<!--
-->

Les évêques du Venezuela : changeons de politique !

La Conférence épiscopale du Venezuela s’engage de plus en plus dans le conflit qui oppose le gouvernement de Nicolás Maduro et l’opposition vénézuélienne, soutenue par une large majorité du peuple. Rappelons que l’origine de ce conflit est la décision du président de convoquer l’élection, le 30 juillet, d’une Assemblée nationale constituante, décision illégale aux yeux de l’opposition et de l’Église. Mais tout ceci se passe sur fond de crise économique alimentaire et sanitaire qui frappe de plein fouet ce pays dont l’économie a été longtemps fondée presque exclusivement sur le pétrole.
Depuis trois mois, l’opposition manifeste chaque jour à Caracas et dans les grandes villes du pays pour demander le départ du président Maduro, la population est dans la rue, et la répression fonctionne à plein régime…

Afiche_Jornada_de_Oración

 

Message urgent aux catholiques et aux personnes de bonne volonté au Venezuela

  1. Nous, Évêques du Venezuela, nous adressons au peuple vénézuélien que nous saluons avec affection. Nous lui redisons notre proximité en ces temps durs et difficiles que nous sommes en train de vivre. Nous voulons assurer plus particulièrement de notre soutien ceux qui souffrent le plus. Nous leur transmettons les salutations et la bénédiction du Saint-Père François qui, tout en suivant de près les événements de notre pays, nous invite à chercher des solutions urgentes dans la paix et la concorde. Nous nous sentons en union, en pleine communion avec lui, qui nous a dit : « par la voix des évêques vénézuéliens c’est ma voix qui se fait entendre ».

 

« Les cris de mon peuple résonnent dans tout la pays » (Jr 8)

  1. Nous faisons nôtres les cris de ceux qu’assaillent la faim, le manque de garanties pour leur santé, la difficulté d’acheter des médicaments et l’insécurité à tous points de vue. Même si le peuple garde l’espérance et la capacité de surmonter les difficultés, il souffre encore plus aujourd’hui. Il demande le respect de sa volonté démocratique, de ce qui est prévu dans l’ordre juridique et constitutionnel, ainsi que la possibilité réelle de vivre dans la concorde, la paix, la liberté, et dans un développement humain intégral croissant.
  2. Dans notre pays, on perçoit très clairement que la violence a pris un caractère structurel, qui s’exprime de manière variée : de la répression irrationnelle, avec son douloureux tribut de morts et de blessés, de dommages aux habitations, et de persécutions, à la négligence des besoins vitaux des personnes. La répression officielle engendre parfois des réponses violentes, ce qui contribue à créer un climat de tension et d’anarchie, avec ses conséquences dangereuses. Nous sommes confrontés à une terrible escalade de violence. Le nombre de personnes en détention, surtout des jeunes, pour désaccord avec le gouvernement, aggrave encore la situation. On entend des dénonciations sérieuses de tortures et mauvais traitements ; certains détenus sont jugés arbitrairement par la justice militaire, en dépit de la Constitution et des lois, et sont indûment incarcérés dans des prisons de haute sécurité (El Dorado et autres centres pénitentiaires) comme s’ils étaient de dangereux criminels. Beaucoup sont également détenus dans des installations militaires, enfermés dans des lieux insalubres et dans des conditions inhumaines. La violation et la négation constante des droits humains par les autorités expriment leur mépris de la dignité humaine.
  3. Nombre de nos communautés et institutions sont attaquées par des groupes paramilitaires illégaux qui agissent sous le regard complaisant des autorités. Nous en avons un exemple dans l’attaque le 5 juillet des députés de l’Assemblée nationale, qui n’a comme précédent que l’assaut au Congrès national du 24 janvier 1848 sur ordre du Président Monagas. L’Assemblée nationale, expression de la « souveraineté populaire » est l’héritière du Congrès de 1811. Elle a une véritable valeur historique et réelle. La Garde nationale bolivarienne qui y réside a donc la mission de garantir la sécurité du lieu et des députés, et ne doit pas en permettre les attaques par des groupes illégaux.

 

« Car ainsi parle le Seigneur de l’Univers : celui qui vous touche, touche à la prunelle de mon œil » (Za 2)

  1. Il est temps que l’orientation politique du gouvernement change de cap. Même si la crise que nous subissons au Venezuela date de plusieurs années, elle s’est faite plus aigüe ces derniers mois à cause de la décision du gouvernement de convoquer une Assemblée nationale constituante, contestée et rejetée par la majorité du peuple vénézuélien. Cette proposition a catégoriquement ignoré que c’est le peuple, exerçant sa souveraineté propre, qui peut et doit la convoquer. Nous ne devons pas oublier que « la souveraineté réside d’une façon incessible dans le peuple » (CRBV, art. 5). « Le peuple du Venezuela est le dépositaire du pouvoir constituant originel » (art.347). Lui seul peut convoquer une Assemblée nationale constituante.
  2. La Constitution a été de nouveau violée, et le Tribunal suprême de justice (TSJ) et le Conseil national électoral (CNE) cautionnent ce que propose l’Exécutif, sans tenir compte des principes de base de la démocratie participative établis par la Constitution. Le projet de Constituante que nous avons mentionné veut imposer au pays un régime dictatorial. De plus, en privilégiant dans sa configuration des bases électorales sectorielles sans assise juridique, on viole le droit de tous à élire et à être élus et le principe constitutionnel (art. 63 CRBV) de la représentation proportionnelle de la population selon sa distribution territoriale. L’Assemblée nationale constituante aurait en outre un pouvoir supraconstitutionnel avec pour objectif l’élimination des organes actuels de l’État, en particulier l’Assemblée nationale, légitimement élue par le peuple. On n’établit pas non plus de limites à l’exercice de ses fonctions ni à son extension dans le temps. Tout porte à croire que ce que l’on cherche, c’est l’instauration d’un État socialiste, marxiste et militaire avec la disparition de l’autonomie des pouvoirs, en particulier le pouvoir législatif.
  3. Le 16 juillet prochain aura lieu, sur l’initiative de l’Assemblée nationale, une consultation populaire tout à fait légitime. Nous considérons comme une provocation la convocation par le gouvernement et la CNE, pour le même jour, d’un simulacre électoral dans certains bureaux de vote du pays, qui peut déboucher sur de regrettables conflits. Le peuple continue à exiger le respect de sa dignité et de ses droits.

