : oui, c’est juste, c’est vrai mais le système continue comme auparavant, parce que ce qui domine, c’est la dynamique de l’économie et un manque d’éthique financière. Donc, les hommes et des femmes sont sacrifiés aux idoles du profit et de la consommation : c’est “la culture du déchet”, la culture du jetable. »
9. L’action et la réflexion présentes de l’Église sur le changement climatique veulent vous préparer à comprendre la signification de l’importante 21e Session de la Conférence des Parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur le Changement climatique (CCNUCC), qui doit se tenir en décembre 2015, à Paris, France. Nous voulons prendre part aux débats internationaux et nous joindre aux efforts du Saint-Père et des responsables mondiaux, au moment où ils travaillent à la signature d’un nouvel et nécessaire accord climatique. Cette crise est en premier lieu une crise morale. Ses implications affecteront les générations futures. Nous devons à nous-mêmes et à ceux qui viendront après nous d’AGIR MAINTENANT. Nous avons une responsabilité de nous instruire, de choisir en toute conscience de vivre de façon responsable à l’égard de l’environnement et de l’intérêt commun. Nous notons avec satisfaction, qu’à notre époque, les États, les confessions religieuses, les groupes de la société civile et les individus à tous les niveaux, reconnaissent de plus en plus les préoccupations aussi bien environnementales qu’éthiques, de cette question. Nous souhaitons que des décisions concrètes soient prises à la COP21, pour surmonter le défi climatique et nous mettre sur de nouveaux chemins d’un développement durable.
10. Nous, Évêques, faisons appel à tous pour :
i. Prendre en compte les dimensions éthiques et morales du changement climatique : L’action climatique doit être motivée non seulement par des préoccupations techniques et économiques, mais aussi en conformité avec la justice sociale et à une responsabilité commune, comme cela est indiqué dans l’article 3 de la CCNUCC et souligné dans les enseignements sociaux de l’Église catholique.
ii. Adopter un accord global juste et juridiquement contraignant : Le succès de la COP21 marquera un point critique dans notre réponse globale au changement climatique. Nous devons agir maintenant pour la défense des droits universels de l’homme, afin de sauvegarder la planète, pour cette génération et ceux qui viendront.
iii. Limiter l’accroissement global de la température au-dessous de 1,5 degré Celsius Chaque effort doit être fait pour limiter le réchauffement à ses niveaux préindustriels, afin de protéger les communautés situées en première ligne et souffrant des effets du changement climatique, en particulier sur les îles à haut risque et chez les communautés côtières comme les nôtres dans les Caraïbes.
iv. Promouvoir une énergie durable pour tous : Élaborer de nouveaux modèles de développement et des styles de vie qui soient à la fois compatibles avec le climat et sortent les populations de la pauvreté. Cette question implique une réduction significative des émissions des combustibles fossiles et la promotion des énergies renouvelables avec un accès de tous aux énergies durables. Ceci demande de sérieux efforts pour diversifier nos économies.
v. Financer les besoins d’adaptation des plus vulnérables : L’accord de Paris de 2015 doit proposer une approche adaptative qui réponde adéquatement aux besoins immédiats des communautés les plus vulnérables et des pays en voie de développement. Ceci devrait permettre qu’une quantité significative de fonds publics serve à faire face aux besoins d’adaptation liés au changement climatique et qu’elle soit fondée sur des solutions alternatives locales.
vi. Soutenir la réduction des pertes et des dommages : Les besoins d’adaptation des plus vulnérables dépendent du succès des mesures de réduction qui seront prises. Ceux responsables du changement climatique ont aussi le devoir de s’engager à aider les plus vulnérables à adapter et gérer les pertes et les dégâts et à partager la technologie et le savoir-faire nécessaires.
vii. Adopter des feuilles de route pour le financement climatique : Il doit y avoir des directives claires sur la façon dont les pays, particulièrement les plus pauvres, les moins développés et les plus vulnérables, pourront respecter les obligations financières supplémentaires prévisibles et établir des méthodes comptables solides et transparentes.
11. Notre Engagement
Nous Évêques voulons accompagner le processus politique et rechercher le dialogue pour apporter les voix des pauvres et des plus vulnérables à la table de décideurs ; nous sommes convaincus que chacun a la capacité de contribuer à surmonter le changement climatique et à opter pour des modes de vie durables. Nous nous engageons à agir sur le plan climatique dans nos propres communautés à travers : Un processus de formation de nos populations sur les causes et les effets possibles du changement climatique sur nos communautés vulnérables. Des programmes pour former les citoyens à la réduction de notre consommation d’énergie et d’eau. La collaboration entre les gouvernements, les entreprises et la société civile pour inscrire le changement climatique dans les agendas nationaux.
Nous, Évêques, faisons appel à tous les catholiques et personnes de bonne volonté pour s’engager sur la route conduisant à un accord climatique global à Paris 2015, qui soit un point de départ pour une nouvelle vie en harmonie avec la Création, dans le respect des limites de la planète.
ÉVÊQUES SIGNATAIRES DE CETTE déclaration :
Archidiocèse de Nassau, Bahamas – Diocèse d’Hamilton, Bermudes – Archidiocèse de Kingston, Jamaïque – Diocèse de Montego Bay, Jamaïque – Diocèse de Mandeville, Jamaïque – Diocèse de Belize et Belmopan, Belize – Missio Sui Juris, Îles Caïman – Archidiocèse de Castries, Sainte Lucie – Diocèse de Roseau, Dominique – Diocèse de Saint George’s, Grenade – Diocèse de Saint John’s-Basseterre, Antigua et Barbuda – Archidiocèse de Saint Pierre et Fort-de-France, Martinique – Diocèse de Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe – Diocèse de Cayenne, Guyane française – Archidiocèse de Port of Spain, Trinidad et Tobago – Diocèse de Georgetown, Guyana – Diocèse de Bridgetown, Barbades – Diocèse de Kingstown, St Vincent et Grenadines – Diocèse de Paramaribo, Suriname – Diocèse de Willemstad, Curacao
Conférence Épiscopale des Antilles
Mai 2015