La catéchèse des enfants dans les favelas du Brésil
La catéchèse des enfants dans les favelas du Brésil : Voilà un sujet bien vaste sur lequel je ne connais aucune étude sérieuse au Brésil. Par ailleurs actuellement je ne suis pas amené à intervenir directement dans ce secteur. C´est donc avec beaucoup d´humilité que j´aborde ici cette question principalement à partir de ce que je vois à la base dans notre paroisse. En même temps il me semble que ma perception locale correspond souvent à ce qui existe dans la région sud-est la plus développée et peut-être aussi dans tout le pays.
Qu’est qu’une favela ?
Quelques mots d´abord pour nous situer. D´après mon Larousse de Poche, « favela », au Brésil, correspond à bidonville. Cette traduction vaut sans doute au début mais si la favela existe depuis longtemps, ça ne correspond plus du tout. C´est plutôt un quartier pauvre de banlieue construit d´une façon totalement anarchique où vivent aussi pas mal de gens de petite classe moyenne. La très grande majorité est propriétaire de son logement construit sur un terrain qui ne lui appartient pas. Pratiquement tous les logements sont bâtis en dur et atteignent souvent 3 ou 4 étages. Une conséquence de cette irrégularité, c´est que les habitants ne sont pas citoyens à part entière. Les lois du Brésil sont loin de s´appliquer à 100% sur le territoire. Cela peut nous bénéficier ou nous porter préjudice : par exemple il existe des maisons luxueuses, souvent de trafiquants, mais personne ne paie d´impôts locaux. D´un autre coté la police peut pratiquer toutes sortes d´exactions, y compris tuer, en toute impunité. J´aurais bien sûr des dizaines d´autres exemples à raconter.
1% de pratique religieuse
Notre diocèse de Belo-Horizonte, situé dans la région du Brésil la plus riche économiquement est un des plus peuplés du monde avec maintenant environ 5 millions d´habitants dont plus de 10% vivent dans des favelas. Le nombre de ceux qui se disent catholiques, diminue régulièrement, aujourd´hui il est au-dessous de 60%. Les églises dites “évangéliques” atteignent environ 20% mais sans doute beaucoup plus dans les favelas. Le nombre de ceux qui se disent “sans religion” augmente à chaque sondage d´opinion. Le pourcentage des athées déclarés est insignifiant. Il y a 260 paroisses et près de 600 prêtres dont la moitié de religieux mais guère plus de 5 sont à plein temps au service des favelas. Dans notre diocèse, la pratique dominicale est aujourd´hui inférieure à 10% de la population. Quand on va dans les favelas, on doit tourner autour de 1%.
Notre paroisse est formée par une favela d´environ 45 000 habitants. C´est la plus grande de Belo-Horizonte. Elle est toute jeune, créée il y a seulement 4 ans à partir du démembrement des 6 paroisses qui l´entourent. Il y a 8 communautés qui ont une existence assez ancienne et des traditions différentes à partir des paroisses auxquelles elles appartenaient antérieurement. La pratique dominicale y est assez élevée par rapport aux autres favelas du diocèse : entre 40 et 200 participants en moyenne suivant les communautés.
En même temps il y a une prolifération d´églises “évangéliques”, environ une centaine, réparties sur un territoire d´un km2. Chacune réunit entre 10 et 100 personnes une ou plusieurs fois par semaine. Au total elles rassemblent sûrement beaucoup plus de monde que les catholiques.
Le nombre très élevé de chapelles, catholiques ou non, sur un espace relativement restreint s´explique en grande partie par la géographie : c´est une région montagneuse avec de très fortes dénivellations entre les différents lieux de cultes.
Commencer par un état des lieux
Au début en faisant un “état des lieux” avec le jeune curé, nous avons vu qu´au niveau de la catéchèse, il y avait entre les communautés d´énormes différences dues à leur appartenance antérieure à plusieurs paroisses. Certaines n´avaient pratiquement aucune catéchèse d´enfants mais seulement une rapide célébration dominicale avec un curé pressé. Une autre avait un petit centre de catéchèse qu´une personne, n´habitant pas la favela, avait créé et auquel elle donnait une bonne partie de ses loisirs de retraitée. Elle avait un charisme pour travailler avec les enfants mais le contenu de sa catéchèse paraissait limité à une préparation à la 1ère communion et à l´obéissance aux 10 commandements. Entre ces extrêmes, il y avait de tout mais on pourrait résumer la situation de la façon suivante :
- le nombre des enfants catéchisés était dérisoire par rapport à la population infantile du quartier.
- les catéchistes n´avaient pas de formation biblique et pédagogique.
- les catéchistes ne recevaient à peu près aucun accompagnement de leur paroisse.
- le temps de catéchèse était extrêmement réduit : 1 ou 2 heures par semaine, 8 ou 9 mois par an pendant guère plus de 2 ans.
- quand les parents ne fréquentaient pas la communauté, le pourcentage des enfants qui “persévéraient” (comme on dit!) était à peu près nul. La 1ère communion était la dernière.
Quelques faits attirèrent spécialement notre attention :
- un certain nombre de ces enfants, à peine quelques semaines ou quelques mois après leur 1ère communion se mettaient à fréquenter une des nombreuses églises “évangéliques”.
- Des garçons se retrouvaient rapidement dans les groupes de vendeurs de drogues qui pullulent dans le quartier. En particulier on en rencontre certains à la porte d´une des chapelles où il y a un point de vente.
- À l´heure de la messe j´y retrouve certains adolescents qui ont fait leur 1ère communion préparés par cette catéchiste qui a créé un centre de catéchèse.