la souveraineté réside d’une façon incessible dans le peuple

Comme des pasteurs inquiets pour leurs brebis (EZ 34,12)

  1. Pasteurs de l’Église au Venezuela, nous faisant l’écho du cri de l’immense majorité de notre peuple, nous voulons élever notre voix et exiger :

a) du gouvernements national : qu’il retire sa proposition d’Assemblée constituante et permette la tenue des élections établies dans la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela. Il est temps que le gouvernement reconnaisse l’autonomie des pouvoirs publics ; qu’il mette fin à la répression inhumaine des manifestations de dissidents, qu’il démantèle et sanctionne les groupes paramilitaires dont les actions sont une source d’angoisse pour de vastes pans de la société. La mesure dont a récemment bénéficié un important leader politique d’opposition doit mener à la libération de tous les prisonniers politiques. Il est également urgent de trouver une solution aux problèmes extrêmement graves du peuple et de permettre l’ouverture d’un canal humanitaire, pour fournir des médicaments et des aliments aux plus déshérités au Venezuela.
b) de la force armée nationale bolivarienne : que, comme l’indique la Constitution nationale, elle remplisse son devoir de service de tout le peuple dans le respect et la garantie de l’ordre constitutionnel et pas seulement d’un régime, d’un parti ou d’un dirigeant. « Toute personne servant dans les forces armées est concrètement appelée à défendre le bien, la vérité et la justice… Les militaires demeurent pleinement responsables des actes qu’ils accomplissent en violation des droits des personnes et des peuples » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 502 et 503). Nous en appelons à la conscience de tous ses membres : qu’ils n’oublient pas qu’ils font aussi partie du peuple et qu’ils devront rendre compte de leurs actes devant la Justice humaine et divine.
c) des dirigeants politiques : que, dans l’exercice de leur vocation citoyenne, ils s’engagent uniquement aux côtés du peuple et jamais dans la recherche de leurs intérêts propres. Il est urgent de continuer à faire des pas pour que soit respectée la volonté démocratique de tout le peuple vénézuélien, et de chercher des mécanismes transparents pour des rencontres et négociations qui conduisent de manière efficace à la résolution de la crise.
d) des institutions éducatives et culturelles : qu’elles collaborent à la création d’une conscience politique et élèvent ainsi le niveau socioculturel de tous les citoyens.

9.   Fidèles à notre ministère de pasteurs, nous nous engageons à continuer d’agir en solidarité avec notre peuple, en particulier les plus pauvres et les exclus. Nous demandons à tous les membres de l’Église d’agir en conformité avec les critères de l’Évangile et de la doctrine sociale de l’Église, pour éclairer et abattre tous les murs de division qui existent dans notre pays, et de contribuer au relèvement de notre nation, retisser le tissu social et prendre des mesures pour la réconciliation dans la rencontre fraternelle entre tous. Nous encourageons tous les efforts en faveur de la paix et du vivre ensemble, basés sur la loi de l’amour fraternel. Nous soutenons les jeunes qui défendent de leurs vies la liberté et la Constitution en vigueur.

10.   Nous invitons tous les membres de l’Église et toutes les personnes de bonne volonté à mettre en œuvre l’option préférentielle pour les pauvres et les exclus. En plus de soutenir par la prière, la réflexion et d’autres initiatives tout effort en faveur de la sortie de crise, nous leur demandons de manifester leur solidarité avec ceux qui sont affamés, démunis ou affligés. Renforçons les diverses œuvres et actions qui, à partir de la pastorale sociale, permettent d’aider de nombreuses personnes qui manquent de nourriture, de soins médicaux, de protection de leurs droits, d’éducation intégrale. L’action de la Pastorale sociale-Caritas à ses différentes échelles (nationale, diocésaine et paroissiale) est un signe de notre engagement envers tous, sans aucune exception.

11.   Nous invitons tous nos frères dans la foi et les autres croyants à une Journée de prière et de jeûne le vendredi 21 juillet prochain, afin de demander à Dieu qu’il bénisse les efforts des Vénézuéliens pour la liberté, la justice et la paix. Nous implorons pour chacun d’entre nous les lumières de l’Esprit-Saint, nous prions Dieu de continuer à protéger ce peuple, et que la protection maternelle de Notre-Dame de Coromoto nous encourage pour continuer à construire la paix et un vivre ensemble fraternel.

 

Les archevêques et évêques du Venezuela
Caracas, 12 juillet 2017
(traduction Annie Josse)

Mensaje urgente

Asie-Pacifique
Amérique latine
Europe
Afrique