Équateur : pour que tous aient la vie
Depuis 10 ans, le projet « Pour que tous aient la vie », lancé par les Filles de la Sagesse, accompagne des enfants en difficulté scolaire dans un quartier populaire de Quito. Sœur Sylvie Berruet et sœur Violeta Santos, en charge du projet, nous en parlent avec Émilie Muller, volontaire DCC pour un an.
Comment est venue l’idée du projet ? Pouvez-vous nous en présenter la genèse ?
SB : Le projet a démarré en 2009, année d’Aparecida, et il en a repris le thème biblique : « Pour que tous aient la vie ». Une sœur colombienne, éducatrice, a commencé à chercher dans le quartier – un quartier plutôt pauvre de Quito – des enfants pour des activités de révision et des activités ludiques durant les grandes vacances scolaires. À la rentrée suivante, une jeune jardinière d’enfants a commencé à collaborer. Nous aidions aux devoirs, surtout en mathématiques et en langue. Avec les années cela s’est transformé, s’est amélioré en fonction des sœurs qui arrivaient avec leurs propres dispositions et capacités. En 2009-10 une aide de l’étranger a permis de faire des choses plus élaborées au niveau du matériel.
VS : Je me souviens que vous racontiez que ce qui vous frappait quand vous sortiez toute les deux, c’était de voir beaucoup d’enfants de tous âges dans la rue, en train de jouer ou de ne rien faire. Et vous vous demandiez pourquoi ces enfants étaient seuls.
SB : Au début Maria Isabel voulait aider les mamans pour qu’elles aient une formation globale. Mais travaillant 6 ou 7 jours sur 7 et toute la journée, c’était irréalisable de pouvoir les rassembler. Au niveau des enfants, ils étaient dehors, des petits et des enfants de 7 ans gardant des plus petits de 3 ans, et cela nous faisait peur. Ici l’école est soit le matin soit l’après-midi, alors il y a toujours des enfants seuls une partie de la journée, avec le risque de traîner dans la rue, de ne pas faire les devoirs, de passer le temps devant la télé. Nous recevons les enfants tous les jours, matin et après-midi.
Ces jours-ci, je vous ai entendues parler de rendez-vous avec un psychologue, un psychopédagogue… Comment le projet a-t-il évolué pour arriver à ce suivi ?
SB : À une rencontre de la conférence des religieux, nous avons travaillé un thème avec une jeune psychologue, Elena, et j’ai noté son nom. Quand nous avons reçu de l’argent de l’extérieur, nous avons pensé que cela serait bien, puisqu’il y avait des enfants en grande difficulté, d’avoir une psychologue. J’ai donc repris contact avec Elena, qui a accepté de travailler avec nous. Depuis 4-5 ans, nous sommes en lien avec elle. Elle fait un très bon travail de groupe avec les enfants.
VS : Elle nous donnait aussi de petites formations d’une demi-journée, qui nous ont motivées à parler avec elle de certains enfants et elle a contacté un psychopédagogue. Dès 2009 nous avions aussi commencé à prendre des contacts avec des centres de santé pour y envoyer les enfants en consultation. Nous avons constaté que cela donnait de bons résultats, on a par exemple pu détecter pourquoi certains enfants ne lisaient pas. Puis Elvira est arrivée, et vous avez commencé à planifier davantage cet aspect-là. Elle était enseignante et avait les capacités de faire avancer les choses, de même que sur le plan des projets pour la recherche de financements. Ensuite est arrivée Lourdes, qui a commencé la collaboration avec la DCC, dont Sylvie avait entendu parler en France et dans le groupe des missionnaires français, où il y a deux anciens de la DCC. Quand nous avons eu l’assurance d’un financement, nous avons pris contact.
EM : Les parents contribuent pour les entretiens personnels avec la psychologue. Chaque consultation coûte 13 dollars, mais nous la prenons en charge quand les parents sont nécessiteux et ils ont aussi la possibilité d’entrer dans une coopérative où, en déposant 4 dollars par mois, ils ont accès à la gratuité des séances, ainsi qu’à la gratuité des consultations médicales et à deux séances de dentiste par an.
SB : Un autre service que nous rendons, en lien avec la fondation : La vue pour tous, c’est une révision annuelle de la vue de tous les enfants. La première fois où ils sont venus, ils étaient 10 étudiants dans notre salle avec tout leur matériel pour examiner les enfants. Cela leur servait aussi de pratique.
