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Henri Burin des Roziers

Henri Burin des Roziers ne souhaitait pas raconter sa vie. Il a cédé aux pressions de ses amis, d’un éditeur, des dominicains. Il ne raconte pas sa vie. Parce qu’il est conscient que le genre autobiographie est une facilité pour construire a posteriori une identité personnelle, sacerdotale, militante, et que Henri est trop lucide sur les inévitables aléas de la vie pour s’engager dans une telle entreprise de mise en cohérence tardive. Parce qu’il ne prétend à aucune forme d’exemplarité sur le mode de « ma vie a été exceptionnelle, et voici les leçons que j’en tire et qui sont valables pour vous lecteurs ! ». On pourra dire : c’est l’humilité d’HBR. Pas de tentation biographique ou pire hagiographique comme on la trouve chez les « anciens combattants » des grandes causes, nobles forcément.
Couv_HBRHBR se soumet aux questions de Sabine Rousseau, historienne, qui nous gratifie de notes permettant de comprendre les enjeux des évènements évoqués. Et de préciser des dates et des noms lorsque la mémoire d’HBR faiblit.
Donc : ce n’est pas le récit d’une vie. Mais un coup de projecteur sur quatre périodes de la vie de HBR. Qui sont aussi quatre situations, quatre lieux, quatre contextes politiques, sociaux et religieux.

La jeunesse d’abord. Paris, les années 50, une famille paternelle et maternelle prestigieuse, des études de droit prometteuses, un avenir tout tracé de grand bourgeois parisien, une guerre d’Algérie traversée sans posture héroïque. Une vie de « mauvais étudiant chrétien », un « triste individualiste ». L’entrée chez les Dominicains. Une ordination, avec une lettre de félicitations du Général de Gaulle. On n’en saura pas beaucoup plus.

Jeune dominicain, prêtre, aumônier des étudiants de droit à Paris, années 60. Bouillonnement de la jeunesse de ces années-là. Mai 68. Le travail avec J. Raguenès, autre dominicain mythique (affaire Lip plus tard, conflit avec l’aumônier des lettres J.M. Lustiger…). Les affrontements avec la police, le choix de rester solidaires des étudiants au mois de mai 68 et ensuite. Tout était remis en question… mais l’aumônier continue d’accompagner les étudiants. Liberté de parole. Rôle de certains dominicains qui, « effectivement se disaient marxistes ». Le journal « Le Monde ne nous a pas vraiment compris ». « On était tous de gauche, tous contre le pouvoir, tous pour le changement… ». « Mes parents m’ont toujours respecté, jamais critiqué, jamais… ». Mai 68 a provoqué partout des débats dans l’Église … et dans les couvents. « On a remis en question les grands couvents, trop en dehors de la vie réelle et de la culture nouvelle… beaucoup sont partis en petites équipes… presque tous se sont mariés, ont parfois fait des choses très belles mais ne sont plus restés dans l’Ordre… ».

Donc, départ du grand couvent, distance avec l’Eglise institutionnelle, installation à Besançon et ensuite à Annecy en petits groupes ou tout seul. Pas prêtre ouvrier (trop dur). Pas pour évangéliser la classe ouvrière mais pour écouter le monde qui se construisait, pour capter la nouvelle culture… finalement, petit employé à la DDASS d’Annecy. Engagement en faveur d’immigrés, de travailleurs nord-africains, de mal-logés, au Comité Vérité Justice. Contre la déportation des SDF du centre-ville. Dénoncer la collusion entre notables de la ville.

cptDépart pour le Brésil en 1978. Trente-cinq de Brésil au service des paysans sans terre, contre le travail esclave. Pour la défense des sans droits. « On pratiquait la théologie de la libération mais on n’en parlait pas beaucoup ». Pour apporter la subversion à des communautés de paysans résignés. En utilisant l’arme du droit et des procès pour défendre la cause des vulnérables, et aussi pour faire changer les mentalités. Finalement inscrit au Brésil au barreau pour devenir avocat. Et utiliser toutes les techniques des ONG et du travail militant : procès, pétitions, manifestations, interventions auprès des décideurs, pression internationale… il faut aussi porter la Légion d’honneur pour se protéger quand sa tête est mise à prix. La révolte contre l’injustice a toujours été le moteur de la vie de HBR.

