Le baril ou la vie
Impact des activités pétrolières en Amazonie péruvienne
Le Secours Catholique-Caritas France, le CCFD-Terre Solidaire et deux associations de la société civile péruvienne, le CAAAP et CooperAcción, ont publié un rapport dénonçant l’exploitation irresponsable de l’or noir en Amazonie, «poumon du monde».
Il est assez commun d’ignorer que l’Amazonie est habitée par trois millions d’indigènes issus de différentes cultures ancestrales. Ils vivent en harmonie avec la nature, s’identifient à elle. Ils la protègent parce qu’ils vivent de la “sœur terre mère”, leur maison commune, et de l’eau de ses fleuves.
Néanmoins, les populations et les communautés de la région amazonienne restent “invisibles” aux yeux des gouvernements et des entreprises extractives. Elles ne sont pas prises en compte et leurs droits sont bafoués.
Industries extractives et droits humains, quelles responsabilités des entreprises et des états ?
Réalisé sur la base des travaux menés depuis le milieu des années 2000 par ces associations investies aux côtés des communautés indigènes, ce rapport s’intéresse aux territoires d’Amazonie péruvienne aujourd’hui exploités par les entreprises pétrolières françaises Perenco et Maurel & Prom (blocs pétroliers 67 et 116). En effet, les études menées ont fait émerger de nombreuses préoccupations quant à leur responsabilité en matière de respect de l’environnement et des droits fondamentaux, tels que le droit à l’alimentation, le droit à la santé et à vivre dans un environnement sain, le droit à la consultation et le droit au territoire. Les communautés locales font état de pollutions des sols et des cours d’eau ainsi que de problèmes de santé. Elles pointent également une raréfaction des espèces naturelles, notamment halieutiques, ainsi qu’une baisse des rendements agricoles et un appauvrissement des sols.
«C’étaient des bonnes terres, elles produisaient du maïs, de la banane plantain, du cocona, des cacahuètes, des cacha papa, mais maintenant nous ne pouvons plus y travailler car c’est pollué». (Groupe de femmes de la communauté Nuevo Kuit, Amazonas).
Ce rapport révèle des défaillances dans l’identification et la gestion des risques par les entreprises : aires d’influence des projets pétroliers définies à minima, irrégularités en matière de gestion des déchets et des eaux usées, minimisation des risques de déversements… Les communautés n’ont pas été suffisamment informées des projets extractifs les concernant et les quelques réponses apportées par Perenco et Maurel & Prom aux nombreuses interpellations de la société civile ont été trop rares et incomplètes. Les deux entreprises doivent pourtant faire preuve de vigilance en s’assurant que leurs activités ne génèrent pas d’atteintes aux droits humains et à l’environnement, garantissant réparation pour les dommages occasionnés.
«On ne voit pas la volonté de dialoguer de la part de l’état ni des entreprises envers les communautés. Notre préoccupation est l’absence de consultation préalable […] Toi, en tant qu’indigène, tu interpelles l’état, mais il ne te donne aucune réponse», président de la Feconamncua (Fédération des Communautés Natives des Fleuves Napo, Curaray et Arabel), Loreto
«J’ai envoyé une délégation dans la zone d’influence où l’entreprise opère, pour attirer son attention sur la mortalité des animaux : des oiseaux, des malaz, des reptiles. On voit l’impact négatif sur l’environnement.» Dirigeant Awajun, Amazonas.
«Le principal problème que nous avons eu, il n’y a pas très longtemps, c’est la mort d’une fille dont la pirogue a coulé à cause des grosses vagues provoquées par l’embarcation […] Nous avons retenu le bateau qui transporte le pétrole […] Perenco ne voulait pas assumer la responsabilité et a désigné le seul pilote du bateau comme responsable. Perenco ne voulait rien savoir […] », membre de la communauté urbina, Loreto.
La responsabilité des États français et péruvien quant à la situation sur les blocs 116 et 67 est également engagée. Ces deux Etats ont manqué à leur obligation de protection des droits humains, comme les y enjoignent les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme.
Pourtant organisateurs de la COP 20 et de la COP 21, le Pérou et la France ne se sont pas assurés du respect de l’environnement par les entreprises Maurel & Prom et Perenco.
Guidé par des choix économiques privilégiant l’exploitation massive des ressources naturelles, le Pérou n’a pas rempli ses obligations en matière de consultation et de participation des communautés dont les droits sont menacés par les activités extractives et a validé des études d’impact préalables insuffisantes.
Alertées à plusieurs reprises sur les impacts des activités de Perenco et Maurel & Prom en Amazonie péruvienne, les autorités françaises ont laissé faire. La diplomatie économique de la France visant à promouvoir les intérêts des entreprises françaises à l’étranger semble ainsi ne pas toujours s’accorder avec le respect de l’environnement et des droits humains.
Dans un courrier du 29 septembre, Jean-François Hénin, président de Maurel & Prom, ne cache pas l’incompréhension et l’indignation qui l’ont saisi en découvrant le rapport et a tenu à répondre point par point aux accusations.
«Les études d’impact que nous avons menées l’ont été dans le total respect des règles en vigueur et ont d’ailleurs été approuvées par les autorités péruviennes», souligne-t-il. «Par ailleurs, depuis 2009 nous ne sommes plus opérateur direct sur le bloc 116 où intervient notre partenaire Pacific Rubiales. Si sa responsabilité est engagée, c’est à la justice péruvienne de le dire. En réalité, les auteurs de ce rapport présentent des craintes comme des preuves et transforment des questions en accusation. Ce genre de procédé est inacceptable», conclut-il.
L’archevêque de Huancayo (Pérou), Pedro Ricardo Barreto Jimeno, S.J. en a écrit la préface :
«Je me réjouis et je sais que beaucoup se réjouissent de savoir que des organisations catholiques de solidarité internationale, […] avec des organisations sociales de base, aient réalisé une étude sérieuse, un apport à la réflexion et à l’action efficace […] Son unique finalité est de susciter une réflexion entre tous les acteurs sociaux pour une action inconditionnellement respectueuse des droits humains et de l’environnement. En ce sens, je souhaite préfacer cette étude, dont le but est d’aider à la coresponsabilité que nous assumons dans la sauvegarde de notre maison commune. Notre foi nous appelle à tenir compte «que l’être humain est aussi une créature de ce monde, qui a le droit de vivre et d’être heureux, et qui de plus à une dignité éminente. Nous ne pouvons pas ne pas prendre en considération les effets de la dégradation de l’environnement, du modèle actuel de développement et de la culture du déchet, sur la vie des personnes» (Laudato Si ́, n°43). »
Xavier Harent
SNMUE- Décembre 2015
Sources : Rapport « Le baril ou la vie ? »(complet)/(résumé) / Article « La Croix » 9/9/15 / Lettre Maurel & Prom