Sur Alain-Marie Leroux …
Alain-Marie Leroux, du diocèse de Bayeux-Lisieux, nous a quittés brutalement à Arequipa, au Pérou, où il vivait depuis 1992. Yves Hardel, qui le connaissait bien, nous a transmis son témoignage, initialement écrit pour le diocèse de Bayeux.
Alain n’a pas eu une enfance facile. Il est à peine allé à l’école, et je crois qu’il n’avait même pas fini l’école primaire. Jusque vers 30 ans il a « fait la route » puis un jour a rencontré le Pain de Vie, à Laigle, je crois. Il a été dans les premiers membres, le 7ème il me semble. Là, il a découvert l’amour de Dieu, l’adoration eucharistique, la maternité de Marie dans une vie pauvre avec les pauvres.
Envoyé à Lisieux, il a pris en charge un Refuge pour accueillir et servir ceux qui font la route. Quelques années après, il a pensé au sacerdoce. A l’Hermitage une sœur l’a aidé à surmonter ses lacunes scolaires pour pouvoir entrer au séminaire
Après son ordination il a passé un peu de temps à Mondeville avant que le Pain de Vie ne l’envoie au Pérou, à Arequipa. Il y a vu des enfants qui trainaient dans les rues, soumis à la drogue, à la prostitution et a commencé à les accueillir. Assez vite une trentaine d’enfants entre 10 ans et 17 ans vivaient dans sa maison. Plus tard certains ont été accueillis à partir de 6 ou 7 ans, souvent envoyés par un juge.
Il commençait sa journée par une heure d’adoration eucharistique et priait le rosaire avant la messe, seul ou avec quelques paroissiens. Sa priorité était ses enfants; il refusait toute invitation pour ne pas les laisser seuls. Jamais il n’élevait la voix avec eux. Il ne s’absentait que pour la retraite sacerdotale et un prêtre m’a dit qu’alors il passait tout son temps à prier.
Non sans peine il trouvait les moyens pour les nourrir, les vêtir, et surtout les faire étudier, aidé en partie par une association de Mondeville « Alain à l’autre ».
une vie pauvre avec les pauvres
En plus il était chargé d’une paroisse avec 3 églises. Les dernières années, l’évêque lui avait proposé une aide, quelqu’un qu’il était sur le point de séparer du sacerdoce et qui venait célébrer une messe le dimanche. Alain m’avait dit que ce n’était pas brillant, mais que s’il ne l’acceptait pas, l’évêque le renverrait, donc il le gardait.
Vers septembre ou octobre je l’avais appelé et avais trouvé qu’il toussait beaucoup et ne me paraissait pas bien. Il s’était quand même décidé à voir un toubib, peut-être pour la première fois, et un cardiologue, me disait-il, lui avait donné un traitement. Je l’avais invité à être prudent. Le jour de la Toussaint, après la messe il s’est senti mal et a été conduit à l’hôpital général d’Arequipa où ils ont tout de suite vu que c’était grave et ont fait des examens. Ceux-ci se sont prolongés. A un moment Alain a voulu se lever et est tombé mort. Le Doyen, que j’ai vu au moment de la messe m’a dit : « Nous mourons dans des cliniques, lui est mort comme les pauvres, à l’hôpital. »
Arrivant à Arequipa le matin de la sépulture, ce samedi 4 novembre, je suis allé à sa maison, très ému de voir pour la dernière fois ce frère très cher dans son cercueil, revêtu de la chasuble.
L’église, assez petite, était insuffisante et il y avait foule sur la place avec beaucoup de monde en plein soleil d’Arequipa. Les enfants d’Alain étaient aux premiers rangs.
Après la messe, procession vers le cimetière situé à une demi-heure de marche. Le cercueil était porté par des jeunes d’Alain, avec une grande foule qui jetait des fleurs le long du trajet, et s’étendait sur environ 3 blocs de maisons.
Enormément de monde au cimetière, et beaucoup d’émotion au moment de mettre la bière en terre. Tous les enfants sanglotaient. Quelqu’un a alors entonné un chant de louange qu’Alain aimait beaucoup et que tout le monde a repris pendant longtemps. Cela a détendu l’atmosphère.
Après le déjeuner, dans la maison, plusieurs des anciens accueillis par Alain, qui étaient venus à la cérémonie, certains avec leur épouse, ont raconté ce qu’ils avaient reçu dans le foyer: valeurs, respect des autres, sens de la famille… Ils se considèrent comme frères entre eux, très reconnaissant de l’attention et de l’amour qu’Alain portait à chacun d’eux, les encourageant après les échecs…, ils disaient que sans lui, ils seraient morts ou dans la délinquance. Ils encourageaient les petits à aller de l’avant, à étudier… Je relève ces paroles d’un aveugle accueilli quand il avait 15 ans: « plusieurs fois je disais au P. Alain : avec mon infirmité je ne peux faire telle ou telle chose, mais il me répondait : si, tu peux faire cela…et je le faisais. »
Il a vraiment vécu les béatitudes, c’était un grand cœur et un cœur pur. « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu », et c’est ce qu’il fait maintenant. Après avoir si longtemps contemplé Jésus dans l’eucharistie et dans les plus petits d’entre ses frères, il le voit maintenant face à face.
Que le Christ nous donne d’avoir la même générosité.
Yves Hardel
Lien vers un montage composé par les enfants d’Alain