Pas de conclusion, ce livre n’est pas un plaidoyer pro domo, ni un essai sur les injustices dans le monde actuel. Juste le récit d’un dominicain qui présente sa vie. Les vœux religieux tels qu’il les a vécus (c’est très actuel à la fin de l’année pour la vie religieuse).

On aimerait en savoir bien plus, évidemment. Les historiens, dont la compétente intervieweuse, tireront profit de cette monographie. Comment un jeune bourgeois « triste chrétien individualiste » devient dominicain, se radicalise politiquement dans les années 60 (assez répandu, classique), ne quitte pas l’Ordre (plus original), ne voit plus d’avenir en France dans les années 70, trouve dans le Brésil de la fin de la dictature un nouveau champ de militance… ne découvre jamais de grandes causes, mais toujours des cas concrets, à partir desquels il se lance dans des actions collectives. C’est l’articulation entre la personne singulière et les enjeux collectifs, politiques et sociaux. Articulation : mot fétiche de HBR.

Le lecteur tirera ses conclusions. Trouvera des arguments pour justifier ce qu’il sait déjà ou pour s’ouvrir l’esprit à des problématiques nouvelles. Comment faire pour évangéliser (expression que sans doute HBR refuserait) la société de son temps, et non celle des décennies passées/dépassées ? Comment refuser de s’accommoder des injustices du temps, d’ici et d’ailleurs ? Comment honorer la rage de justice qui habite la vie d’un jeune bourgeois et plus encore celle d’un religieux, jeune puis moins jeune, et aujourd’hui plus jeune du tout ?

Antoine Sondag,
30 mars 2016

Henri Burin des Roziers, avec Sabine Rousseau, Comme une rage de justice, Cerf, 2016, 178p, 19 €

 

La lutte pour la terre en Amérique Latine

On lira aussi l’interview de H. Burin des Roziers réalisée par le P.Luc Lalire , en 2011, sur la lutte pour la terre en Amérique latine.

Droit à la Terre, un Droit à la Vie

Le Brésil est devenu la nouvelle ferme du monde. On peut saluer cette performance. Mais elle ne doit pas faire oublier les conséquences qui en résultent pour les petits paysans et les paysans sans terre, victimes de l’extension des grandes propriétés. Ils gênent et on les assassine s’ils se défendent. Le dominicain, Henri Burin des Roziers, avocat, appartient à la Commission Pastorale de la Terre (CPT), créée par la Conférence des évêques du Brésil (CNBB). Il est l’un des défenseurs des sans-terre.

La situation

H. Burin des RoziersLe problème de la terre est historique au Brésil. Il s’enracine dans la colonisation. L’empereur donnait aux colons des terres immenses. Il y a encore aujourd’hui dans l’Etat du Para, en Amazonie, des propriétés d’un million d’hectares. Cela paraît presque normal. La terre a une grande force symbolique. C’est l’origine et le symbole de l’inégalité fantastique au Brésil. On peut estimer que 2% des gros propriétaires possèdent 50% des terres cultivables. Ce problème a toujours été explosif dans toute l’histoire du pays. En 1964, les ligues paysannes ont revendiqué la possession de la terre, ce qui a entraîné en réaction une « révolution nationale », autrement dit un coup d’État militaire. Les militaires ont pris le pouvoir et l’ont gardé jusqu’en 1985 pour défendre la grande propriété.
La réforme agraire, toujours revendiquée, promise, et combattue, n’a jamais été réalisée. Et la concentration des terres est toujours plus forte.