VS : Cela est pris en charge uniquement pour les enfants participant au projet, et nous aidons pour les frères et sœurs, les parents, quand nous voyons qu’il y a une grande difficulté.
Vous leur donnez aussi une collation le matin et l’après-midi ?
VS : Oui, et au début nous la prenions en charge, c’était quelque chose de simple, un fruit, une boisson. Mais depuis 3 ou 4 ans, nous commencé un partenariat avec une entreprise, né de nos recherches de subventions locales. Ils nous donnent chaque mercredi de la nourriture, que nous allons chercher avec une camionnette, et deux personnes y vont avec le chauffeur. C’est un vrai travail, qui occupe de 10h30 h à parfois 17h30. Il faut y aller, charger, rapporter, décharger, nettoyer… Après il faut recevoir les familles qui viennent chercher la nourriture, ranger, faire le ménage…
SB : C’est fatiguant, mais aussi gratifiant de voir les familles contentes, de savoir qu’elles en ont besoin. Quand nous ne pouvons pas y aller ils nous disent, vous nous punissez, c’est ce qui nous aide, et ils s’en parlent les uns aux autres. Cette aide alimentaire est pour les enfants du projet, et aussi pour d’autres personnes sans ressources. Certaines personnes paient quelque chose en échange, ce qui nous aide pour le salaire du chauffeur de la camionnette, 60 dollars. Cela donne aux enfants une alimentation plus diversifiée, et les ouvre à des produits qu’ils ne mangeraient jamais autrement. Il y a des mamans très habiles pour transformer ce qu’elles reçoivent. Elles en ont vraiment besoin.
Émilie, toi qui as un regard plus neuf sur le projet, quelles sont pour toi ses forces et ses faiblesses ?
EM : La plus grande force pour moi, c’est que le projet est un soutien de taille pour ces familles aux revenus précaires et en difficulté sociale. L’accueil des enfants pour le soutien scolaire c’est bien, mais je ne pense pas que ce soit le plus important pour eux ; c’est un moyen d’entrer en contact avec eux, d’être là pour eux, et qu’ils sachent qu’il y a des adultes autres que la sphère familiale sur lesquels ils peuvent compter. Parfois la sphère familiale est un peu bancale et c’est pour cela que je suis là. Une autre force est l’appui de la psychologue qui vient plusieurs fois par mois.
Une faiblesse, c’est la petitesse du projet, on a dû refuser des enfants et cela me fait du mal parce que je voudrais pouvoir les aider tous. En même temps, le matin il y en a peu. Nous sommes connues à l’école, mais au niveau communication il faudrait faire plus.
Vous avez parlé d’une entreprise, de la psychologue, des consultations d’ophtalmologie… Avez-vous eu d’autres aides locales ?
VS : Quand la maison était en construction, le curé de la paroisse nous a prêté les salles de catéchèse pendant six à sept mois.
SB : Nous avons eu des étudiants en stage pour deux-trois mois, et aussi pendant un an trois personnes qui venaient une fois par semaine pour être une présence près des enfants, les aider à fixer leur attention, même si elles ne pouvaient pas forcément les aider dans leurs devoirs.
Qu’est-ce qui est pour vous important dans le projet, en plus de tout ce que vous avez déjà dit ?
SB : Le travail sur les valeurs, qui implique de travailler l’interculturalité, l’inclusion. Il y a des enfants d’ascendance afro et d’ascendance indigène, et il y a eu parfois des conflits. Nous accueillons aussi maintenant des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays à cause de la crise.
VS : J’ai découvert les différentes cultures à l’intérieur du pays, les gens de la montagne, de l’est, de la côte, on remarque les différences.
EM : Ce qui est important pour moi, ce n’est pas le travail scolaire, mais c’est que les enfants aient plaisir à venir et sachent qu’ils peuvent compter sur moi.
VS : Une autre chose que nous avons remarquée, c’est que toutes les mamans des enfants qui sont passés par ici sont des mamans qui n’ont pas terminé l’école, qui ont été mères très jeunes, ont subi des violences chez elles, et parfois nous nous disons, c’est la population avec laquelle nous devons être.
Jusqu’à maintenant environ 120 à 150 enfants ont bénéficié du projet. Cela fait plaisir de les voir revenir, certains sont déjà à l’université.
Annie Josse
Quito, avril 2018