- il y a aussi sans doute pas mal de filles, catéchisées il y a peu, qui entrent dans la prostitution mais c´est plus difficile à savoir car elles “travaillent” rarement sur le lieu où elles habitent.
- il n´y avait aucune lutte organisée des habitants de la favela pour améliorer leurs conditions de vie mais une bonne vingtaine de personnes appelées “leaders communautaires” plus ou moins appuyés et financés par des partis politiques. Aucun d´entre eux ne fréquente une des communautés catholiques.
- il y a aussi une multitude de projets sociaux (sans doute plus de 100 !) financés par le gouvernement ou des ONGs et animés la plupart du temps pas des personnes extérieures à la favela. En général les catholiques y participent très peu.
Face à cette réalité, quelle est notre catéchèse ? Comment fonctionne-t-elle ?
Il y a bien sûr un accompagnement spécifique des catéchistes avec des réunions mensuelles où ils partagent leurs difficultés aussi bien pédagogiques que théologiques pour proposer la beauté du message de Jésus-Christ.
En même temps nous les invitons très fortement à participer aux rencontres hebdomadaires des groupes bibliques que nous essayons de multiplier sur la paroisse. Il y en a une bonne dizaine. Environ la moitié des catéchistes y vont. Certains ne se sentent pas très motivés mais ce sont surtout des problèmes de familles ou d´horaires de travail qui empêchent une plus grande fréquentation.
Actuellement dans ces groupes nous partageons à partir de l´évangile du dimanche suivant et de faits surtout positifs qui ont eu lieu dans la semaine antérieure. On termine en essayant de transformer cela en prière. Lentement on voit que beaucoup de participants et en particulier les catéchistes découvrent que le Projet de Jésus-Christ est beaucoup plus ample que la vie ecclésiale ou la sacramentalisation. C´est que “tous aient la vie et la vie en abondance” (Jn 10, 10). C´est la réalisation du Royaume dont les Évangiles nous parlent des dizaines de fois.
Bien sûr le défi est de faire découvrir cela aux enfants. Mais peu à peu nous voyons aussi que les communautés, qui vivaient assez fermées sur leurs problèmes internes, commencent à s´ouvrir à l´ensemble de la vie du quartier. Une petite association des habitants est née pour affronter les questions de violence, logement, transport et éducation. Maintenant la majorité des participants appartient à notre paroisse. C´est sûrement un exemple concret pour passer un message aux enfants.
Dans la mesure où les adultes de nos communautés commencent à percevoir que la finalité du Projet de Jésus est le Royaume, beaucoup plus que l´Église, on peut espérer que cela aura des répercussions sur les enfants. Mais c´est toute une culture à changer !
Donner le goût de l’incarnation aux catéchistes
En attendant, nous essayons de faire une catéchèse qui ne soit pas axée sur la 1ère communion puisque nous savons que presque tous ne continueront pas à fréquenter nos communautés. Nous tentons plutôt de leur faire découvrir la liberté, le bonheur proposés par Jésus-Christ et de rejoindre ainsi des désirs profonds de tout être humain, y compris des enfants.
Nous essayons d´inciter les catéchistes à faire cela à partir des situations concrètes des enfants dans leurs propres familles ou avec leurs copains et copines :
- les divisions religieuses qui atteignent maintenant la majorité de nos familles : les églises “évangéliques” prêchent beaucoup plus la peur de l´enfer, la conversion individuelle, souvent la haine du catholicisme et à peu près jamais le Royaume de Dieu et les Béatitudes.
- les familles déstructurées avec tous les drames qui en découlent, y compris souvent des problèmes de pédophilie.
- l´argent facile des petits revendeurs de drogue qui commencent souvent à l´âge de 10 ans.
- l´érotisme ambiant et les relations sexuelles précoces fréquemment autour de 12-14 ans.
- la prison d´un ou plusieurs membres de la famille.
- L´abîme entre les différentes classes sociales.
Les enfants ont l´air d´apprécier ce type de catéchèse même si certains, dès les premières semaines questionnent : « ça sera quand la première communion ? » Souvent ce sont les parentes qui paraissent plus déboussolés ! Nous essayons de travailler aussi avec eux mais ce n´est pas toujours évident. Dans les écoles du quartier, les professeurs rencontrent aussi de grandes difficultés pour associer les parents à l´éducation !
Comme le temps de la catéchèse est traditionnellement très court ici, nous essayons de mettre en place un prolongement animé, surtout par des jeunes de la paroisse, mais pour le moment c´est très embryonnaire.
Cela peut paraître bien loin de nos catéchèses ou catéchismes traditionnels loin de nos rêves de remplir nos églises mais souvent Jésus lui-même n´appelait pas à sa suite les gens qu´il libérait. Il leur disait simplement : “va et ne pèche plus”, “va et raconte ce qui t´est arrivé”. Le discours sur la montagne (Mt 5) commencé par les Béatitudes n´était pas destiné aux seuls disciples appelés à sa suite et qui se trouvaient près de lui. C´était aussi pour les foules qui étaient présentes, la proposition d´une voie de bonheur et de liberté qui n´excluent pas bien sûr de rencontrer des croix et des persécutions sur ce chemin.
Père François Lewden,
Diocèse de Belo Horizonte, Brésil
Prêtre Fidei Donum français
Article publié dans la revue Prêtres Diocésains, no 1532, de Janvier 2017.
Sur la catéchèse en France, on consultera le site Catéchèse et Catéchuménat