La Commission Pastorale de la Terre-CPT

Je travaille, dans l’État du Parà, comme avocat à la CPT. La CPT a pour mission d’être au service des travailleurs ruraux et des petits paysans pour la défense de leurs droits à la terre, à l’eau, à la dignité et à la vie, comme citoyens brésiliens et enfants de Dieu. Elle a été créée en 1975 par quatre évêques qui ont entendu « la clameur de leur peuple », le cri des victimes des violences et des massacres commis par les fazendeiros, leurs hommes de main et la police à leur solde pour s’approprier par la forceles terres déjà occupées, Quelques années plus tard, la Conférence Nationale des Évêques du Brésil-CNBB a reconnu officiellement la Pastorale de la Terre.

Objectifs de la CPT

En créant la CPT, les évêques ont voulu créer une pastorale liée à l’Église, mais libérée d’autres tâches pour se donner entièrement au service des pauvres du monde rural. Des prêtres, des religieuses, des laïcs se sont dédiés à cela jusqu’à aujourd’hui. Ils consacrent leur vie à cette mission en se rendant proches de ces pauvres, de leurs problèmes, de leurs souffrances, de leurs luttes, dénonçant les violences, les assassinats, les cas de travail esclave. Ils accompagnent aussi les communautés dans leurs démarches de Foi en respectant leur culture, leurs traditions religieuses et populaires et en célébrant dans la Foi leurs fêtes mais aussi les tragédies qu’ils vivent.
La CPT lutte aussi contre l’impunité qui demeure un problème fondamental au Brésil et spécialement dans l’État du Pará. J’ai personnellement accompagné trois procès criminels qui, après de nombreuses années se sont terminés par la condamnation de trois fazendeiros. Or, aucun n’a exécuté sa peine.

Agriculture familiale

La Pastorale de la terre défend un modèle d’agriculture familiale de subsistance, durable et diversifiée pour la consommation intérieure, qui s’oppose au modèle de la monoculture d’export, bétail, bois, soja, canne à sucre, modèle qui rapporte des milliards de dollars à l’État, mais qui est déprédateur. Le modèle d’agriculture familiale des petites exploitations est la portion congrue qui bénéficie d’infiniment moins d’aide financière de l’État que l’agro-business. Mais c’est dans cette ligne là que travaille la CPT.

Défense de la vie et de la Création

Notre engagement chrétien pour la terre, don de Dieu, est un engagement pour la vie et la dignité des travailleurs ruraux, dépossédés, marginalisés et soumis à l’esclavage, car le droit à la vie ne concerne pas seulement le problème de l’avortement. C’est le droit pour une vie digne, le droit de pouvoir vivre de son travail et nourrir ses enfants et sa famille. Pour nous à la CPT, c’est une lutte pour respecter et sauver la nature, source de vie, et pour que cette terre ne meure pas à cause de la déforestation.

Exigence évangélique

Prendre le parti des plus pauvres est une exigence évangélique que l’Église d’Amérique latine, dans ses grandes Conférences continentales, Medellin, Puebla, Aparecida, a sans cesse rappelée et proclamée. Certaines paroles évangéliques inspirent et renforcent notre détermination. « Ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu. » Notre lutte pour la terre, pour l’eau et pour la vie des pauvres est peut-être une goutte d’eau, mais c’est aussi une petite semence qui s’enfouit dans la terre et qui un jour va porter ses fruits. Elle en a d’ailleurs déjà produits. « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre la force ».

Henri Burin des Roziers
Juin 2011

On pourra aussi lire l'entretien accordé par Henri Burin des Roziers paru dans le Pèlerin (N°6983, Jeudi 29 septembre 2016) : Lutter-contre-les-injustices...  
Henri Burin des Roziers est décédé le 26 novembre 2017, à Paris.Nécrologie de Henri Burin des Roziers parue dans La Vie
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